Le "sustainism" : une intuition pour le futur

Par Eric Benhamou, éditorialiste à La Tribune
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Dans un manifeste qui fait beaucoup de bruit aux États-Unis (*), deux hommes, Michiel Schwarz, un réputé théoricien du design, et Joost Elffers, un as du logo, proclament auprès de l'avant-garde intellectuelle la fin du modernisme et l'avènement d'un nouveau concept ultime : celui qui, fondu et confondu dans notre monde dématérialisé, se suffit à lui-même, n'a besoin de rien d'autre que d'être énoncé pour exister. Traqueurs de solutions, chasseurs de concret, passez votre chemin : le "sustainism"  ne s'applique pas, il se renifle. Il est l'air du temps.

Sera-t-il cependant ce nouveau mouvement capable de nous sortir du modernisme du XXe siècle et de sa fascination pour la production, alors indissociable de l'idée de progrès, ou de nous libérer du vide idéologique et artistique dans lequel nous a enfermés le postmodernisme ? Son succès dépend, répondent, convaincus, leurs géniteurs, de son appropriation par la société civile et son cortège de penseurs, d'artistes, de designers.

Pour l'heure, le "sustainism" se présente comme un outil conceptuel, qui surfe sur la vague du développement durable. Il annonce "une transition vers un monde plus durable, plus connecté, où tout le savoir est désormais à la portée de tous pour des applications locales". Et pas marginalement : "Ce qui arrive n'est rien de moins qu'un changement culturel majeur, un nouveau logiciel de pensée, une façon de refaire le monde."

Mieux, la mutation aurait déjà commencé, presque à notre insu quand nous parlions d'écologie ou d'« open source ». Avec, en perspective, la diversité plutôt que l'uniformité, l'efficacité plutôt que le rendement, le collectif plutôt que la hiérarchie, l'interdépendance plutôt que la dépendance, faire plus avec moins (plutôt que faire moins avec plus).

Habiles, les deux auteurs ouvrent leur ouvrage avec le logo inventé pour matérialiser ce sustainisme encore embryonnaire : un noeud borroméen, connu dès l'Antiquité (représentation de la terre, de l'eau et de l'air) et cher à Jacques Lacan qui y lisait l'intrication du réel, du symbolique et de l'imaginaire. Leur définition ensuite réjouirait même le plus déprimé des directeurs du développement durable : aire culturelle, styles de vie, environnement, valeurs, attitudes connectées, long terme...

Toutes ces idées fraternelles et responsables s'imposeraient donc sans contrainte dans nos vies. Et pour simplifier la tâche, elles sont exprimées sous la forme d'aphorismes, de slogans, de symboles et de logos. Comme des évidences, reléguant au placard de l'histoire moderne le règne de la machine (et de la raison) pour la nouvelle écologie de l'âge digital (de l'émotion).

Leur livre concept, qui empreinte aux codes de l'architecture, de l'art et du marketing, dessine l'ampleur des virages comportementaux qui nous attendent : nourriture, santé, religion, urbanisme, médias... En attente d'enrichissement du plus large mouvement du monde, que certains voient dans les volontaires des deux millions d'ONG ou les 6.000 markets farmers créés aux États-Unis. Et la communauté, unité de base de l'humanité, quand elle adopte le sustainable life style, devient localisme, rejette l'illusion du village global pour appréhender le monde comme un globe de villages.

Les esprits chagrins souligneront que nos deux prophètes promettent plus qu'ils ne délivrent - les designers sont par essence des optimistes naïfs - ou que leur manifeste s'inscrit dans une réflexion déjà engagée depuis une décennie. En 2002, Michael Braugart et William McDonough avaient, dans leur ouvrage célèbre, « Cradle to Cradle », jeté les bases d'une nouvelle industrie 100 % recyclable avec, à la clé, une vraie certification, et en France par exemple, Bernard Stiegler annonce une ultramodernité fondée sur l'économie du partage. La définition et la portée du sustainisme promettent de nombreux débats entre artistes, scientifiques et environnementalistes chez lesquels il n'existe aucun consensus sur les questions de société durable. Peu importe, bienvenue dans le monde merveilleux des idéologies sans traités, de la philosophie sans maîtres à penser, du savoir participatif et de la sagesse collective. N'ayez pas d'inquiétude néanmoins, les deux auteurs nous l'assurent, tout est dans l'attitude.

 

(*) "Sustainism is the new modernism, a cultural manifesto for the sustainist era", et sur www. sustainism.com

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