Les réjouissantes confessions d'un ancien banquier d'affaires

Antoine Bernheim, 86 ans, l'ex-patron de Lazard en France, a régné sur les fusions-acquisitions pendant trente ans et favorisé l'ascension de Nicolas Sarkozy. Portrait et confidences.
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Le titre de l'ouvrage manque d'originalité et son écriture se révèle parfois brouillonne. Mais le livre que Pierre de Gasquet - correspondant du quotidien « Les Échos » à New York, après l'avoir été à Londres et à Milan - consacre à Antoine Bernheim, « le parrain du capitalisme français » selon l'expression consacrée, n'en ravira pas moins tous ceux qui s'intéressent à la vie et à l'histoire des entreprises depuis quatre décennies. Dans la finance, bien sûr, où l'ancien pilier de la banque Lazard et de la compagnie d'assurances italienne Generali a effectué la majeure partie de sa carrière. Mais pas seulement. Car Antoine Bernheim, 86 ans, s'est retrouvé, de par son métier de banquier d'affaires, au coeur des principales fusions-acquisitions de ces trente dernières années. Le rachat du Printemps par François Pinault ? C'est lui. L'ascension de Bernard Arnault ou de Vincent Bolloréeacute; ? Lui encore. « C'est moi qui les ai faits », explique-t-il à Pierre de Gasquet à propos des patrons de LVMH ou du groupe Bolloréeacute;. Et ce sont ces confidences qui font tout l'intérêt du livre.

En mal de reconnaissance depuis qu'il a été écarté de la présidence de Generali en avril dernier, Antoine Bernheim n'épargne pas grand monde. Bruno Roger, son ennemi juré chez Lazard, est ainsi qualifié de « caractériel extraordinaire, assoiffé d'honneurs ». « Il a des ambitions illimitées. C'était un protégé de Chirac. Ils étaient ensemble à Sciences po, mais il n'a pas été reçu à l'ENA », ajoute, perfide, le vieux banquier. Matthieu Pigasse, l'actuel patron de Lazard en France, qui s'est illustré en rachetant « Le Monde » avec Xavier Niel et Pierre Bergé, l'intrigue et l'irrite à la fois : « On ne voit plus que lui dans les médias. Mais on ne dirige pas une banque d'affaires en s'exposant autant. Quand j'étais chez Lazard, je n'aurais jamais envisagé de faire des affaires à titre personnel, surtout aussi visibles. »

Sur la crise et les dérives des banquiers, la critique est sévère également. « Cette crise financière a été fabriquée de toutes pièces par de jeunes banquiers incompétents et âpres au gain », estime Antoine Bernheim. Pour lui, Lloyd Blankfein, le patron de Goldman Sachs, est un « trader de génie, pas un banquier. Il gagne sur la misère des autres en spéculant à contre-courant ».

Pour les capitaines d'entreprises dont il a fait la fortune, l'ancien patron de Lazard peut se montrer tendre : « Vincent Bolloréeacute; est devenu un ami très proche... S'il n'avait pas été là, je serais parti de Generali. Et si je n'avais pas eu la présidence de Generali, je serais tombé en dépression. » Ou bien féroce, au contraire : « Bernard Arnault n'a jamais rien fait pour moi. Son conseil d'administration est surtout une chambre d'enregistrement... Pendant des années, il me faisait envoyer des chandails en cachemire : maintenant c'est en pure laine, bientôt ce sera en coton... Moi, il ne me fait pas peur, parce que je ne lui dois rien. Vous savez, on n'a jamais vu un coffre-fort suivre un enterrement. »

Au fil des pages et des très nombreuses personnalités interrogées par l'auteur, de Cécilia Attias (ex-Sarkozy) à Alain Minc (le conseiller « à l'origine des principales conneries du président », dixit Antoine Bernheim) en passant par l'épouse, Francine Bernheim, ou la fille, Martine Orsini, se dessine peu à peu le portrait d'un homme sensible, grand amateur de bridge et de foot, guidé par sa soif de pouvoir et d'influence bien plus que par l'argent. Amer d'avoir été évincé de la vie des affaires, Antoine Bernheim en veut à ceux qui l'ont fait peu à peu tomber dans l'oubli. À Nicolas Sarkozy, par exemple, dont il a été un fidèle supporter : « Il oublie que j'arrose son cabinet d'avocats depuis vingt ans. Aujourd'hui, je suis un simple manant et il est un chef d'État... », explique-t-il. Le baroud d'honneur d'un très grand monsieur ? Un moment de vérité très réjouissant, en tout cas.

 

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