Le poids des mots

Par Eric Albert, correspondant de La Tribune à Londres.
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"Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement." La maxime, qui vient du poète du XVIIe siècle Nicolas Boileau, n'a visiblement pas été reprise à son compte par le monde de la finance. Que ce soit pour se protéger ou pour se rendre inaccessibles, les financiers aiment à se cacher derrière un mur de mots.

A commencer par l'alpha et le bêta. L'alpha, en langage de gérant d'actifs, c'est la capacité à réaliser une performance supérieure au marché. Un fonds d'investissement en actions qui progresserait de 10% en un an, quand la bourse n'augmenterait que de 2%, aurait ainsi dégagé de l'alpha. C'est curieux, mais il nous avait toujours semblé que faire mieux que la Bourse était justement le travail du gérant, non ? Simplement, avec ce terme technique "d'alpha", les gérants ont déguisé ce qui devrait être la base de leur travail d'une apparence vaguement scientifique... qui nécessite bien sûr rémunération supplémentaire.

Et le bêta ? C'est une performance fondée sur la sensibilité d'un titre par rapport à la sensibilité du marché. En clair, son ambition est de ne pas perdre d'argent ! Et allez savoir pourquoi, mais les génies du marketing de la gestion d'actifs n'ont pas trouvé de lettre grecque pour ceux qui faisaient moins bien que le marché.

Derrière cette utilisation anecdotique d'un langage obscur se cache pourtant le secret de la finance, révélé avec la crise : ce n'est pas parce que c'est compliqué que c'est intelligent. Adair Turner, le président de la FSA, le régulateur des marchés britanniques, le dit à sa façon quand il parle de la soupe aux lettres qui désigne tous les produits structurés à l'origine de la catastrophe financière : les CDO, CDO square, ABS et autres MBS... Tous avaient un point commun : peu de gens en comprenaient leur fonctionnement.

Il en va de même pour le langage financier pour le grand public. Une étude publiée par Nest, un organisme public britannique spécialisé sur les retraites, montrait que seules 20 % des personnes interrogées pouvaient expliquer un terme pourtant couramment utilisé par les fonds de pension : "lifestyling". Cela signifie simplement que les investissements réalisés par le fonds de pension changent avec l'âge de la personne : plus elle est proche de la retraite, moins les investissements sont risqués. Nest a depuis ouvert un glossaire pour chasser le jargon. La désaccumulation devient désormais début des versements de votre retraite ; le fonds par défaut devient sauf si vous choisissez une autre option, votre argent sera investi dans un fonds choisi pour vous par Nest.

Clarifier la langue est important. Lors de l'explosion de la bulle Internet, la plupart des entreprises britanniques ont fermé leurs fonds de pension dits "defined benefit", les remplaçant par "defined contribution". Une différence qui change tout : dans le premier cas, le fonds garantit une pension et, dans l'autre cas, seule la contribution est définie à l'avance. En cas de chute des marchés, le cotisant risque de tout perdre. En un mot, c'est lui qui assume désormais le risque de marché.

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