La BCE fait-elle une erreur de politique économique ?

Par Olivier Raingeard, économiste chez Neuflize OBC.
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Une fois encore, la politique monétaire de la Banque centrale européenne est décriée, la majorité des économistes et "stratégistes" considérant qu'elle ne devrait pas durcir les conditions monétaires de la zone euro. L'argumentaire de ses détracteurs est fondé sur l'analyse selon laquelle l'environnement économique et financier européen reste fragile.

La reprise économique européenne est en effet globalement modeste, l'institution monétaire n'envisageant elle-même qu'une croissance comprise entre 1,3% et 2,1% en 2011. Les pressions inflationnistes sont par ailleurs nulles, l'inflation sous-jacente ne progressant que de 1% en mars. De plus, le risque d'effets de second tour - systématiquement mis en avant par Trichet ou Weber - semble à court terme inexistant, le taux de chômage européen s'inscrivant à 9,9%. La BCE admet d'ailleurs que, en termes réels, le "niveau de rémunération par personne occupée devrait diminuer quelque peu en 2011".

La croissance des crédits au secteur privé reste également faible, en hausse de 2,6% en février : le mécanisme qui veut qu'une politique monétaire accommodante génère un fort accroissement du crédit - source d'une demande supplémentaire potentiellement inflationniste - semble donc à l'arrêt. Enfin, la hausse du taux directeur risque de détériorer les conditions de financement des pays de la zone euro et, plus particulièrement, celles des pays périphériques. La Banque centrale européenne pourrait, in fine, amplifier les difficultés des pays les plus faibles en augmentant les pressions déflationnistes. Le constat semble donc sans appel : en ayant décidé de relever ses taux d'intérêt, la Banque centrale européenne fait une erreur de politique économique.

Pourtant, une autre analyse est possible. La croissance économique est très soutenue dans un certain nombre de pays de la zone euro : l'Allemagne a, par exemple, enregistré une progression de son PIB de 3,4% en 2010. Les marchés de l'emploi sont aussi nettement plus dynamiques, à l'instar du marché allemand où le taux de chômage s'élève à 7,1%. Les "output gaps" (mesure traditionnelle du risque inflationniste à moyen terme) sont désormais proches d'être fermés. Ainsi, pour ces pays, la normalisation des conditions monétaires est justifiée. Certains pourraient même considérer que la Banque centrale européenne est en retard dans sa politique de hausse des taux d'intérêt.

Par ailleurs, Trichet est conscient que l'accélération de l'inflation globale, en hausse de 2,6% en mars, résulte principalement de la hausse des prix des matières premières. L'institution monétaire considère ce choc comme temporaire, escomptant un taux d'inflation compris entre 1 et 2,4% en 2012. Le durcissement de la politique monétaire peut même, en favorisant l'appréciation de l'euro, constituer un moyen de contenir l'inflation importée qui affecte le pouvoir d'achat des consommateurs.

Enfin, la Banque centrale européenne envoie un message sans équivoque aux autorités politiques. Le processus du renforcement de l'union économique doit se poursuivre. Elle en définit d'ailleurs deux conditions : l'amélioration du pilier de la gouvernance fiscale - le Pacte de stabilité et de croissance - et la création d'un nouveau pilier de gouvernance qui consistera en la surveillance des indicateurs de compétitivité et de déséquilibres.

Conclusion ? La Banque centrale européenne a mis à mal les anticipations des économistes et des "stratégistes" dont je fais partie. Pour autant, la décision d'accroître son taux directeur ne constitue pas nécessairement une erreur de politique économique. On serait presque tenté de considérer que, en durcissant les conditions financières pour les pays périphériques, elle s'inspire d'une philosophie européenne que Trichet rappelait récemment en citant les "Mémoires" de Jean Monnet : "Je dis à François Fontaine :
- Nous avons quelques heures pour nous reposer, et quelques mois pour réussir. Ensuite...
- Ensuite, poursuit Fontaine en souriant, nous rencontrerons de grandes difficultés dont nous nous servirons pour avancer à nouveau. C'est bien cela, n'est-ce pas ?
- C'est cela même. Vous avez tout compris sur l'Europe !"

Espérons néanmoins que la Banque centrale européenne opérera un durcissement très graduel (une augmentation de 25 points de base par trimestre cette année) et saura rester pragmatique...

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