Où sont "les jeunes" ?

Par Jean-Pierre Beaudoin, coprésident du Groupe i&e.
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En Espagne, un juge vient d'enjoindre à un jeune considéré comme « abusif » (comme on dit « mère abusive ») de quitter, à 25 ans, le domicile parental et de se prendre en charge. En France, on cesse obligatoirement d'être admis comme "jeune agriculteur" à 35 ans. On entend de nouveau des voix politiques considérer que la majorité civile devrait être fixée à 16 ans au lieu de 18. Alors, finalement, on est "jeune" quand ? Dans tous ces cas, ce sont des adultes qui en décident ou en débattent. Ou de jeunes adultes qui se réclament du monde adulte, en accolant le radical "jeune" à une qualification du monde adulte : "Jeunes socialistes" ici ; "Jeunes populaires" là, etc. Les "jeunes" parlent très rarement d'eux-mêmes comme "jeunes".

Les circonstances dans lesquelles des adultes étiquettent une population sous le vocable « jeune » sont soit des circonstances de rejet, soit des circonstances de conquête. Les seules où une étiquette aussi commodément réductrice ou faussement valorisante trouve, pour eux, une utilité.

Commodément réductrice l'appellation qui permet de prétendre distinguer une catégorie pour la traiter "à part". Autour de comportements sociaux (la "génération Y") ou culturels (les "digital natives") ou, plus vaguement, les "bandes de jeunes". Pourtant, ces catalogages se montrent assez glissants dans la chronologie pour recouvrir des tranches d'âge disparates. Cela témoigne de la difficulté de mondes adultes à admettre que ce sont des adultes nouveaux qui émergent, avec des pratiques différentes de celles des générations qui les ont précédés, mais des adultes quand même. Clairement, ils ne sont plus des enfants.

Aussi clairement, certains mondes adultes résistent, plus ou moins délibérément, à l'irruption de modes nouveaux dans "leur monde". Mondes de la politique, du travail, de la production culturelle "reconnue". Ce n'est pas un phénomène nouveau : les détenteurs d'un pouvoir ont toujours résisté à l'idée de le laisser aux suivants. Mais la généralité du rejet et les nombres de personnes concernées en font un sujet de préoccupation qui mériterait une attention autre que sa seule dénonciation.

Faussement valorisante, l'étiquette posée sur des offres qui se veulent jeunes. Dans une logique de captation précoce d'un pouvoir d'achat : la fidélisation dès l'origine. "Ma banque" pour la vie signe d'ailleurs que c'est bien déjà comme à des adultes qu'on s'adresse. Dans une logique de différenciation pour un moment de la vie : une marque jeune qui, dès lors, ne se dit pas telle mais s'inscrit dans les codes d'une population, notamment s'agissant de vêtements. Dès que le discours de conquête utilise explicitement le terme "jeune", c'est qu'il ne s'adresse plus qu'aux adultes. C'est là qu'intervient la critique du "jeunisme" qui affecterait nos sociétés, alors qu'il s'agit d'un "adultisme".

Trois moments, dans une actualité d'intensités diverses, reviennent ces jours-ci sur cette "question des jeunes". Le 14 mai, l'Alliance biblique française lance "ZeBible", une édition du texte comme "pour adultes", mais avec des index thématiques correspondant aux préoccupations de jeunes adultes dans leur vie sociale, au lieu des habituels index plus théologiques. Une édition, somme toute, pour une spiritualité "digital native". Et qui ne prétend pas faire un texte "pour les jeunes", mais bien s'adapter à un usage d'aujourd'hui. Le 16 mai, c'est le Celsa, l'école de communication de Paris-Sorbonne, qui propose un échange à plusieurs voix sur le sujet du public jeune, "promesse ou mirage". Et depuis le 4 mai, le n° 10 de la version papier mensuelle de "Rue89" met à sa une "Quand le jeune s'éveillera", pour en évaluer les potentiels politiques.

Bref, une initiative religieuse, une initiative universitaire et une initiative journalistique. Certes, l'entreprise a d'autres urgences en ces temps difficiles que de débattre sur ce thème. Mais elle a, en tant que telle, des actes à y montrer, des responsabilités à y exercer, une dimension décisive de sa réputation à y cultiver. Et un intérêt à y faire valoir pour ne pas sembler, comme souvent sur des sujets de société, ne bouger que sous la pression de l'opinion ou en contrepartie d'incitations publiques.

 

Dernier ouvrage paru : "Le dirigeant à l'épreuve de l'opinion", Pearson Village Mondial.

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