Promenade dans l'Art à La Haye

Des oeuvres du XVIIème siècle à celle de Mark Rothko, découverte de la richesse artistique exposée à La Haye. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire du Plan

Avec le Thalys, vous pouvez dans la journée aller à La Haye, en revenir et visiter quelques musées. Les inconvénients : le prix, un lever dès potron- minet, les queues devant les musées, les risques de trains en retard et de mauvais temps. J'ai connu au retour le premier risque mais j'ai bénéficié de la belle lumière du nord rasante sur les canaux.

Le Mauristhuis, la maison de Maurice, fut la demeure du stathouder Jean Maurice de Nassau. Construite au XVII ème siècle dans un style classique, le palais brûla au début du 18è et fut reconstruit. Il hébergea la collection (200 œuvres) de Guillaume V d'Orange Nassau, qui en fit don à l'état. Les Hollandais disent que l'éphémère roi de Hollande (1806/1810) Louis Napoléon, le père de Napoléon III, livra à son frère la collection et que de nombreux parisiens vinrent admirer au Louvre le gigantesque taureau de Paulus Potter dans la campagne batave.

 Des tours gâchent le paysage

A proximité de cet ensemble classique, des tours et autres immeubles de grande hauteur gâchent le paysage. Des tours, pourquoi pas, mais pas là. Depuis 1820, le Mauristhuis est un musée ouvert au public. Fermé pendant deux ans pour des travaux de rénovation, il vient de rouvrir. Une grande entrée a été aménagée en dessous du niveau du canal. Un jeu d'ascenseurs en verre a été ajouté. Les murs ont été recouverts de tentures damassées mais le plafond du deuxième étage décoré d'une peinture moderne agressive et stridente a été conservé. L'éclairage a été amélioré, petites fenêtres en verre blanc style 17ème, lustres de Murano (pourquoi pas des lustres hollandais en cuivre ?) et des LED aux reflets mal contrôlés.

Le palais comprend 14 salles d'exposition sur deux niveaux avec des couloirs étroits et des recoins. Il réunit 800 œuvres (peintures du nord du 16 au 18è siècle). Visite reposante par rapport au Louvre.

Beaucoup d'œuvres connues

Beaucoup d'œuvres sont connues. D'abord, la « Vue de Delft » de Vermeer. Je l'avais vue il y a quelques dizaines d'années lors d'une exposition à l'Orangerie. J'avais eu beaucoup de peine à repérer le fameux petit « pan de mur jaune » cher à Marcel Proust. Depuis, le tableau a été nettoyé, le jeu des lumières est parfait et le petit pan de mur jaune est bien visible. C'est beau. Faut-il pour autant mourir d'extase, comme Bergotte devant le tableau ? Parmi les autres Vermeer, l'entremetteuse et la jeune fille à la perle au châle bleu (celle de l'affiche), qui est presque aussi connue  que la Vue; la toile avait été achetée pour une bouchée de pain début 19 è, alors que Vermeer était peu apprécié.

Les Rembrandt sont aussi célèbres, en commençant par la grande leçon d'anatomie et ses bourgeois qui regardent plus le public que le cadavre ou le chirurgien. Les autres toiles du maître sont superbes : deux noirs, la Présentation, Homère, Andromède, Vieillard à la chaîne d'or, une Suzanne au bain et un curieux portait sur cuivre. Les Holbein sont exceptionnels (Portait à l'épervier de Robert Cheseman). Le voisin catholique du sud, Rubens, est présent : un paradis terrestre merveilleux coproduit avec Breughel (les oiseaux et les fleurs) et une vieille femme. Des paysages de Ruysdaël, deux grands portraits de Franz Hals, des Van Dyck, une émouvante descente de croix de Roger Van Der Weyden, des Jan Steen et des natures mortes...Cerise sur le gâteau, le charmant et petit chardonneret enchaîné, un trompe l'œil de Carel Fabritius.

La collection du magnat de l'acier Henry Clay Frick

 Une trentaine d'œuvres, toutes de grande qualité, de la Frick Collection est rassemblée dans un salon du second étage. Pendant les travaux, le Mauritshuis avait envoyé quelques uns de ses chefs d'œuvre à New-York et il en est remercié par cette exposition, accessible avec le billet du musée. Henry Clay Frick, ce magnat de l'acier briseur de grèves, un « baron-voleur » anobli par ses acquisitions, avait interdit le prêt des œuvres de sa collection. Mais il a eu le mérite d'avoir une fille Helen, une remarquable collectionneuse et l'interdit ne vaut pas pour ses achats. La collection est éclectique et toutes les œuvres exposées fort belles: Cimabue, Memling (Portait d'un homme), Van Eyck (la Vierge et l'Enfant avec en arrière plan la ville de Bruges) Breughel, des portraits de Gainsborough, des paysages de Reynolds (le cheval blanc) et de Ruysdael (plus beaux que ceux du musée) Guardi.

Quelques français : Bouchet (médiocre) Corot, l'énigmatique comtesse d'Haussonville d'Ingres et une sculpture de la Renaissance, que je n'avais pas remarquée lors de ma visite de la Frick en 2012 : un grand ange en bronze à la robe plissée, aux ailes immenses et à l'expression sereine ; ce chef d'œuvre est le travail d'un fondeur lyonnais de canons, Jean Barbet, dont je n'avais jamais entendu parler. Autre sculpture remarquable, la délicate Béatrice d'Aragon, en marbre, de Francesco Laurana (15ème siècle).

 Mark Rothko au Geementemuseum

 Le Geementemuseum ou Musée municipal est une construction intéressante. Réalisé dans les années 30, d'inspiration arts déco, l'édifice vu de loin ressemble à une usine américaine de l'époque : murs en briques jaune, faible hauteur, deux cheminées, volumes géométriques, grandes coursives, avec un avantage, le canal qui la borde. A l'intérieur, beaucoup de lumière, un éclairage zénithal, des carrelages, un restaurant qui ressemble à un atelier d'usine d'un seul tenant sous une verrière.

Le musée héberge des collections permanentes, que je n'ai pas vues, et des expositions. L'exposition phare est Mark Rothko. Deux parcours sont possibles. Celui de droite est fondé sur la chronologie de ce juif russe immigré aux Etats-Unis, de l'évolution de son art (art figuratif, surréalisme, expressionisme abstrait) aux grands évènements de sa vie, qui a mal tourné (dépressions, alcoolisme, divorce, suicide) Dans une salle sont accrochées des œuvres de Mondrian, avec qui il est souvent comparé et dont le musée possède la collection la plus importante. Pour ceux qui considèrent que Rothko est le peintre américain le plus important des années 50, ce parcours plaira. Ce n'est pas mon cas. Ma préférence va au parcours de gauche, plus émotif. Il met en valeur les très grandes toiles cernées de couleurs de la National Gallery de Washington présentées dans des sortes d'alcôves et une semi obscurité. Le lieu est propice à la méditation, la couleur vous envahit et un sentiment de plénitude s'empare de vous. Toujours du côté gauche la chapelle œcuménique de Houston est simulée en 3D, sur les murs un tryptique de toiles sombres incite également à la méditation.

Au même niveau, au premier, exposition du sculpteur néerlandais, Hans Hovy : des objets rose et blancs, en albâtre et en stéatite, de forme généralement rondes et plus ou moins érotiques. C'est plaisant à regarder.

Dernière exposition, séduisante, le costume romantique, à partir de costumes de films et de séries télévisées.

 Une sorte de RER ramène à Rotterdam où vous retrouvez le Thalys. C'est l'heure de la sortie des bureaux. Les Néerlandais se pressent, plus grands que les parisiens et moins métissés.

 Pierre-Yves Cossé

Février 2015

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