Ecran total !

HOMO NUMERICUS. L'addiction aux écrans est désormais considérée comme un trouble psychologique. Les enfants en sont les premières victimes. Par Philippe Boyer, directeur relations institutionnelles et innovation à Covivio.
(Crédits : DR)

Par un drôle de hasard que seule l'actualité estivale en a le secret, deux faits, en apparence éloignés l'un de l'autre, sont presque passés inaperçus alors qu'un lien singulier les unit. À quelques jours d'intervalle, nous apprenions le décès de Michel Manini, réalisateur historique de « Bonne nuit, les petits », émission entrée dans la culture populaire ayant marqué plusieurs générations de téléspectateurs alors que simultanément les autorités chinoises publiaient de nouvelles règles pour limiter l'exposition des plus jeunes aux écrans.

L'écran nuit aux petits

Au centre de ces deux actualités, la notion d'écran avec d'un côté, celui de la télévision distillant, pendant près de trente années, ce court programme censé faciliter l'endormissement des enfants au son des notes de pipeau de la marionnette du marchand de sable.

De l'autre, l'omniprésence d'écrans de smartphones et tablettes sur fond de volonté d'empêcher les plus jeunes, au-delà de 22 heures, d'accéder aux plateformes et réseaux sociaux dans un but de santé publique ; en l'occurrence la lutte contre l'addiction des plus jeunes aux écrans. Concrètement, les fabricants de smartphones et concepteurs de plateformes de ce pays devraient se voir imposer de nouvelles obligations, à l'instar de la création d'un mode « mineur » que les parents pourront paramétrer.

À cela s'ajouteront des limites en fonction de l'âge : pour les moins de 8 ans, quarante minutes quotidiennes d'internet mobile, une heure pour les 8-16 ans et deux heures pour les 16-18 ans. Passé ce délai, les smartphones seraient programmés pour éteindre les applications, sauf celles explicitement autorisées par les parents.

Enfin, et au terme de trente minutes d'utilisation continue, les parents devraient recevoir une alerte. Bref, un dispositif complet et pensé pour lutter contre cet « opium mental* ». S'il y a quelques dizaines d'années en arrière, l'écran de la télévision dominait, et avec lui, à destination des enfants, des programmes spécifiques à l'instar de « Bonne nuit, les petits », désormais l'écran (celui des smartphones, tablettes)... nuit aux petits.

Mal du siècle

Si la Chine est frappée de ce plein fouet par ce mal du fait de sa digitalisation accélérée au cours de ces vingt dernières années, la planète entière l'est tout autant. Avec le recul, l'on sait que la surexposition des enfants aux écrans est en passe de devenir le mal du siècle, et avec lui d'autres maux tels que l'inactivité physique, la difficulté de se concentrer ou encore l'apparition d'un sentiment de solitude en particulier chez les adolescents.

Pour le dire autrement : dès que la communication électronique devient la norme par défaut, la santé mentale des enfants en pâtit. Il y a quelques mois, à l'occasion de la préparation proposition de loi relative à la prévention de l'exposition excessive des enfants aux écrans, quelques chiffres éloquents étaient mis en avant : 728 heures en tant que durée moyenne d'exposition annuelle aux écrans des enfants âgés de 3 à 10 ans dont un tiers des enfants âgés de 0 à 3 ans prenant leur repas devant un écran. Ou encore, et pour les 7-12 ans, plus de 9 heures passés chaque semaine sur internet contre 6 pour les 1-6 ans.

À cela s'ajoutent plusieurs heures passées devant des écrans de jeux vidéo et enfin quelques heures restantes devant l'écran de la télévision familiale. Parfois, la multiplicité de tous ces écrans (télévision, jeux vidéo et internet) fonctionnant simultanément.

Protection de l'enfance

Certes, il ne s'agit pas de se contenter de condamner l'usage des écrans car ceux-ci peuvent s'avérer être de formidables outils pour éveiller la curiosité et développer les connaissances. Pour autant, la question régulièrement posée par plusieurs États est celle de l'aliénation numérique et de ses conséquences en termes de santé mentale des enfants.

Fin de l'année dernière, et à l'occasion du Forum de la Paris sur la paix, il y eut même l'initiative française de créer un « laboratoire pour la protection de l'enfance en ligne » avec pour illustration ce message adressé directement à Elon Musk, dont le milliardaire venait de faire l'acquisition de Twitter (désormais rebaptisé « X ») : « Will the bird protect our children ? » (« L'oiseau protégera-t-il nos enfants ? ») en référence à l'ancien logo de ce réseau social en forme d'oiseau bleu.

À l'appui de nombreuses études scientifiques, il a été maintes fois démontré que l'excès d'écran perturbe les interactions sociales sans parler des effets sur la santé tant en termes de sommeil, d'alimentation, d'acquisition du langage ou de la gestion des émotions.

Autant de constats scientifiques ayant incité plusieurs procureurs d'États nord-américains à attaquer en justice quelques grandes firmes du numérique, dont Meta, suite aux révélations de la lanceuse d'alerte Frances Haugen, aux motifs que le géant des réseaux sociaux était forcément au courant, en raison de ses propres recherches, des dégâts psychologiques causés par Instagram chez les enfants et adolescents.

Tirer parti de la technologie

Au-delà de ce constat alarmant, quelles idées ou solutions pour parvenir à endiguer ce phénomène de cette surexposition des enfants aux écrans ? En la matière, et à la différence des mesures radicales chinoises qui s'imposeront aux fabricants d'appareils, plusieurs pistes existent pour tenter de contrecarrer les effets dévastateurs d'un excès d'écran pour les enfants.

D'abord, inclure le « B-A-BA » de la gestion des écrans à destination des parents et des enfants, à l'instar de ce que propose plusieurs scientifiques tel Serge Tisseron. Cette pédagogie de base étant destinée à éduquer, avoir un avis critique, déjouer les pièges (cyberharcèlement, lutte contre la pornographie accessible aux enfants)... Bref, faire ou parfaire l'éducation au numérique et singulièrement à éclairer la relation enfants/écrans.

Ensuite, tirer parti de la technologie en ce que cette dernière permet déjà, par exemple, de faire respecter des périodes « sans écran » pendant la semaine de l'enfant via un blocage de l'utilisation d'un smartphone ou d'une tablette pendant des jours de la semaine ou certaines heures de la journée. L'idée n'étant pas de priver physiquement les enfants de téléphones ou d'ordinateurs pendant ces périodes sans écran, car un tel sevrage imposé pourrait se transformer en une boulimie numérique, mais de tirer parti de la technologie elle-même en installant des « bloqueurs » sur une box familiale ou sur un appareil concerné.

Enfin, et à l'instar du « modèle chinois », peut-être que l'avenir devrait passer par le fait d'imposer aux constructeurs de smartphones la création de nouvelles fonctionnalités - au-delà, par exemple d'applicatifs Apple déjà existants tels que « temps d'arrêt » ou « limites d'app » - permettant aux parents d'être sûr que leurs enfants découvriront positivement le monde vis les écrans. Efforçons-nous de rester positifs face à ce fléau même si, anecdote troublante, Steve Jobs, fondateur d'Apple, avait interdit à ses enfants l'utilisation de l'iPad :

« À la maison, nous limitons l'utilisation des gadgets technologiques ».

L'histoire ne dit pas si, en revanche, il autorisait ses enfants à être fidèles à l'émission « Bonne nuit, les petits »...

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(*) Expression citée par Olivier Babeau in « La tyrannie du divertissement », Buchet-Chastel

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Commentaire 1
à écrit le 31/08/2023 à 15:20
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Et, on peut parier, que l'on continuera à gérer les conséquences au lieu d'intervenir sur la cause !

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