Empereur Mark

HOMO NUMERICUS. Facebook est utilisé par plus de 2 milliards de personnes dans le monde. L'essai « Dans la tête de Mark Zuckerberg » tente de cerner la personnalité du fondateur du premier réseau social. Par Philippe Boyer, directeur de l’innovation à Covivio.
Philippe Boyer
(Crédits : DR)

Outre sa passion pour le code et les mathématiques, Mark Zuckerberg aime l'Histoire. Plus exactement, la période de la Rome antique. De tous les empereurs romains, Auguste (63 avant J.-C / 14 après J-C) semble même avoir sa préférence. Petit neveu de Jules César, Auguste réussit à conquérir tous les pouvoirs de l'Empire en mettant fin aux guerres civiles, préalable à l'instauration de la Pax Romana et au déploiement d'un immense empire à cheval sur plusieurs continents. C'est en septembre 2018, dans un long entretien au New Yorker, que Mark Zuckerberg avoua son admiration pour cet empereur-bâtisseur.[1] À cette date, Facebook, sur le point de célébrer son quinzième anniversaire, approchait les 2 milliards d'utilisateurs et la « Pax Facebooka » s'étendait sur tous les continents. Mieux qu'Auguste et tous les autres empereurs Romains réunis.

Si Facebook n'en finit pas de faire la Une des journaux en raison de sa capacité à presque tout savoir sur ses utilisateurs ou encore, pour d'autres commentateurs, de constituer une menace pour la démocratie (on se souvient, en 2014, de l'affaire Cambridge Analytica et l'exploitation de 87 millions de comptes Facebook ayant servi à influencer les intentions de votes), on en oublierait presque que derrière le « F » de ce GAFA, il y a son co-fondateur, Mark Zuckerberg, 36 ans, quatrième personne la plus riche du monde. Celui-ci à la tête d'un groupe créé en 2004, présent sur les cinq continents via quatre grandes plateformes (Facebook, Instagram, Messenger et WhatsApp) et qui pèse près de 650 milliards de dollars en bourse. Au-delà de l'image médiatique et people de cet entrepreneur, qui n'a jamais rêvé d'entrer « Dans la tête de Mark Zuckerberg[2] » ? C'est chose faite avec un livre récent qui dissèque le parcours et la personnalité de celui qui cristallise admiration et rejet.

Messianisme technologique

Ici, nul besoin de psychanalyste pour essayer de comprendre ce qui se passe dans la tête du patron de Facebook. Grâce à l'analyse d'un grand nombre d'archives et de témoignages, se révèle la personnalité de celui qui fut le héros (malgré lui) du film : « The social network[3] », lorsqu'en 2010 le réalisateur David Fincher, décrivit les coulisses de la création de « TheFacebook.com», d'abord un annuaire Web destiné à connecter les étudiants d'Harvard. Depuis les origines de ce projet qui devint réalité en 2004, les ambitions de Mark Zuckerberg n'ont pas varié : connecter le plus grand nombre possible d'individus afin de rendre Facebook indispensable du fait de la variété d'informations, le plus souvent personnelles, à la disposition de tous. Fasciné par la psychologie des foules (à Harvard, la psychologie fut d'ailleurs sa « majeure » devant l'informatique), Mark Zuckerberg a sans doute réalisé son rêve au-delà de ce qu'il imaginait : mettre les technologies (puissance de calcul) au service de l'individu (biologie), dussent celles-ci empiéter sur la vie privée.

Scandales à répétition

Dans l'absolu, ce messianisme technologique n'a pas de limite. Ce qui est vrai à l'échelle d'un campus, l'est tout autant pour un pays ou pour tous les continents. Partout, toujours, cette volonté de « répandre la prospérité et la liberté, de rassembler et construire une communauté mondiale et de sortir les gens de la pauvreté et d'accélérer la science » pour reprendre le contenu d'un long manifeste paru en 2017, et signé Mark Zuckerberg, sur le site du réseau social[4]. Ce que « Dans la tête de Mark Zuckerberg » met en lumière, ou plutôt nous rappelle car l'actualité de ces dernières années s'en est déjà largement chargée, ce sont les écarts entre ces déclarations humanistes et la réalité de ce réseau social. La seconde faisant perdre à la première une bonne partie de sa crédibilité à l'aune de qu'il est désormais commun d'appeler, les « scandales Facebook » : ingérence russe dans les élections américaines, Cambridge Analytica, piratage de comptes utilisateurs, diffusion en direct du massacre de Christchurch en Nouvelle-Zélande.... Tous ces écarts essentiellement liés à des insuffisances de modération des contenus publiés, des algorithmes trop obscurs capables d'orienter des choix de visionnage ; le tout sur fond de monétisation des informations personnelles mises en ligne par les utilisateurs eux-mêmes.

« Zuck, chef d'État »

Dans le chapitre intitulé « Zuck, chef d'État », l'ouvrage revient sur une idée un temps présente dans les médias : Mark Zuckberg briguera-t-il un jour la présidence des Etats-Unis ? Bien peu de faits militent en faveur de cette hypothèse. Outre que le co-fondateur de Facebook, en dehors de son pays, est déjà reçu comme un véritable chef d'Etat5, son « empire » n'a rien à envier à celui des présidents en exercice. Le « sien » rassemble déjà plus de 2,2 milliards de convertis qui pourraient potentiellement devenir utilisateurs d'une cryptomonnaie universelle, la Libra[6], si celle-ci devait un jour voir le jour. À ces conditions, l'empire Facebook n'aurait plus qu'à couronner son « empereur Mark », par ailleurs indéboulonnable grâce à son contrôle de plus de la moitié des droits de vote de son groupe.

Lors de son dernier passage en Europe, il y a quelques jours, Mark Zuckerberg a appellé à la mise en place d'une régulation adaptée aux plateformes, y compris la sienne, tout en se disant prêt à lutter contre les contenus nuisibles. Le créateur serait-il prêt à reconnaitre que sa créature lui a en partie échappée ? C'est en tout cas le message que lui a fait passer le commissaire à l'Industrie, Thierry Breton : « Quand vous avez un tel pouvoir sur la société, il faut vous comporter de manière responsable[7]. » L'avenir dira si ce propos aura trouvé un écho chez celui qui avoua une passion pour cette Rome antique capable d'avoir su ériger un véritable empire. De tous les empereurs, Auguste, son préféré, fut l'un de ceux qui apporta un élan décisif à cette construction et au développement de la splendeur de Rome : « J'ai trouvé Rome en briques et l'ai quittée en marbre. » Seulement voilà, tous les empires sont mortels.

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BIBLIO

Dans la tête de Mark Zuckerberg, par Julien Le Bot, aux Éditions Actes Sud (novembre 2019), 384 p.

Dans-la-tete-de-mark-zuckerberg

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NOTES

1 https://www.newyorker.com/magazine/2018/09/17/can-mark-zuckerberg-fix-facebook-before-it-breaks-democracy

2 https://www.actes-sud.fr/catalogue/sciences-humaines-et-sociales-sciences/dans-la-tete-de-mark-zuckerberg

3 https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=147912.html

4 https://www.facebook.com/notes/mark-zuckerberg/building-global-community/10154544292806634

5 https://www.youtube.com/watch?v=1_WM_Iuc-VQ

6 https://www.latribune.fr/opinions/blogs/homo-numericus/libra-vous-832275.html

7 https://www.lepoint.fr/technologie/ce-qu-il-faut-retenir-des-annonces-de-mark-zuckerberg-19-02-2020-2363352_58.php

Philippe Boyer

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Commentaires 2
à écrit le 06/03/2020 à 8:49
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Peut-être le futur président du monde, nos néolibéraux feraient mieux d'arrêter de s'acharner sur fb dans le seul nom de notre oligarchie financière aliénée par sa cupidité, la démocratie numérique dont les GAFA ont intérêt ne peut que se réaliser. ...

à écrit le 06/03/2020 à 8:21
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et en relisant mon post, je constate que les reseaux recurrents de reconnaissance vocale sont encore loin d'etre parfaits vu les coquilles! cqfd !

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