J'irai flasher sur vos tombes

HOMO NUMERICUS. Le QR code est devenu une icône numérique. Sorti de l'imagination d'un logisticien passionné de jeu de go, et désormais omniprésent depuis la mise en œuvre du passe sanitaire, ce petit carré noir et blanc n'arrête pas d'engranger de nouvelles fonctionnalités jusqu'à devenir le symbole incontournable de nos vies hyper-numérisées. Par Philippe Boyer, directeur relations institutionnelles et innovation à Covivio.
Philippe Boyer
Les cimetières n'échappent pas à la déferlante des QR codes depuis que plusieurs sociétés proposent aux proches des défunts de faire apposer un petit carré pixélisé sur les tombes pour permettre aux visiteurs d'en apprendre plus sur les personnalités inhumées.
Les cimetières n'échappent pas à la déferlante des QR codes depuis que plusieurs sociétés proposent aux proches des défunts de faire apposer un petit carré pixélisé sur les tombes pour permettre aux visiteurs d'en apprendre plus sur les personnalités inhumées. (Crédits : Adangelis)

Au Japon, l'art du meishi-koukan, ou « échange de cartes de visite », est un rituel incontournable. Il consiste à remettre sa carte de visite à une personne que l'on rencontre pour la première fois, et cela, selon un cérémonial très codifié.

Debout et face à face, chacune des deux personnes tient sa carte de visite par les angles en la présentant à l'autre, tout en prenant le temps de lire en détail les informations imprimées sur le petit morceau de carton imprimé que son interlocuteur lui tend. Ne pas se plier à ce cérémonial ou bien le bâcler - plier la carte de visite, écrire dessus, l'empocher précipitamment... -  est considéré comme un acte des plus discourtois.

Bien plus qu'une simple information professionnelle, le meishi-koukan s'apparente à une offrande personnelle. Au Japon, on ne rigole pas avec la tradition.

Sauf que, dans ce pays, ce rituel du « don de sa personne » au moyen d'un petit carton imprimé tend à perdre du terrain depuis que Masahiko Hara [1], un Japonais (c'est un comble), inventa le fameux QR-code.

QR code à la portée de tous

Depuis la pandémie, il n'est plus nécessaire d'avoir ou de se transmettre « en main propre » un document imprimé, qu'il soit menu de restaurant, billet de train, de spectacle ou encore carte de visite.

Comme par magie, tout cela peut désormais se faire au moyen de ces mystérieux carrés, fait de lignes et de signes, et qui intègrent trois autres carrés dans les coins. Composé d'un maximum de 7.089 caractères, le QR code (en anglais « Quick Response Code » soit « code à réponse rapide ») possède l'énorme avantage de pouvoir embarquer toutes sortes d'informations numériques : photos, textes, vidéos, nom, adresse, téléphone, entreprise, e-mail, lien internet, blog, comptes de réseaux sociaux...

Au Japon comme ailleurs, quelques secondes suffisent pour créer gratuitement un QR-code en se rendant sur l'un des milliers de sites internet qui le proposent, puis de l'intégrer à une carte de visite, à la signature d'un e-mail ou, pourquoi pas, l'imprimer sur un tee-shirt si l'on est tenté par l'idée de « se faire flasher » par des inconnus avides d'en savoir plus sur le contenu de ce symbole. Bref, et plus encore depuis la pandémie, l'efficacité du QR code s'impose. Adieu rituel du meishi-koukan, bonjour efficacité technologique.

J'irai flasher sur vos tombes

Né de l'idée de Masahiko Hara, en charge d'améliorer la traçabilité des pièces détachées circulant dans les usines Toyota, c'est à l'occasion d'une partie de jeu de go qu'il eut l'intuition que cette matrice carrée, combinant points noirs et blancs, pouvait, en la codant, inclure un grand nombre d'informations. Le QR code était né.

D'abord à usage industriel pour faciliter l'identification de pièces d'automobiles en lieu et place des traditionnels codes-barres, trop limités en termes de stockage d'informations, cette matrice faite de carrés noir et blanc eut un démarrage poussif jusqu'à sa généralisation récente, au point de devenir, dans l'urgence de la crise Covid, l'emblème de la résistance sanitaire de nos sociétés.

Aujourd'hui, cette technologie s'est immiscée partout dans nos vies et tout est désormais matière à flasher un QR code avec son smartphone.

Les cimetières n'échappent pas à la règle depuis que plusieurs sociétés [2] proposent aux proches des défunts de faire apposer un petit carré pixélisé sur les tombes pour permettre aux visiteurs d'en apprendre plus sur les personnalités enterrées. Si Boris Vian était encore notre contemporain, gageons qu'il aurait pu titrer son roman J'irai flasher sur vos tombes...

Des QR codes comestibles

L'avenir du QR code se profile donc comme radieux. Les exigences renforcées en matière de traçabilité des produits ou la multiplication des nouveaux usages (revente, réparation, reconditionnement, location...) font que les jours du code-barres sont comptés au profit du QR code, sorte de sceau universel connu et reconnu par tous.

Celui-ci pourrait d'ailleurs servir à de nouvelles fonctionnalités médicales, par exemple. Au Danemark [3], des chercheurs travaillent sur cette idée de médicaments qui pourraient être imprimés sous forme de QR codes fabriqués à base d'encre comestible pouvant contenir des substances prescrites. De telles « impressions » permettraient aux patients de s'assurer que ce qu'ils s'apprêtent à ingurgiter n'est pas contrefait ou qu'il s'agit du bon remède. Reste à fabriquer les imprimantes industrielles pour passer en production...

De nouvelles générations de QR codes en préparation

Rien ne semble plus arrêter la déferlante QR code. Outre qu'elle devrait encore se poursuivre dans ses versions actuelles, ce carré aux propriétés presque magiques devrait encore évoluer du fait de nombreuses autres innovations à l'étude : production de QR codes sécurisés (SQRC [4]) pour créer et lire des codes uniques contenant à la fois des données publiques et privées empêchant toute utilisation malveillante, création de codes personnalisés que chacun porterait sur soi (sous forme de tatouage ?) afin de rassembler des données de santé, édition de QR codes colorisés... autant de nouvelles pistes destinées à faire de ce « sceau » un incontournable de nos vies numériques puisqu'il embarquera toujours plus d'informations personnelles.

Dans ces conditions, faisons le pari qu'à l'avenir, il pourrait devenir banal de se flasher les uns les autres... tout comme nous le faisons déjà couramment pour inventorier ou connaître les caractéristiques d'un produit ou d'une pièce détachée d'automobile.

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NOTES

1 https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/comme-personne/masahiro-hara-le-papa-du-qr-code-1316552

2 https://www.auctusvitae.com/

3 https://packagingeurope.com/news/digital-qr-codes-on-pills-offer-customised-patient-care/8508.article

4 https://www.denso-adc.com/fr/sqrc-3/

Philippe Boyer

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Commentaire 1
à écrit le 02/02/2023 à 7:21
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Laissez Boris reposer en paix loin de vos inventions surperfetatoires. Ne rien laisser apres sont passage, la, reside le vrai. L'existence, pretention d'avoir existe, raison d'etre des cimetieres.

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