Je suis en froid avec mon frigo (connecté)

BLOG. Un réfrigérateur connecté fait du zèle et prend des initiatives en faisant tourner ses algorithmes. « Yves », dernier film du réalisateur Benoît Forgeard, explore le potentiel (comique) des objets connectés. Une réflexion sur les nouvelles technologies. Par Philippe Boyer, directeur de l’innovation à Covivio.
Philippe Boyer
Philippe Boyer, directeur de l’innovation à Covivio.
Philippe Boyer, directeur de l’innovation à Covivio. (Crédits : DR)

Le hasard fait parfois bien les choses. A la recherche d'un ilot de fraicheur pour échapper à ce week-end caniculaire, le cinéma s'est avéré être l'endroit rêvé pour trouver un peu d'air climatisé. Ironie du sort, ce même hasard me guida même vers le seul film pour lequel il ne restait plus que quelques places disponibles, « Yves », l'histoire d'un réfrigérateur qui ne fait pas que du froid. Nous voici plongés dans un futur proche où les produits électroménagers connectés se muent en personnages.

Un frigo pour héros

A priori, et sauf à regarder de plus près l'affiche, rien ne permettait de se douter que cette histoire, forcément « givrée », allait parler d'internet des objets avec, pour héros, un frigo connecté, supérieurement « intelligent ». Réflexion sur les nouvelles technologies, le scénario met en scène « Jérem », apprenti rappeur à l'inspiration aussi vide que son compte en banque, qui voit sa vie chamboulée par l'arrivée dans son appartement d'un réfrigérateur intelligent, dénommé « Yves ». Non content de conserver ses bières à température idéale et de se préoccuper, avec zèle, du réassort de ses bacs et étagères, l'appareil, développé par une start-up, la bien nommée « Digital Cool », épaule son bienheureux propriétaire dans toutes les tâches de son quotidien jusqu'à, peu à peu, prendre le pouvoir sur son existence. Les algorithmes de ce frigo allant même jusqu'à composer un véritable tube au succès de courte durée pour Jérem du fait d'un procès en droits d'auteur, pour déterminer qui, de l'homme ou de la machine, Jérem ou Yves, peut se prétendre le véritable compositeur d'un morceau de musique. Comédie déjantée, atypique et subversive à la fois, portée par d'excellents acteurs (William Lebghil, Doria Tillier et Philippe Katerine), un tel scenario aurait tout aussi bien pu être imaginé par Charlie Brooker, père de la série dystopique, « Black Mirror ».

Les objets connectés se nourrissent de nos vies

S'il fallait reprocher une seule chose au réalisateur, ce serait qu'il ne s'est pas aventuré assez loin dans la description de la réalité du monde des objets connectés qui ont désormais le potentiel technologique pour tracer nos vies dans les moindres détails. Le scénario de ce film n'aurait rien perdu de son attrait si « Jérem » avait reçu un courriel de son assureur le convoquant pour lui signifier qu'il allait être obligé de renégocier les conditions de son assurance vie (imaginons qu'il en ait une...) ou de son assurance voiture en raison de son niveau trop élevé de consommation d'alcool, celle-ci nettement supérieure à sa déclaration à la signature de ces deux contrats.

Faciliter la prévention

Comment l'assureur aurait-il pu être aussi précisément informé de tout cela ? De manière très simple puisque « Yves », ce cher frigo connecté, s'étant régulièrement chargé de transmettre rapports et photo aux parties prenantes mentionnés dans ses algorithmes, sachant alerter au passage lorsque des seuils « anormaux » pointaient. Pour se défendre, notre rappeur aurait pu arguer qu'il ne fallait pas tenir compte de tout cela car de tels « pics alcooliques » pouvaient simplement s'expliquer par le nombre, certes peut-être trop fréquent, de fêtes qu'il avait tendance à régulièrement organiser à son domicile. Rien de bien grave en somme, tout au plus se chargerait-il, c'est promis, de rappeler à l'ordre quelques-uns de ses amis « bois-sans-soif ». Pauvre « Jérem » qui ignorait que cet argument-là allait aussi lui revenir tel un boomerang. Sur un ton posé, l'assureur venait de lui expliquer que sa page Facebook, bien évidemment accessible par « Yves », frigo connecté et désormais « ami et confident », avait permis de faire remonter à la surface quelques clichés de soirées bien arrosées qui ne laissaient aucun doute sur son penchant pour la boisson. Compte tenu de ces circonstances, « Jérem » ne couperait pas à une surprime assortie d'une obligation de démontrer à « Yves » qu'il s'est définitivement rangé.

Nous vivons au milieu des objets connectés

Si « Yves » repose d'abord sur le potentiel comique des objets connectés appliqués à l'univers de la domotique, la réalité est que nous sommes désormais entourés de milliards de ces capteurs, souvent à notre insu. Que ceux-ci permettent aux assureurs de différencier les bons des mauvais risques et partant de différencier des tarifs grâce à l'analyse des données recueillies ou, plus largement, de nous inciter à consommer en analysant chaque moment de nos vies, voire de nous surveiller « pour notre bien », c'est une évidence, nous sommes désormais cernés par ces objets connectés. La phase ultime de cette numérisation étant de faire jouer au corps le rôle de support. Nul besoin de regarder un épisode de Black Mirror pour envisager cette réalité puisque cela existe déjà, certes en phase expérimentale, en Suède et au Canada. Via une puce sans contact placée sous la peau1, le corps se transforme en un « objet » qui communique avec les machines.

Il faut se rappeler que les pionniers de l'informatique n'envisageaient pas l'ordinateur comme un moyen de remplacer l'homme, mais comme une nouvelle ressource destinée à le rendre plus puissant, afin qu'il se libère des organisations. S'il existe une version de l'avenir dans laquelle les machines (en y intégrant les objets connectés) supplantent les Hommes et font disparaitre l'humanité, il en existe aussi une autre, plus optimiste, où les machines sont mises au service d'une économie au service du progrès humain. Reste à savoir si ce cher réfrigérateur fait partie de cette deuxième catégorie, condition pour que nos relations avec ces machines se réchauffent.

Bel été et rendez-vous en septembre !

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NOTE

1 https://bfmbusiness.bfmtv.com/hightech/en-suede-la-puce-sous-la-peau-entre-dans-le-quotidien-1444804.html

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Philippe Boyer

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Commentaires 3
à écrit le 02/07/2019 à 14:18
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Est ce que dans l'avenir on pourra encore acheter un réfrigérateur non connecté ? Pire, pourra t on le déconnecter? Fonctionnera t il non connecté ? Idem pour la voiture connectée qui roule toute seule... Dans connecté il y a "con..", comme dans "co...

à écrit le 02/07/2019 à 12:21
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Il faut se rappeler que l'envol de l'informatique était constitué de cartes perforés utilisés pour ficher tous les non compatibles de l'Allemagne nazi! Vos objets connectés seront le futur oeil des forces de l'axe Moscou/Pékin! Avec en parallèle un...

à écrit le 02/07/2019 à 10:17
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Comme le dit, disait, je ne sais jamais quel temps employer, Nietzsche, la machine est le le plus haut produit de l'intelligence et de l'évolution humaine mais de ce fait elle a besoin de l'humain qui ainsi ne peut qu'être diminué à l'employer. D...

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