Mourir peut attendre

HOMO NUMERICUS. La fragilité de la vie et la finitude humaine sont remises en cause par des idéologies qui s'appuient sur les avancées des nouvelles technologies. Par Philippe Boyer, directeur relations institutionnelles et innovation à Covivio.
Philippe Boyer
« Homme augmenté », « transhumanisme »... les promesses d'allongement de la vie que font miroiter les gourous de la tech renvoient à deux questions qui ont toutes le même sous-jacent : notre rapport à la mort. (Photo d'illustration : une femme déguisée en Catrina, figure emblématique de la Fête des Morts - le Dia de muertos -, salue lors d'un défilé précédant le jour des morts à Monterrey, au Mexique, le 27 octobre 2019.
« Homme augmenté », « transhumanisme »... les promesses d'allongement de la vie que font miroiter les gourous de la tech renvoient à deux questions qui ont toutes le même sous-jacent : notre rapport à la mort. (Photo d'illustration : une femme déguisée en Catrina, figure emblématique de la Fête des Morts - le Dia de muertos -, salue lors d'un défilé précédant le jour des morts à Monterrey, au Mexique, le 27 octobre 2019. (Crédits : Reuters)

Aux États-Unis, la marque Liquid Death[1] (« Liquide mortel ») fait un malheur. Pour cette start-up californienne créée en 2019 et déjà valorisée 700 millions de dollars, il s'agit tout simplement de vendre de l'eau plate dans des canettes en aluminium. Dépassant ce paradoxe que de promouvoir une boisson saine dans un emballage polluant, Liquid Death a acquis sa notoriété fulgurante sur l'idée de « tuer la soif ».

Dans une sorte de revival californien de « memento mori », formule du christianisme médiéval enjoignant aux fidèles de se rappeler que nous sommes tous mortels, le marketing décalé de Liquid Death fait mouche : la mort est tournée en dérision car, c'est bien connu, l'eau c'est la vie.

Coup de génie marketing de cette marque consistant à transgresser le tabou millénaire de la mort en ressuscitant le mythe de la fontaine de jouvence, celle-ci désormais à consommer en canettes pour la modique somme de 15 dollars le pack de douze... Mortel !

Soigner la vieillesse et tuer la mort

Est-ce un hasard si Liquid Death est née en Californie ? Sans doute pas car c'est dans cet État que s'est épanouie l'idéologie de cet « humain augmenté » qui professe que, par les avancées de la génétique et des nouvelles technologies, il serait possible de repousser l'âge de la mort, voire, promesse et délire ultimes, rien moins que la faire disparaître.

Du côté de San Francisco, les thuriféraires de ce rêve transhumaniste sont connus : Raymond Kurzweill, chercheur au MIT et conseiller chez Google, le physicien Peter Diamandis, l'entrepreneur Peter Thiel (PayPal, Palantir...), l'écrivain et "technoprophète" Zoltan Istvan, fondateur du Parti transhumaniste en 2014 et candidat à l'élection présidentielle américaine de 2016, ou, dans son genre, le tout nouveau patron de Twitter, Elon Musk, qui, grâce à Neuralink[2], travaille sur le développement d'implants cérébraux d'interfaces directes avec le cerveau pour soigner des personnes souffrant de problèmes neurologiques ou psychiatriques.

D'autres, à l'instar de Jeff Bezos, avec son investissement dans Altos Labs[3], parient sur le fait que vieillir serait une maladie comme une autre qu'il faudrait donc soigner en s'attaquant aux racines du vieillissement plutôt qu'à ses effets.

Certitude de notre finitude

Au final, toutes ces actions destinées à faire naître cet Homme augmenté s'inscrivent dans la recherche du Graal qui permettra de surmonter la sempiternelle question de notre finitude. De ce fait, les promesses d'allongement de la vie que font miroiter ces gourous de la tech renvoient à deux questions qui ont toutes le même sous-jacent : notre rapport à la mort.

Si la première question est d'ordre scientifique - serait-il possible que nous puissions retarder l'entrée dans la vieillesse pour vivre en bonne santé pendant très longtemps ? -, l'autre question est, elle, de nature éthique et philosophique : est-il souhaitable et voudrions-nous repousser nos limites naturelles au point de faire de la mort un éventuel « accident de parcours », pour ne pas dire un « bug » et non plus la certitude de notre finitude ?

Rapport à la mort

Il est vrai que la crise sanitaire nous a obligé à nous pencher sur notre condition de mortel et à réexaminer notre rapport à la mort. Celui-ci ayant déjà considérablement évolué depuis les années 1960, période à laquelle les grandes religions promettant la transcendance et la résurrection post-mortem, ont perdu en influence.

De ce fait, la promesse chrétienne de la « mort de la mort » s'est sécularisée et se fait concurrencer par d'autres idéologies qui valorisent l'image de cet Homme augmenté, mi-Homme, mi-robot, grâce auquel il pourrait être possible d'échapper à notre destin.

Voulons-nous de cet « Homme augmenté » ?

Perfidement, la question de savoir si notre désir de « nous augmenter » ne serait finalement pas la marque de notre diminution mentale peut être posée. Si l'on considère que cet artefact humain doté de microprocesseurs et de gènes codés pourrait un jour devenir une réalité, qu'aurait encore d'humain cet Humain éternel ?

Sans doute infiniment moins de chose que cet Homme « non augmenté » mais finalement infiniment plus vivant et accompli qui sait que la valeur de la vie tient à son intensité et à sa fragilité. Certes, nous stagnerons dans notre condition de mortels mais des mortels qui choisissent d'utiliser, ou pas, des machines pour conduire sa vie.

Allez, en cette fête de la Toussaint, jour des Saints et des défunts, l'ouverture d'une canette de « Liquid Death » me fera le plus grand bien...

______

NOTES

1https://liquiddeath.com/

2https://neuralink.com/

3https://altoslabs.com/

Philippe Boyer

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Commentaires 5
à écrit le 31/10/2022 à 20:44
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Oui mourir peut attendre, on a vu ça pendant leur covid.. 95% des plus de 70 ans ont survécus. Mais il était important de mettre sous clé, 100% de la population.

à écrit le 31/10/2022 à 20:43
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Oui mourir peut attendre, on a vu ça pendant leur covid.. 95% des plus de 70 ans ont survécus. Mais il était important de mettre sous clé, 100% de la population.

le 31/10/2022 à 23:57
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D ou sortez vous vos chiffres … de bonux?

le 01/11/2022 à 9:51
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@brehat dit ginette Si l'on reprend les chiffres actuelles ,il y aurait 150.000 morts du Covid dont près d'une moitié qui étaient obèse et au bout de deux ans et onze mois maintenant sur 67 millions de français.Donc que 95% des plus de 70 ans soi...

le 01/11/2022 à 11:23
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Qui pour décider ceux qui devraient être confinés et sur quelle base ?

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