Ecologie énergétique et usage massif du cloud sont-ils inconciliables ?

OPINION. Pour répondre à cette question, qu’il est d’autant plus légitime de se poser au regard du changement de paradigme que nous vivons dans notre utilisation de services cloud, il est nécessaire à la fois de regarder ce que le passé et l’expérience nous apprennent, et d’analyser les tendances futures. Par Jérémie Peuf, alumni et esponsable de la majeure 5A cloud et infrastructures à l'ESIEA*.
Notre monde s'oriente vers une multiplication des objets connectés (TV, smartphone...) et consommateurs de services cloud (réseaux sociaux, streaming...) qui, mécaniquement, ne feront qu'augmenter l'impact environnemental du numérique.
Notre monde s'oriente vers une multiplication des objets connectés (TV, smartphone...) et consommateurs de services cloud (réseaux sociaux, streaming...) qui, mécaniquement, ne feront qu'augmenter l'impact environnemental du numérique. (Crédits : Pixabay / CC)

Ces derniers mois ont forcé bon nombre d'entreprises à opérer une transformation digitale brutale - sans transition, sans "Change Management" - via le renforcement ou l'implémentation d'outils majoritairement cloud. Transformation qui aurait pris des mois, à grands coups (coûts!) de prestations de conseil pour un résultat probablement moins abouti. Les services cloud, au sens large, permettent en effet de limiter l'impact économique de la crise liée au coronavirus pour nos entreprises, assurant ainsi une continuité de leur business.

Il y a quelques années encore, nous aurions qualifié cette réalité de pure utopie, face aux manques d'infrastructures, de logiciels, et aux méfiances des directions des systèmes d'Informations réticentes à s'engager sur ces technologies. Mais à l'heure de ce changement structurel dans nos manières de fonctionner, et face également aux enjeux environnementaux auxquels nous sommes plus attentifs, n'est-il pas légitime de s'interroger sur l'impact écologique de ce transfert massif de données vers le cloud? De l'utilisation intensive de logiciels et services hébergés sur ces infrastructures?

Une décennie d'optimisations logicielles et matérielles

Prenons les choses dans l'ordre. Il convient dans un premier de temps de rappeler que les technologies inventées ces 10-12 dernières années permettent une utilisation optimisée des ressources en datacenters. Si avant la virtualisation, l'utilisation moyenne des processeurs des serveurs en entreprise avoisinait les 15%, cette dernière a permis d'atteindre des seuils autour de 80-85% via la mise en commun des ressources et le surprovisionning (qui permet d'allouer virtuellement plus de ressources qu'il n'en existe physiquement).

L'axe matériel a également connu son lot d'optimisations, même s'il est souvent oublié, via l'implémentation en datacenters de serveurs aux alimentations plus efficientes (les 80% de rendement sont loin derrière nous), et la montée en puissance des processeurs, tout en réduisant leurs besoins en énergie. Certains scientifiques évoquent une efficience énergétique multipliée par quatre sur la dernière décennie, ce qui signifie que les serveurs sont capables d'effectuer quatre fois plus d'opérations pour la même consommation électrique.

Quels progrès sur les infrastructures?

Si ces deux axes contribuent à minimiser l'impact environnemental d'une utilisation massive du cloud, la majeure partie du travail est venue de l'évolution des infrastructures mises en oeuvre par les géants de l'hébergement (Amazon, Google, Microsoft, Apple, etc.). Historiquement, les entreprises avaient l'habitude de stocker leurs données dans de petits datacenters, voire des coins de bâtiments, qui n'étaient absolument pas conçus, ni pensés, pour cette utilisation. Dans ce monde, adieu les espoirs écologiques ! La construction de datacenters gérés par de grandes entreprises technologiques a considérablement changé cette situation: les bâtiments sont pensés et structurés, uniquement, pour cela. La recherche d'efficience y est maximale.

L'urbanisation du datacenter, via notamment la mise en place des allées chaudes/allées froides, a limité de façon importante l'utilisation de la climatisation, très gourmande en énergie. A titre d'exemple, une grande entreprise de transport urbain français a, sur son dernier datacenter, un fonctionnement en free cooling (sans climatisation) tant que la température extérieure ne dépasse pas 27 degrés. Et les leaders du cloud n'hésitent pas à aller beaucoup plus loin dans leurs approches : construction de datacenters dans des zones géographiques froides ; construction de datacenters sous l'eau (Microsoft) utilisant la température de l'océan pour refroidir les serveurs ; utilisation de l'eau communale comme système de refroidissement (Google). Les initiatives sont
nombreuses... et créatives! Vient s'ajouter la consommation, voire la production, d'énergie massivement issue des renouvelables (Amazon affichant une consommation supérieure à 50% d'énergie verte en 2018).

Un futur moins green, à défaut d'une rupture technologique?

Tout cela pour dire quoi ? Une étude de la revue Science, publiée en février 2020, affirmait que la consommation énergétique n'avait augmenté que de 6% entre 2010 et 2018, malgré un nombre de datacenters multiplié par 5 dans le monde, un trafic réseau par dix et le stockage par 25.  S'il y a 10 ans les experts prédisaient une explosion des besoins énergétiques du cloud, la réalité leur donnerait-elle tort ? Sur cette décennie, il semblerait que oui, mais pour le futur ce n'est pas si sûr?

Plusieurs éléments sont à prendre en considération pour les années à venir. Premièrement, il est probable que la majeure partie des optimisations énergétiques aient déjà été implémentées, au sens où les futures technologies apporteront certes des gains, mais bien moindres que le chemin parcouru.
Deuxièmement, notre monde s'oriente vers une multiplication des objets connectés (TV, smartphone...) et consommateurs de services cloud (réseaux sociaux, streaming...) qui, mécaniquement, ne feront qu'augmenter l'impact environnemental du numérique.
Enfin, l'émergence de certains services cloud, tel que le gaming dont les offres se multiplient ces derniers mois, laisse présager une forte hausse de la consommation énergétique des datacenters dans le monde, certaines études évoquant une consommation d'énergie doublée.
En conséquence, il est structurellement impossible, à défaut d'une rupture technologique importante, de voir cette consommation baisser. Bien entendu l'utilisation massive d'énergie verte est un vecteur, mais si cette énergie est utilisée pour les datacenters, elle ne l'est plus pour le reste du monde, faisant ainsi reculer ainsi l'horizon sociétal d'un futur autosuffisant en énergie verte.

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*L'ESIEA est l'École supérieure d'informatique électronique automatique, désormais École d'ingénieurs du monde numérique.

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Commentaires 3
à écrit le 21/05/2020 à 19:46
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Les autres questionS qu’il est nécessaire de poser sont: qui fabrique les serveurs? Qui possède les datacenters? Qui fournit les outils d’administration des datacenters? Toutes les briques technologiques sont américaines, chinoises ou indiennes. En E...

à écrit le 21/05/2020 à 11:42
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Pourquoi stocker l’inutile ?( maintenir l’information en livres et papier , c’est un socle ) Pour optimiser les réseaux il faudrait créer des informations flexibles et qui s’effacent automatiquement , Internet ça reste «  un outil » faut pas en faire...

le 21/05/2020 à 16:31
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Exacte... Le cloude s'est un moyen de favoriser le pirate ... Inutile et couteux en energie .

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