Nucléaire : ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent

Par Philippe Mabille  |   |  1215  mots
(Crédits : DR)
VOTRE TRIBUNE DE LA SEMAINE. « Atomic Macron » fait turbiner Belfort, avec un plan "gaullo-pompidolien" aux accents vintage de relance du nucléaire. Une réponse aux tensions sur les prix de l'énergie dans un climat de guerre du gaz en Europe ? Oui, mais aussi, assurément, un coup de com très « culotté », à deux mois de la présidentielle.

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Un EPR, ça va, six EPR, c'est bien mieux, et pourquoi pas 14... Moins de deux ans après avoir fermé la centrale de Fessenheim en Alsace (qui marchait très bien), « Atomic Manu » a opéré, à deux mois du premier tour de la présidentielle, un virage à 180 degrés et relancé, à Belfort, en présence de Jean-Pierre Chevènement, un maxi-plan de construction de nouveaux réacteurs nucléaires.

Retour vers le futur: près d'un demi-siècle après le plan Messmer (pour les « non-Boomers », ce Messmer est aussi connu pour avoir inauguré le périphérique parisien en tant que Premier ministre d'un président Pompidou qui disait: « Les Français aiment la bagnole »), l'actuel président Emmanuel Macron fait le choix « culotté » -se vante-t-on à l'Élysée- de planter du nucléaire partout où ce sera possible. Pour citer une autre figure politique du 20e siècle, Edgar Faure, « ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent »...

Avec cette décision majeure, qui succède au compromis européen sur la taxonomie verte qui classe le nucléaire (comme le gaz) parmi les énergies dites « de transition », Macron referme la parenthèse Hollande qui avait signé en 2012 un compromis bancal avec les Verts en promettant de réduire à 50% de la production totale, la part du nucléaire dans le mix énergétique français. Si Macron est réélu en avril, non seulement  la France va construire 14 EPR de plus, mais elle renoncera à la fermeture des centrales existantes en prolongeant leur durée de vie. Et elle relancera la recherche sur les mini-réacteurs modulables (SMR), un enjeu pour les années 2030... Bref, on n'a pas fini de consommer de l'atome et de maintenir nos soldats au Sahel (pour sécuriser notre approvisionnement en uranium)... Le tout se passe presque sans aucun débat : le Vert Yannick Jadot a beau dénoncer un état « d'ébriété énergétique », les Français ont bien compris qu'ils n'ont pas vraiment le choix s'ils veulent continuer à disposer d'une électricité abondante à un prix abordable. Votre Tribune a suivi de très près cette semaine atomique. Retrouvez la chronique de ce « quoi qu'il en coûte » énergétique dans notre grand dossier : Nucléaire, le plan gaullo-pompidolien de Macron.

Droit dans ses bottes, Emmanuel Macron assume : « Aujourd'hui, la France fait un choix. Celui du progrès, du climat, de l'emploi, du pouvoir d'achat. Celui de son indépendance. » Mais il reste pourtant encore beaucoup de zones d'ombre : combien et quand, par exemple, car le financement du plan Macron n'est pas clair comme de l'eau de roche, fut-elle radio-active...

Le plan industriel reste plein d'incertitudes : même si EDF a enfin signé le rachat des turbines à vapeur Arabelle de l'ex-Alstom à l'américain GE, Marc Endeweld raconte dans une longue enquête les points noirs de cette négociation secrète pilotée directement par l'Elysée. Derrière le coup de com' des turbines, c'est bien une filière nucléaire française en pleine crise qui doit repartir à la bataille. Que d'années  perdues, que de compétences oubliées à reconstruire. Un fiasco industriel dont la facture de Flamanville donne une idée...

Alors que la France accuse un déficit commercial abyssal en 2021, comme le souligne Grégoire Normand - ce qui est un bon signe car, en France, quand la croissance va, le solde extérieur explose, on se souvient de la relance solitaire de 1981... -, la renaissance du nucléaire français pourrait-elle être une bonne nouvelle à l'export ? À condition que l'EPR 2 soit moins compliqué à construire que le 1... Et ce n'est pas gagné tant sont gigantesques les défis financiers et industriels à relever, avec un EDF en bien mauvaise posture, remarque Marine Godelier.

Indépendance énergétique nucléaire d'un côté, souveraineté technologique de l'autre... Emmanuel Macron, qui préside aussi l'Union européenne, a un plan ambitieux pour que l'Europe soit indépendante aussi dans le numérique, souligne Sylvain Rolland. Mais, rappelle Grégoire Normand, cette relance industrielle ne pourra se faire que si l'Allemagne et la France surmontent leurs divergences, sur la politique énergétique notamment.

S'il est un domaine où la France excelle aussi, en attendant le nucléaire civil de nouveau avec le plan Macron, c'est bien l'exportation d'armes. Le Rafale de Dassault continue d'accumuler les cartons, avec une nouvelle commande de 42 appareils en Indonésie, qui s'ajoute aux 80 des Émirats Arabes Unis, aux 55 de l'Égypte, aux 18 de la Grèce, aux 12 d'occasion de la Croatie, aux 36 du Qatar et autant de l'Inde... 195 Rafales vendus à l'export, pas mal pour un avion « invendable » ! L'Indonésie, ce 8e pays client du Rafale, nous achètera aussi des sous-marins Scorpène, sans doute plus que deux, espère Michel Cabirol, notre spécialiste Défense qui note ce rebond de la France en zone Indo-Pacifique après le coup dur de l'Aukus.

Dans ce monde qui se réarme et où, malgré le dîner d'État Poutine/Macron, la tension persiste aux frontières de l'Ukraine au point de faire grimper les prix du blé, après ceux du gaz (à quand le chèque baguette ?), difficile de se passionner pour la campagne présidentielle française. « La guerre pour les places remplace la lutte des classes », écrit notre chroniqueur politique Marc Endeweld. Au-delà de l'accélération des ralliements à Macron, à commencer par Eric Woerth, l'entrée en lice du chef de l'Etat ne saurait tarder avec une campagne express qui pourrait tourner en appel à l'union nationale contre la montée de l'extrême-droite, rêve-t-on au Château.

Parmi les sujets chauds à venir en février-mars, la colère contre le pass vaccinal qui monte au point que le gouvernement envisage de le supprimer fin mars, sans même attendre le convoi de la liberté, qui inquiète le préfet de Police de Paris. Prix de l'essence, plus chère déjà qu'au moment des "Gilets Jaunes", inflation galopante... les questions sociales et de pouvoir d'achat commencent à devenir inflammables. Parmi les sujets explosifs: le logement, comme le relève l'économiste Robin Rivaton dans un rapport où il décrit « une bombe sociale à venir ». Que proposent donc les candidats ? César Armand fait le tour des programmes des différents candidats déclarés et relève qu'ils sont encore peu convaincants sur le sujet du logement, pourtant devenu le premier poste de dépense contrainte des ménages.

La Tribune profite de cette période électorale propice aux confrontations d'idées pour lancer un nouveau format, le Pour/Contre. Grégoire Normand a ainsi interrogé Cécile Duflot, d'Oxfam France, et le député LREM Roland Lescure à propos d'un sujet qui commence à faire parler : faut-il, oui ou non un impôt sur la fortune prenant en compte l'orientation écologique de ses placements, ce que Yannick Jadot ou Anne Hidalgo appellent l'« ISF Vert ».

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Alors que l'e-commerce atteint de nouveaux records de revenus et dépasse 15% du commerce de détail en France, retrouvez ici le dossier de La Tribune sur cette onde de choc qui chamboule nos vies et nos villes.