
Sacré vendredi 14 avril ! Le même jour, presque à la même heure, on a appris en même temps la décision du Conseil constitutionnel sur les retraites et le nouveau record historique de clôture du CAC 40, pour la première fois de son histoire au-dessus des 7500 points. Un signe de bonne santé sinon pour l'économie en tout cas pour les plus grandes multinationales françaises et en particulier le secteur du luxe tiré par la réouverture de la Chine. En une journée, Bernard Arnault, l'homme le plus riche du monde selon le classement de Forbes -que le milliardaire regarderait d'heure en heure-, s'est enrichi de 12 milliards d'euros. Presque autant que ce que va rapporter chaque année la réforme des retraites d'Emmanuel Macron et son controversé report de l'âge légal de départ à 64 ans.
Quel rapport, direz-vous ? Aucun, mais le siège de LVMH a pourtant été la cible des manifestants qui ont envahi le siège de l'empereur du luxe Avenue Montaigne jeudi, la veille de la réunion finale de notre Cour suprême. Aux cris de « Il est là, l'argent des retraites ». Une invasion qui a eu lieu le jour même où le groupe a annoncé des ventes record au premier trimestre, d'où sa flambée en bourse. En admettant, ce qui est évidemment absurde, que l'on « nationalise » les 233 milliards d'euros d'actions LVMH détenues par le fortuné Bernard Arnault, cela ne paierait qu'une quinzaine d'années du déficit de nos retraites, et encore, en restant à 62 ans. Parce que avec la retraite à 60 ans voulue par certains nostalgiques de Mitterrand, la fortune de tous nos champions du luxe, les fameux Khol (Kering, Hermès, L'Oréal, LVMH) n'y suffirait pas. Nos riches partiraient à l'étranger et les dizaines de milliers d'emplois de ce secteur disparaîtraient. Bon, il est peu probable que cet argument puisse convaincre la gauche ultra...
Cela étant, les trois mois de manifestations contre la réforme des retraites le démontrent : la France a un sérieux problème que la déclaration de conformité à la Constitution de la loi Macron sur les 64 ans ne résoudra en rien. Un an seulement après son élection en mai 2022, Emmanuel Macron est dans une impasse politique totale. Pas de majorité et une démocratie sociale en colère. L'intersyndicale ne s'est pas désunie et refuse de se rendre à l'invitation du chef de l'Etat mardi si la loi est promulguée. Ce qui a été le cas dés samedi matin, ultime provocation selon Laurent Berger. Faute de voir les syndicats, le président s'exprimera dans une allocution lundi soir, pour préciser le cadre du dialogue qu'il veut renouer sur des thèmes précis.
Rendez-vous est donné pour la fête du Travail le 1er mai, date à laquelle pour la première fois depuis la dernière guerre, l'ensemble des syndicats défileront ensemble sous la même bannière : « Non aux 64 ans ! » En réalité, Emmanuel Macron n'a pas le choix constitutionnellement : dans son cheminement démocratique, il était de toutes façon obligé de promulguer la loi dans les quinze jours. En revanche, c'est sans doute le dernier espoir des opposants, il est encore possible que les décrets d'application de la réforme soient retardés. De fait, il est difficile d'imaginer que le décalage de trois mois par an de l'âge de départ s'applique en septembre sans les mesures dites « sucrées » prévues par le gouvernement pour les seniors, mesures invalidées par le Conseil Constitutionnel.
C'est là-dessus que veut jouer Emmanuel Macron : après un temps de « cicatrisation », après le 1er mai donc, le président de la République qui affiche, bravache, sa devise « ne rien lâcher » en visitant le chantier de Notre-Dame, espère secrètement un épuisement du mouvement avec les congés de Pâques. Son projet : proposer une loi Travail qui reprendra l'index et le contrat senior et adoucira l'impact d'une loi désormais déséquilibrée du fait de la censure partielle du Conseil Constitutionnel. Mais aussi d'autres revendications apparues pendant ce mouvement social inédit depuis mai 1968 : hausse des salaires - Elisabeth Borne vient de prendre un décret de revalorisation de 2,2% du Smic et appelle les entreprises à augmenter les bas salaires pour éviter un écrasement de la hiérarchie des rémunérations -, inégalités de carrières entre les femmes et les hommes, expérimentations de la semaine de quatre jours, compte épargne-temps universel, sans oublier la reprise dans la loi de l'accord ANI patronat-syndicats sur le partage de la valeur et son cortège de mesure en faveur de l'épargne salariale et l'actionnariat salarié...
Ni vainqueurs, ni vaincus, vraiment ?
La Première ministre, dont l'horizon semble s'être allongé jusqu'à l'été, a assuré hier qu'il ne doit y avoir « ni vainqueurs, ni vaincus » au terme de ce conflit. Des mots d'apaisement qui montrent qu'il y a deux lignes à la tête de l'Etat entre Emmanuel Macron qui veut tourner la page le plus vite possible et accélérer le tempo pour affirmer son autorité et une Elisabeth Borne qui sait que son temps est compté et veut désormais sortir de cette crise la tête haute.
Au final, un sacré gâchis et de gros dégâts sociaux et politiques qu'il sera difficile de panser. Car si c'est bien Emmanuel Macron qui est en train de gagner son bras de fer avec le mouvement social, en imposant aux Français qui n'en voulaient pas le deuxième report de deux ans de l'âge de la retraite en dix ans, c'est une victoire au goût de défaite politique car la colère de la foule ne s'apaise pas. Elle s'explique peut-être aussi par le sentiment que ce n'est sans doute pas la dernière réforme et que le prochain horizon sera la retraite à 67, voire 70 ans pour que nos enfants aient une retraite. On n'est donc pas prêt de voir disparaître des manifs la jeune Mathilde (photo), la militante d'Alternatiba Paris (également assistante parlementaire d'une députée LFI), devenue y compris sur les chaînes d'infos américaines l'égérie de la contestation en dansant sur de la musique techno en tête de cortège pour rendre le mouvement social plus cool... Au risque qu'on lui rappelle, à l'âge de la retraite, la fable de La Fontaine, éternelle : « vous chantiez, j'en suis fort aise, et bien, dansez, maintenant ! »
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