Rarement décision du Conseil constitutionnel n'avait été autant attendue. Et c'est sûrement un grand « ouf » de soulagement qu'a ressenti le chef de l'Etat en l'apprenant. Mais si c'est une bonne nouvelle pour Emmanuel Macron puisque sa réforme des retraites passe la validation du Conseil Constitutionnel, et notamment le report de l'âge légal de 62 à 64 ans, la suite n'en reste pas moins difficile à écrire. Le chef de l'Etat a quinze jours pour promulguer la loi. Il est probable qu'il ne tarde pas, lui qui espère rapidement passer à autre chose. « Tenir le cap est ma devise », assurait-il ce vendredi matin, avant l'annonce.
Affronter une contestation qui va se radicaliser
La première difficulté va être de gérer la contestation, qui perdurera à sa réforme, fut-elle adoptée. Déjà émaillée de tensions ces derniers jours, la mobilisation va se poursuivre ici et là, et rassembler uniquement les plus radicaux. Certains syndicats comme la CFDT ont déjà expliqué que pour eux la décision des Sages serait « légitime ». Mais tous ne l'entendent pas ainsi. Cette validation est donc loin de marquer un point final à la contestation, comme en témoignent plusieurs mobilisations spontanées qui se sont mises en place dans plusieurs villes dès l'annonce de cette décision. L'Etat déployait d'ailleurs d'importants dispositifs de sécurité.
Les poussées de violence sont attendues, surtout que la plupart des dispositions invalidées par le Conseil sont considérées comme les dispositions les plus favorables aux travailleurs, parmi elles, l'index senior - dont le patronat ne voulait pas-, mais aussi le référendum d'initiative populaire (RIP). De quoi irriter encore un peu plus les opposants. Pour autant, un deuxième RIP a été déposé et l'avis du Conseil sera rendu le 3 mai.
Un lien à recréer avec les syndicats
Quelques minutes avant l'annonce de la décision du Conseil constitutionnel, le chef de l'Etat a fait savoir qu'il proposait aux partenaires sociaux de les recevoir mardi. Et d'ajouter « quelle que soit la décision ...Ce sera nécessairement le début d'un cycle... (...) La porte de l'Elysée restera ouverte pour ce dialogue » mais « sans préalable ».
Cette invitation devrait rester lettre morte. La CFDT n'était pas contre un échange avec le Président, mais Laurent Berger le chef de file du syndicat réformiste avait fait savoir qu'il souhaitait un délai de convalescence. Emmanuel Macron n'en a pas tenu compte, en proposant un échange rapide. Énième illustration, si besoin en était encore, de la profonde divergence et animosité qui existent entre le Président et le syndicaliste, devenu dans cette séquence, comme son premier opposant.
La CGT, elle, n'était pas favorable à cette rencontre si l'ordre du jour ne comprenait pas le retrait de la réforme. Sophie Binet, la nouvelle patronne du syndicat, a refusé tout net.
De son côté, François Hommeril, le leader de la CFE-CGC expliquait ce vendredi : « Si Emmanuel Macron veut nous réunit pour nous annoncer qu'il a décidé de retirer la loi, oui, on va y aller... mais si c'est pour détourner l'attention des Français de ce qui fait le sujet de la crise démocratique, ça va être difficile. »
Si cette proposition de rencontre a donné lieu à des débats au sein de l'intersyndicale, qui depuis plus de 2 mois maintenant avance main dans la main, elle s'est soldée par un échec. En effet, ce vendredi soir, soucieuse de montrer le maintien d'une forme d'unité, l'intersyndicale a publié un communiqué commun, dans lequel elle signifie qu'elle ne souhaite pas rencontrer le président avant le 1er Mai. Elle appelle « solennellement » aussi le chef de l'Etat « à ne pas promulguer le texte ». Un appel comme un dernier coup dans l'eau.
L'intersyndicale prévoit toutefois de se réunir dès lundi prochain, pour définir des suites à donner au mouvement. Mais il est peu probable que les centrales envisagent une nouvelle journée d'action, comme les douze précédentes organisées depuis janvier Elles ont prévu de se retrouver, dans un cadre un peu spécifique, le 1er mai prochain, à l'occasion de la fête internationale du travail, pour une manifestation unitaire et populaire.
Mais, après la validation par le Conseil de cette réforme, et une fois le 1er mai passé, quid de cette alliance des 8 centrales ? Une recomposition syndicale est à prévoir.
Reconquérir l'opinion.
Ce sera peut-être le défi le plus difficile et le plus insidieux pour Emmanuel Macron. Alors que les Français restent très partagés sur le fond de cette réforme, la décision du Conseil constitutionnel promet de laisser des traces, notamment dans son électorat. Car au-delà de la mesure phare, - le report de l'âge-, ce texte restera comme inédit dans sa forme - adoption via un 49.3, d'un Projet de loi rectificatif de la Sécurité sociale - et dans son adoption. Pour de nombreux Français, ce parcours législatif révèle un affaiblissement de la démocratie. Il comporte le risque d'accentuer l'éloignement avec le politique, et y compris la macronie.
Dans ce contexte, Emmanuel Macron veut très vite reprendre la main et s'adresser dès la semaine prochaine aux Français. La forme n'est pas encore déterminée. « Il entend reprendre les rencontres avec eux, dès que l'ambiance dans le pays sera un peu retombée », assure son entourage. Le chef de l'Etat veut embarquer le pays autour de nouveaux sujets, comme la loi Plein emploi - dont les mesures chercheront à améliorer les carrières, et revoir le rapport au travail. Pour retrouver du souffle, tant sa personne aussi était visée. Pas simple dans un contexte d'inflation élevée, - notamment l'alimentaire, où la crainte est que la révolte contre la réforme des retraites, se porte désormais contre le coût de la vie.
Renouer avec Elisabeth Borne
Cette séquence aura tendu les liens entre Emmanuel Macron et sa Première ministre. Cette dernière est d'ailleurs la première à avoir réagi à la décision du Conseil constitutionnel, via un tweet, teinté d'apaisement : « Il n'y a ni vainqueur, ni vaincu » A charge pour elle, toutefois, de réussir à calmer les mouvements de contestation, de réconcilier les Français, de retrouver une forme de crédibilité. Mais aussi de retisser les liens avec les syndicats, les élus et sa majorité. Et, enfin, de redonner du dynamisme à cette première année de quinquennat. Sans quoi, son sort pourrait être vite scellé.
Ressouder une majorité affaiblie
Enfin, la Macronie sort éprouvée et fragilisée par ces trois mois de conflit. Entre ceux qui n'approuvent pas la réforme, ceux qui sont partagés, ceux qui ont pris des coups... comment blesser les plaies et retrouver une unité ? Au-delà des élus Renaissance, ce dossier des retraites a aussi rendu plus complexes les relations avec des groupes comme Horizons ou le Modem. La question des futurs alliés va aussi se poser.
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