Football et homophobie  : la loi, pour l’éthique et contre la morale

La vive polémique provoquée par quelques joueurs de football refusant de porter le maillot arc-en-ciel lors de la 35e journée du championnat de France dédiée à la lutte contre l'homophobie investigue deux sillons : l'un est moral, l'autre est légal. Comme souvent, les deux ne font pas « bon ménage », empruntant des directions (parfois) harmonieuses, (fréquemment) discordantes selon le prisme retenu. La loi protège (heureusement) la liberté de conviction, mais qu'en est-il, ou plutôt que devrait-il en être lorsque cette liberté de conviction s'oppose à une action de l'employeur aussi généreuse et nécessaire que la lutte contre l'homophobie ? Le cas de figure est exemplaire des conflits qui opposent l'éthique (intime) et la morale (collective) arbitrés par le droit (universel).
(Crédits : Brendan McDermid)

L'homophobie est un poison hautement résistant, auquel le monde du football... résiste avec peine. Le 17 mai était décrétée Journée internationale de lutte contre l'homophobie, et le week-end précédent, dans le cadre de la 35e journée des championnats de France de Ligue 1 et de Ligue 2, la Ligue de football professionnel décidait d'associer les clubs à une campagne de sensibilisation, baptisée « Homos ou hétéros, on porte tous le même maillot ». Objectif : porter un maillot spécialement floqué arc-en-ciel ou un brassard aux mêmes couleurs. Depuis, la somme des polémiques continue de faire rage. Des joueurs des clubs professionnels de Guingamp, de Toulouse, de Nantes ont refusé de se draper des tuniques, provoquant un déferlement d'anathèmes (souvent) ou de compréhension voire de soutien (parfois). Les critiques et les condamnations se sont polarisées sur l'identité religieuse ou culturelle des dissidents, de confession musulmane supposée ou avérée.

Curieusement, quelques mois plus tôt, qui s'était insurgé que le pays hôte de la Coupe du monde soit coupable d'agissements homophobes, « persécute, emprisonne et torture les personnes LGBT+, les privant de leurs droits les plus fondamentaux » comme le rappelait une tribune publiée (dans Ouest France) par des associations ? Un pays dont l'un des ambassadeurs de la Coupe du monde interrogé le 8 novembre 2022 sur la chaine publique allemande ZDF, qualifiait l'homosexualité de « dommage mental » ?

Qui s'était ému que le gardien de l'équipe de France Hugo Lloris tourne casaque, et finalement refuse le brassard « One love » qu'il avait promis quelques semaines plus tôt de porter ? Deux poids deux mesures. Dénoncer l'homophobie se teinte de nuances, semble-t-il, en fonction des circonstances ; on hurle lorsqu'une poignée de bien regrettables attitudes - au nom de l'universalité des droits humains, principe dominant dans l'Hexagone, rien ne peut justifier une discrimination - émanent d'étrangers et/ou de musulmans en France, on se tait lorsque les joueurs de l'équipe de France font honteusement allégeance au pays, ouvertement homophobe, organisateur d'une fête de tous les excès.

Le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide

Et l'incohérence n'est pas nouvelle. En 2022, Idrissa Gueye, star du PSG, avait refusé de porter le même maillot lors de la quatrième édition de la campagne de sensibilisation. La direction du club (qatari) n'avait manifesté aucune réprimande publique pour le milieu de terrain « absent pour raisons personnelles ». Le comité national de l'éthique de la Fédération française de football avait fustigé l'attitude du joueur, coupable de « valider les comportements discriminatoires, le refus de l'autre, et pas uniquement à l'égard des personnes LGBTQI+ ». Dans son pays le Sénégal, très majoritairement musulman et qui punit par la prison les pratiques homosexuelles, même le Président de la République Macky Sall l'avait publiquement soutenu, exhortant à respecter ses convictions religieuses. Illustration que le nuancier des critères éthiques et moraux est d'une infinie variété en fonction du lieu (culturel, confessionnel, politique, historique) d'où l'on se positionne.

Oui, bien regrettable est le comportement de Mostafa Mohamed (FC Nantes), de Donatien Gomis (EA Guingamp), de Saïd Hamulic, Moussa Diarra et Zakaria Aboukhlal (Toulouse FC). Tout aussi regrettable est celui des joueurs qui se sont fait porter pâle ce même week-end pour échapper au dilemme et donc à la stigmatisation et à l'opprobre. Il est regrettable, et plus encore insupportable, inacceptable, que les convictions religieuses - ou autres : le déferlement homophobe dans le monde du football (comme l'ont montré pendant longtemps les chants et les gestes des supporters dans les gradins) et l'immense difficulté des joueurs homosexuels à exprimer leur coming out témoignent d'un climat homophobe totalement étranger aux injonctions confessionnelles -, ne puissent pas s'effacer devant la « simple » défense du droit, inaliénable, d'être libre de son orientation sexuelle, d'être l'égal de tout autre quelles que soient ses aspirations affectives. « On ne leur demande pas de défiler sur un char à la Gay Pride, simplement d'être solidaires contre l'homophobie », a raison de clamer Yoann Lemaire, président de Foot Ensemble. Toutefois, plutôt que de focaliser le débat sur quelques joueurs en rupture de la campagne de sensibilisation et de nourrir l'hystérie de la fachosphère, n'est-il pas plus juste de souligner que la quasi totalité des 750 joueurs (les fidèles culturels et/ou cultuels de l'islam composant une partie certainement significative du contingent) des Ligues 1 et 2 ont affiché leur soutien au mouvement ?

Un droit limpide

Le sujet éthique et moral que soulèvent ces quelques dissidents dépasse l'événement. Quiconque s'intéresse au football sait que la gestion des sportifs pendant la période du ramadan requiert des ajustements, parfois des aménagements, des compromis. Quiconque pratique le football amateur a fait le constat que des clubs dans lesquels évolue une majorité de musulmans adaptent certaines coutumes (comme la composition du pot d'accueil post-rencontre). Quiconque, surtout, s'écarte du ballon rond saisit combien ledit sujet éthique et moral épineux investigue un sujet de droit limpide, auquel tout employeur peut être confronté.

Comme l'explique l'avocat spécialisé en droit du travail David Jaboulay (Réseau Molière), « il est absolument clair qu'aucun employeur ne peut pas, en principe, obliger un salarié à défendre une cause, une communauté, un combat de nature politique ou sociétale. La liberté de conscience est inaliénable ; si le salarié estime que soutenir cette cause contrevient à ses « valeurs », il n'est nullement tenu de s'y associer. En l'occurrence, tout footballeur, lié à son club par un contrat de travail, est soumis à une discipline - respecter le règlement intérieur, appliquer les instructions du coach, adopter un comportement digne d'un sportif de haut niveau et qui n'affecte pas l'image du club, etc. Si les couleurs du club sont traditionnellement arc-en-ciel, il a bien sûr l'obligation de porter le maillot ainsi floqué. Mais lorsque le maillot porte, inhabituellement et en soutien d'une cause particulière, les mêmes couleurs, il est tout à fait en droit de refuser ».

Gesticulations médiatiques, sanction surprenante

Les gesticulations médiatiques de la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castera ou du porte-parole du gouvernement Olivier Véran appelant à sanctionner les joueurs dissidents n'y feront rien. Si leur colère est moralement sensée, leur réclamation est juridiquement insensée. Et leur respect de l'éthique, par nature personnelle, pourra apparaître floué. Que faire lorsque l'éthique (personnelle) d'un individu s'oppose à la morale (collective) d'une nation ? Et aux règles communautaires d'une entreprise ? L'arrêt 21-15.208 de la Cour de cassation prononcé le 9 novembre 2022 est sans équivoque. Un salarié de la société Cubik Partner a obtenu l'annulation de son licenciement, sur la foi d'arguments juridiques explicites : « Le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l'exercice par le salarié de sa liberté d'expression, liberté fondamentale, entraine à lui seul la nullité du licenciement ». Licenciement qui était fondé sur « le comportement critique du salarié et de son refus d'accepter la politique de l'entreprise basée sur le partage de la valeur « fun and pro » (notamment la participation à des séminaires et aux pots de fin de semaines alcoolisés), sur l'incitation à divers excès qui participent de sa liberté d'expression et d'opinion, sans qu'un abus dans l'exercice de cette liberté ne soit caractérisé ».

En l'occurrence, si la direction de l'équipe toulousaine n'a pas manifesté de sanction à l'égard de ses joueurs récalcitrants, celle du FC Nantes a agi différemment et a puni son joueur égyptien d'une amende. Interrogée sur la justification a priori... injustifiable de la sanction et donc sur son fondement juridique, une source du club requérant l'anonymat avance une explication sibylline : « Nous ne communiquerons pas sur la nature (et le montant) de l'amende, qui ne concerne pas la prime à l'éthique - dispositif classique dans les contrats professionnels, NDLR. Mais soyez assuré qu'elle est juridiquement légale. Et qu'elle veille à respecter et à protéger un joueur dont l'environnement familial en Egypte a été victime de pressions qui, s'il avait porté le maillot, auraient pu prendre la forme de menaces corporelles ».

La référence Baby-Loup

Selon David Jaboulay, l'adoption au sein des clubs d'un « règlement intérieur » permet d'édicter un cadre de relations, d'obligations, de droits et de devoirs « clair, accepté au moment d'intégrer l'entreprise ». Obligatoire dans les entreprises de plus de cinquante salariés et trop souvent négligé dans les TPE, il constitue le cadre juridique à partir duquel l'employeur et le salarié s'accordent, notamment sur le sujet, sensible, de l'interférence possible des pratiques religieuses. S'accordent, mais aussi peuvent fournir leurs arguments en cas de désaccord éthique. C'est d'ailleurs sur la base du règlement intérieur que la cour de cassation s'était prononcée le 25 juin 2014. Une salariée de la crèche Baby-Loup avait poursuivi l'employeur après avoir été licenciée pour faute grave - en « violation du nouveau règlement intérieur », elle avait porté un signe religieux ostentatoire. Un employeur peut-il valablement restreindre la liberté religieuse de ses salariés dans son règlement intérieur ?, était, en substance, interrogée la cour. Oui, avait-elle conclu, dès lors que lesdites restrictions « sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et sont proportionnées au but recherché ». Avant de confirmer le licenciement.

Ainsi, insiste David Jaboulay, il appartient aux clubs de spécifier dans leur règlement intérieur les obligations auxquelles les joueurs pratiquant une religion sont soumis. Par exemple, d'indiquer « qu'en période de jeûne religieux (ramadan, carême, etc.), le joueur pourra être remplaçant si le suivi médical montre que la pratique affecte ses dispositions physiques et que ses performances sportives déclinent ». Et aussi que tout joueur a l'obligation de porter l'équipement, y compris à l'occasion d'une nouvelle campagne contre l'homophobie au risque, sinon, de porter atteinte à l'image du club ? Nul doute que quelques règlements intérieurs des clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 devraient être scrutés à la loupe pour la prochaine saison.

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Commentaires 7
à écrit le 24/05/2023 à 19:15
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Quel est l'intérêt de prendre des sujets clivants plutôt que rassembleurs ? ;-)

à écrit le 24/05/2023 à 16:45
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Les mêmes qui soutiennent une pseudo liberté d'opinion des joueurs (comme si l'homophobie était une simple opinion !) seront-ils toujours du même avis s'il s'agissait d'un brassard contre le féminicide ou contre le racisme ? liberté d'opinion toujour...

à écrit le 24/05/2023 à 16:42
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Le joueur est salarié de son club, non ? La réglementation sur le port d'un uniforme est donc claire : le salarié n'a pas son mot à dire sur le choix d'un uniforme à porter !!! Que dire si un joueur refuse de porter le maillot de son équipe sous prét...

à écrit le 24/05/2023 à 8:08
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Si les médias de masse ne dégueulaient pas H24 leur haine sur tout ce qui est différent nous subirions beaucoup moins cette vague d'intolérance qui sert particulièrement bien notre oligarchie, plus on se divise plus ils aiment.

à écrit le 23/05/2023 à 16:02
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Il serait plus pertinent de faire une journée contre toutes les discriminations pour que chacun puisse y insérer le combat de son choix….. plutôt que de la dédier à LGBTQ qui n’est qu’un des aspects de la discrimination.

le 24/05/2023 à 16:48
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un des aspects de discrimination, ... donc négligeable ? il y a des causes qui ne méritent pas qu'on s'en préoccupe en soit ? C'est quoi votre prochaine étape : inutile de parler des féminicides si on n'englobe pas ça dans un slogan du genre "non à t...

à écrit le 23/05/2023 à 15:34
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Le problème c'est que plus on en parle et moins on trouve de solution car personne ne pense la même chose au même moment et cela ce perpétue !

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