Target2, la roulette russe de la zone euro

Des économistes de haut niveau conseillent dorénavant l'abandon de la zone euro euro à tout ou partie de ses membres. Ils n'ont peut-être pas tort d'un point de vue macroéconomique. Cependant, ils ne prennent pas en compte les conséquences du démantèlement du dispositif Target2 qui en résulterait.
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Target2 a été créé en 2007 pour favoriser la fluidité des échanges libellés en euro et a de facto pris la place de la compensation interbancaire après que les banques commerciales des pays en bonne santé financière aient perdu confiance dans les garanties offertes par celles des pays en difficulté. Pour ce faire, la BCE a accepté que des prêts des banques centrales nationales aux banques commerciales soient gagés sur des actifs dévalorisés.

Selon les dernières statistiques connues, les dettes des banques centrales italiennes, espagnoles, portugaises, grecques, irlandaises et chypriotes auprès de la BCE dans le cadre de Target2 représentaient de 15 % à 45 % du PIB de leurs pays tandis que les créances de la Bundesbank atteignaient 608 milliards d'euros, soit 23 % du PIB allemand, et celles des banques centrales néerlandaise, finlandaise et luxembourgeoise représentaient de 14 % à 227 % du PIB de leurs pays.

Aucune mesure n'a été prévue pour le cas où une banque centrale débitrice serait en cessation de paiement et renoncerait à sa participation à Target2. Il est donc difficile de savoir ce qui se passerait. Selon l'économiste allemand Hans-Werner Sinn, la « destruction » des créances des banques centrales créditrices qui résulterait de son démantèlement serait équivalente à celle de stocks d'or. Sous l'influence du Professeur Sinn, le président de la Bundesbank a demandé que la BCE ne se contente plus des titres dévalués qui tiennent actuellement lieu de garantie aux banques commerciales des pays en difficulté, mais exige qu'ils soient complétés par des actifs dont la valeur est attestée. Pour souligner l'incongruité de cette volte-face, un de leurs compatriotes a écrit que la
BuBa « aurait pu aussi bien suggérer d'envoyer la Luftwaffe pour résoudre la crise de la zone euro ».

Le président de la Bundesbank a également déclaré que si les pays en difficulté se déclaraient en cessation de paiement, les pertes de la BCE devraient être couvertes par les banques centrales nationales qui en seraient encore membres en fonction de leurs parts dans son capital et, donc, indépendamment de la taille de leur solde débiteur ou créditeur. C'est pourquoi il ressort du site de l'IFO, présidé par Hans Werner Sinn, que l'exposition de la Buba au risque de défaut de paiement des pays en difficulté dans le cadre de Target2 n'est que de 316 milliards d'euros.

Il n'est pas possible de connaître la part des pays en difficulté dans les créances de chacune des banques centrales créditrices. Cependant, on sait que les dettes de leurs banques centrales représentent 87 % des dettes de toutes les banques centrales débitrices. On peut donc supposer qu'une estimation de l'exposition de la Buba fondé sur les échanges commerciaux lui attribuerait une exposition au risque plus proche de 527 milliards que de 316 milliards.

Toujours selon l'IFO, l'exposition de la Banque de France au risque de défaut de paiement des pays en difficulté dans le cadre de Target2 atteint 238 Md?, bien qu'elle y soit débitrice pour 52 milliards. De plus, la France a enregistré en 2011 un déficit commercial de 5,5 milliards avec ces pays. On peut en déduire que le calcul de son exposition au risque donnerait un résultat minime, voire négatif, s'il était fondé sur les échanges commerciaux. Il serait, en tout état de cause, sensiblement inférieur à 238 milliards.

Plus généralement, l'IFO et la Bundesbank considèrent qu'en cas de cessation de paiement des pays en difficulté, les banques centrales débitrices sans être en cessation de paiement (Autriche, Belgique, France) devraient contribuer au recouvrement des créances des banques centrales créditrices. Leurs deux présidents sont suffisamment importants et représentatifs pour qu'on ne puisse pas exclure que leur opinion l'emporte outre-Rhin si la crise de la zone euro s'aggrave.

Ainsi, le démantèlement de la zone euro ne conduirait peut-être pas à l'Europe apaisée que décrivent les souverainistes monétaires mais à un champ de  batailles acrimonieuses où chaque pays essayerait de protéger de la voracité de ses voisins des créances ou des actifs nationaux valant jusqu'à 200 % du PIB national. Le pire n'est pas sûr, mais il ne peut pas être exclu. Target2 est bien une roulette russe.

Opacité et vulnérabilité de Target2

Dans le cadre de Target2, les banques centrales créditrices ont fait ce que les entreprises exportatrices n'auraient pas pu faire sans être traitées de folles  furieuses : offrir à des clients insolvables des facilités de paiement gagées sur des titres sans valeur. On notera, à cet égard, l'analogie entre le rôle joué par Target2 dans la persistance de l'excellence des comptes nationaux des pays en bonne santé économique, d'une part, et celui de la titrisation dans celle des comptes de résultats des établissements financiers états-uniens avant que n'éclate la crise des subprimes, d'autre part. Le premier dispositif est aussi opaque que l'était le second puisque la BCE ne garde pas de trace des transactions. Cette opacité a favorisé l'irresponsabilité des pays en difficulté, mais aussi celle de l'IFO et de la Buba qui manifestent le désir de s'affranchir des règles commerciales élémentaires en refusant que des soldes qu'ils caractérisent  eux-mêmes comme des créances servent de base au calcul de l'exposition au risque.

Le rapprochement entre Target2 et la titrisation des subprimes est d'autant plus pertinent que la fonction principale du second dispositif était, comme l'est celle du premier, de fluidifier les échanges. De plus, ils ont tous deux été mis en oeuvre dans un contexte politique favorisant le présupposé selon lequel il est  possible d'appauvrir ses débiteurs les plus pauvres à condition de les inciter à adapter leurs comportements aux contraintes de la fluidification.

Prendre en compte l'interdépendance et l'hétérogénéité des pays-membres de la zone euro

La vulnérabilité et les effets pervers de Target2 illustrent les risques des dispositifs centralisés d'homogénéisation de la zone euro qui réduisent la visibilité des interrelations entre les agents économiques. La solution à la crise n'est pas dans la fuite en avant vers « Plus d'Europe », mais dans des politiques adaptées à l'hétérogénéité et à l'interdépendance de ses membres telles que, par exemple, la substitution du contrôle de l'inflation par la fixation d'un objectif de croissance du PIB nominal.

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Commentaires 39
à écrit le 21/05/2013 à 9:42
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l'analyse est très pertinente comme la cordée d'ailleurs , si l'un tombe on fait quoi ? , terrible dilemme , sortir de l'euro ? , là cela va faire très mal , aux français d'abord qui sont accros au gaz et au pétrole , déjà qu'ils sont chers avec une ...

à écrit le 21/05/2013 à 8:17
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c'est de la chien lit.Hier le patronat anglais a informé Cameron que meme une sortie partielle de l'Angleterre de la CE coutera env.100 milliards de £.Lire la presse anglais et allemandes

à écrit le 20/05/2013 à 23:13
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un euro ou plutôt un euro mark surévalué qui ne refléte en rien l économie des pays membres de cette eurozone la majoritée de ces pays sont dans une situation catastrophique chomage insoutenable, déficits commerciaux énormes, récession, misére,caisse...

le 21/05/2013 à 0:34
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@ouestlalogique Votre constat de départ est exact mais le choix d'un euro fort est le résultat d'une volonté historique et commune des pays de la zone. Ce n'est que depuis la crise que certains pays dont la France, ont exprimé le souhait d'un euro mo...

le 21/05/2013 à 9:59
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La force d'une monnaie doit correspondre au niveau de compétitivité d'un pays, pas plus pas moins. Economie forte = monnaie forte. Comment peut-on être assez naif pour considérer que la grèce, la france, l'italie ou l'allemagne ont le même niveau de ...

le 21/05/2013 à 10:57
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@09:59 Ni vous ni moi, ne sommes assez naïf pour considérer que les pays de la zone euro ont le même niveau de compétitivité ... de même que nos régions en France. Le scénario d'une sortie de l'euro est évoqué dans nos échanges ci-dessous. Le bon sen...

le 21/05/2013 à 11:04
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"Sortir de manière ordonnée" vous ne manquez pas d'humour, personne je dis bien personne même le plus qualifié le plus expérimenté des économistes de terrain connaissant par coeur les arcanes de la monnaie unique n'est capable de quantifier toutes le...

le 21/05/2013 à 12:08
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@sun tzu : à monsieur "je sais tout et les autres ne comprennent rien", renseignez-vous sur ce qu'est une ZMO (zone monétaire optimale) et rappellez-vous que dans toute l'histoire, aucune monnaie supranationale n'a survecu et que l'euro subira le mêm...

le 21/05/2013 à 12:29
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@12:08 concernant votre réponse @midas, vos remarques nuancent à juste titre mes propos.

le 21/05/2013 à 16:56
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"Dans l'histoire .. n'a jamais..ne fera jamais..." Vous regardez le passé pour m'invectiver sur l'avenir. (le "monsieur je sais tout" est de trop si vous souhaitiez conserver une once de crédibilité) Une zone d'intégration économique comme la zone e...

le 21/05/2013 à 19:52
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Personne ne rassemblait également suffisamment de connaissance pour modéliser une entrée dans l'euro, mais pourtant on l'a fait (et ce malgré les avis contradictoires de beaucoup a l'époque qui dénonçait ce qui ce passe maintenant). Le fait est que ...

le 24/05/2013 à 2:30
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Mr sun tzu raconte n'importe quoi , une nation européenne ça ne se décrète pas, l'euro est un contre sens économique *alain cotta* le professeur allemand Hankel en 2002 disait déjà l'euro va profiter au dollar et c'est devenu réalité...Allez dans les...

à écrit le 20/05/2013 à 22:43
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« Je donne à l?euro une chance de survie à moyen-terme limitée », a déclaré le Dr Kai A. Konrad, président du Conseil consultatif scientifique du ministère des Finances allemand, qui conseille cet épicentre du pouvoir. Même les allemands reconnaissen...

le 20/05/2013 à 23:52
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@TC La dissolution de la zone euro est un pari très risqué. Une dissolution ordonnée est très contraignante. A ma connaissance, le seul scénario qui éviterait un désastre pour les pays fragiles, consiste en une sortie de l'Allemagne, accompagnée ou ...

le 21/05/2013 à 10:01
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Faut arrêter de prédire une catastrophe en cas de sortie de l'euro alors que la catastrophe est déjà là avec l'euro. Sortir de l'euro et de l'ue ne se ferait pas s'en mal mais c'est largement la moins mauvaise des solutions.

le 21/05/2013 à 10:34
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@10:01 Mon commentaire de 23:52 n'est pas catastrophiste, il tente de clarifier les étapes et les contraintes d'une dissolution ordonnée de la zone euro suggérée par TC. Votre solution "sortir de l'euro et de l'UE" va beaucoup plus loin. Les conséque...

le 21/05/2013 à 18:34
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J'espère bien que la France ne fera pas la bêtise de s'attacher a la monnaie Allemande. On a déjà fait l'erreur sous Mitterrand et a travers l'Euro. Ce serait une catastrophe. @Midas n'as pas totalement tort, sortir de l'UE et importante si l'on veut...

à écrit le 20/05/2013 à 19:03
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@iciailleurs, euro qui sert de faire valoir au dollar qui est lui même aussi signifiant aujourd'hui qu'un rouleau de p... Il faut tout reconsidérer, dans l'urgence, je vous dis !

à écrit le 20/05/2013 à 18:09
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Article très pertinent. C'est bien pourquoi la "fin" de la zone euro doit être "ordonnée" avec maintien de target 2, maintien de la BCE, introduction de nouvelles monnaies au lieu de l'Euro, par groupe de pays (Nouvelle monnaie sud: IT, ESP, GR..., c...

le 21/05/2013 à 10:37
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Je vous rassure tout de suite ça n'arrivera pas, et c'est notament l'Allemagne qui s'opposera à ce schéma pour des raisons peu avouables. Cette scission provoquerait une hausse de la devise Nord d'environ 30 à 40%, les allemands misent certes sur de ...

à écrit le 20/05/2013 à 18:08
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A quoi sert l'Euro ? Le pétrole est facturé en dollars, les Airbus également, l'Euro n'est qu'une monnaie régionale.

le 21/05/2013 à 10:07
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A quoi sert le yen ? Le rand ? le yuan ? etc... etc...finalement, a quoi sert le dollar ?

à écrit le 20/05/2013 à 17:42
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L'analyse de TARGET2 est bien structurée: son origine, les motifs, les failles et les risques. Par contre, la solution présentée en guise de conclusion me laisse perplexe. En quoi "la fixation d'un objectif de croissance du PIB nominal" résout-elle l...

le 21/05/2013 à 13:45
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Bonjour, La lecture de l'article intégral (voir hyperlien ci-dessus, à la fin de celui que vous avez lu) répondra peut-être pour tout ou partie à vos interrogations. Cordialement.

le 21/05/2013 à 17:43
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@P-J.Raugel Bonjour. En effet la lecture du document disponible via l'hyperlien apporte les éclairages souhaités et bien plus. C'est le dysfonctionnement actuel de la zone euro qui est dévoilé et disséqué au travers du prisme TARGET2. Les préconisati...

à écrit le 20/05/2013 à 17:02
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Coute que coute nous allons devoir sortir de lUE qui est une forme de collectivisme et de tyrannie. On a deja, rien qu'en France, des problemes a s'entendre!... Sans referendum, on nous fait avaler des couleuvres tous les jours! La France, avec ses s...

à écrit le 20/05/2013 à 16:49
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L'EURSS, où comment rendre les riches plus pauvres et les pauvres miséreux ... On en est à craindre qu'un domino s?effondre et ne révèle que la dernière couche de peinture masquait un mur moisi et perclus de trous. 35 ans de nullités gouvernementales...

à écrit le 20/05/2013 à 15:19
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Laissons a Mougeon à son écran de fumée, pour une fois qu'un économiste dit la vérité en connaissances des causes et des effets. En effet nous en sommes bien au même point qu'avec les subprimes d'il y quelques années. Les actifs des dettes engagées n...

le 20/05/2013 à 15:31
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Rétabli ou réuni ? A en conclure de cet article, on peut voir que les décisions des autorités, des politiques, et des acteurs financiers sont imbriqué, ils se refourguent la balle alors qu'ils jouent, en réalité dans la même équipe. Le point positif ...

le 20/05/2013 à 16:55
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La réaction de Sarkozy dont vous parlez a consister à vendre la moitié des stocks d'or qui appartenaient aux Français à son cours le plus bas, d'avoir accru la dette du double que celle qu'avait généré Mitterrand, ce qui n'est pas peu dire, et d'avoi...

le 21/05/2013 à 9:55
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Avec d'autres au moins on serait partit au carton tout de suite et on mangerait des topinambours... quel dommage!

à écrit le 20/05/2013 à 14:27
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Donc, si je comprend bien : Faire éclater la zone euro aurait été une réelle solution, mais dans les faits, il y a tellement de crédits émis par les banques des pays les plus dans la mouise, basée sur des actifs à risque, voir sans valeur aujourd'hu...

le 20/05/2013 à 18:23
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Commentaire très drôle et au fond, très pertinent. Merci !

le 20/05/2013 à 20:14
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Merci =)

à écrit le 20/05/2013 à 13:56
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des économistes de haut niveau: il faut comprendre des fumistes de haut niveau.

le 21/05/2013 à 10:05
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Oui comme ceux qui nous avaient prédit en coeur que l'ue et l'euro seraient une formidable réussite et que ça ouvrirait une période de croissance et prospérité pour les européens. On voit le résultat.

le 21/05/2013 à 11:15
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@10:05 Quelle est la part de responsabilité de nos élus ? Les suivants seront-ils mieux à même de reconstruire une autre Europe ? Et quelle Europe ? L'histoire de notre continent a été très agitée ...

le 21/05/2013 à 12:11
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Le mythe de l'autre europe. cela fait 30 ans qu'on l'entend. C'est juste impossible car les 27 pays de l'ue n'ont pas la même vision de l'avenir et les mêmes attentes.

le 21/05/2013 à 13:06
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@12:11 Mes questions étaient à double sens. Faut-il s'orienter vers plus d'Europe ou moins d'Europe ? Je n'ai pas de doctrine sur le sujet. Par contre, les risques ne sont pas de même nature dans un sens ou dans l'autre. Globalement nos élus n'ont pa...

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