
L'Ukraine connaît une crise aiguë depuis plusieurs semaines. Malgré des aspects politiques évidents, les éléments économiques jouent également un rôle majeur dans la situation actuelle. Ils peuvent d'ailleurs s'avérer être une clef de la sortie ou de l'aggravation de la crise. En effet, sans solution aux difficultés économiques de court terme du pays, la crise politique risque de s'aggraver.
Une situation paradoxale
L'Ukraine bénéficie d'atouts certains. En effet, elle est le grenier à blé de l'Europe (vastes terres fertiles) et possède un pôle sidérurgique très important (sous-sol minier très riche) dans un contexte où les matières premières, agricoles et minières, deviennent de plus en plus stratégiques et rémunératrices. Vient s'ajouter à cela une population éduquée et très importante de 45 millions d'habitants. En outre, le pays bénéficie d'une situation géographique stratégique entre l'espace économique européen et le monde russe, ainsi qu'une ouverture internationale grâce à un accès à la mer méditerrané via la mer noire.
Une grande dépendance à l'égard de l'énergie russe
Malgré ces atouts, l'Ukraine fait face à une situation économique très dégradée. En effet, depuis la fin de l'URSS, le pays a du mal à développer une économie autonome qui demeure toujours très dépendante des importations énergétiques en provenance de Russie. De plus, le pays n'a pas su bénéficier de sa production de fer et d'acier, ainsi que de ses exportations agricoles pour permettre d'équilibrer ses échanges avec le reste du monde.
Dans ce cadre, sa balance des paiements courants reste largement déficitaire (environ 15 milliards de dollars). Parmi les différents chiffres mis en avant pour souligner les difficultés du pays, celui de l'évolution démographique est particulièrement parlant. Ainsi, alors que la population de l'Ukraine était stable entre les années 1960 et la fin des années 1980, la population a depuis reculé de 7 millions ; indiquant une phase de déclin sous l'effet conjugué de pertes migratoires importantes, combiné à un déficit naturel dû à une très faible fécondité alliée à une forte mortalité. Dans la même veine, alors que la Pologne et l'Ukraine présentaient une richesse par habitant comparable au moment de la chute de l'Union soviétique, celle de la Pologne est dorénavant trois fois supérieure à celle de l'Ukraine.
Une corruption sur une grande échelle
Parmi les nombreuses raisons qui expliquent cette situation, il convient de souligner l'importance de la corruption. En effet, le paradoxe d'un pays assez riche (matières premières, industrie...) mais également pauvre (dette, déficits, pauvreté...) s'explique essentiellement par une corruption et un système oligarchique et cleptocratique de grande échelle. A titre de comparaison, le pays se classe au 144ème rang mondial en matière de corruption, juste entre l'Érythrée et la Syrie. Cette situation est rendue endémique et se retrouve potentiellement partout dans la société où l'État est omniprésent. En effet, l'héritage historique du pays fait que la croyance selon laquelle l'État est la source naturelle de la plupart des biens et des services est fortement ancrée, alors même que le marché pourrait faire beaucoup mieux pour fournir ces biens et services et créer des richesses. Dans ce contexte, les opportunités pour créer des mécanismes de corruption sont alors très importantes.
Le risque d'une faillite
Au-delà des considérations politiques, l'Ukraine fait face une problématique financière urgente. En effet, pour synthétiser la situation, le pays connaît une équation impossible où il doit honorer ses obligations financières (environ 60 milliards de dollars pour cette année), alors même qu'il dispose de moins d'un mois de réserves (environ 12 milliards de dollars) et affiche un déficit courant très important (15 milliards de dollars). Dans ce cadre, le risque dont il est question à très court terme pour l'Ukraine est celui du défaut du pays, autrement dit un risque de "faillite".
Les conséquences d'un défaut seraient catastrophiques pour l'Ukraine. En effet, cela impliquerait que le pays ne pourrait plus avoir accès aux marchés financiers internationaux pour se financer, avec tout un ensemble de conséquences mécaniques :
- le pays ne pourra plus compter que sur ses ressources propres pour assurer son fonctionnement (rémunération des fonctionnaires, paiement des pensions de retraite, entretien des infrastructures, etc). Or, il s'avère que les ressources propres du pays ne sont pas suffisantes. Dès lors, toute une partie de la population se trouvera du jour au lendemain de facto au chômage.
- En outre, la banque centrale d'Ukraine n'aura plus les moyens de soutenir la valeur de son taux de change, entraînant ainsi une dépréciation (perte de valeur) de sa monnaie nationale (le hryvnia). Pratiquement, les entreprises et les ménages devront payer plus cher pour obtenir la même quantité de produits qu'auparavant (produits de consommation, machines-outils...), le tout entraînant une forte pression sur l'économie et une probable récession économique. Le pays risquerait alors fortement de connaître un scénario du type de celui de la crise des pays émergentsavec en substance une forte chute de la monnaie, des difficultés accrues pour refinancer sa dette et une contraction immédiate des importations alors même que ce pays dépend très fortement des importations.
- Dès lors, le pays devra très rapidement équilibrer ses comptes (budgétaires et extérieurs) afin de pouvoir revenir se financer sur les marchés financiers. Afin de bien comprendre ce qu'un tel ajustement impliquerait il suffit de réaliser qu'il sera forcément beaucoup plus brutal que ce qu'a connu la Grèce, alors même que cela a déjà été très douloureux dans ce pays malgré une aide financière extérieure (Europe, FMI).
Chute de la devise ukrainienne de près de 15%
La situation est appelée à se dégrader. En effet, l'agence de notation Standard & Poor's a récemment abaissé la note du pays de B- à CCC+, indiquant ainsi une risque de défaut très élevé. Les investisseurs peuvent légitimement s'inquiéter d'une telle perspective. Dès lors, le seul comportement raisonnable à adopter pour un investisseurs potentiel est d'éviter ou de se retirer des actifs ukrainiens (actions, obligations, investissements physiques...) et de tous ceux qui y sont liés. La fuite ou la défiance des capitaux vis-à-vis de l'Ukraine va d'une part, impacter la monnaie nationale à la baisse et d'autre part, accentuer le risque de défaut par manque de capitaux pour stimuler la croissance. Il convient de constater que ce phénomène a déjà commencé avec une chute de la devise ukrainienne de près de -15% par rapport à l'euro depuis le début de la crise et des IDE (Investissements Directs Etrangers) qui devraient chuter de -60% en 2014 par rapport à 2013, passant de 5 milliards à 2 milliards dollars.
Une aide extérieure nécessaire
Un soutien financier extérieur est inévitable si le pays ne veut pas faire défaut. Le nouveau gouvernement ukrainien issu des événements de la place Maïdan à Kiev a déclaré avoir besoin de 35 milliards de dollars pour faire face à ses engagements financiers dans les semaines qui viennent. Le pays ne pourra pas rembourser cette somme s'il compte uniquement sur ses ressources propres. Dès lors, une aide extérieure s'impose.
Or, cette aide ne peut provenir que de trois sources : Europe, FMI ou Russie :
- En ce qui concerne l'Europe, cette somme dépasse les capacités (politiques et financières) des pays membres dans le contexte actuel. En effet, dans une période où la plupart des pays européens effectuent des ajustements financiers internes, il paraît compliqué politiquement de faire participer le contribuable européen sans accroître un sentiment de rejet grandissant vis-à-vis des instances européennes.
- Il semble improbable que le FMI souhaite venir en aide à un pays qui pourrait s'orienter (même partiellement) vers une intégration accrue avec la Russie. Pour comprendre cet élément, il faut avoir à l'esprit qu'une intervention financière du FMI ne peut se matérialiser que si l'Ukraine en fait la demande. Dans ce cadre, les interventions du FMI sont toujours conditionnées à la mise en place de réformes structurelles dont l'objectif est de réorganiser l'économie et les finances d'un pays, aboutissant dans les faits souvent à limiter au strict minimum les marges de manœuvres des Etats qui font appel à lui. Une telle intervention risquerait d'exacerber des tensions déjà vives et de renforcer les partisans d'un rapprochement avec la Russie. Dès lors, dans une optique géoéconomique, il n'est pas certain que les Etats-Unis qui restent le premier contributeur du FMI acceptent de financer (même partiellement) le rééquilibrage économique et financier d'un pays pour que celui-ci s'oriente par la suite vers la Russie.
La Russie n'aidera pas l'Ukraine sans gouvernement pro-russe à Kiev
- Au niveau de la Russie, ce pays n'aidera pas l'Ukraine tant qu'un gouvernement pro-russe ne sera pas à sa tête ; et ce, même si l'économie russe serait l'une des premières impactée par un défaut ukrainien compte tenu des liens économiques entre les deux pays. Notons également que la Russie a le pouvoir de précipiter l'économie ukrainienne dans la récession si elle décide de stopper ses exportations de gaz en Ukraine car cela rendrait inopérant tout un pan de l'industrie ukrainienne, bloquant ainsi sa capacité de production et d'exportation. Même si d'un point de vue purement économique cette décision serait incompréhensible de la part de la Russie, l'histoire de ce pays enseigne plusieurs choses dont une qui ne varie jamais, à savoir que la Russie n'a que faire de ses pertes lorsqu'il s'agit des conflits.
Enfin, une aide de l'Europe ou du FMI n'est potentiellement concevable que dans un cadre où la situation politique du pays est stabilisée. En effet, une aide financière dans le contexte politique actuel n'aurait pour seul effet que d'abonder les mécanismes de corruption. En outre, des doutes subsistent quant aux intentions du gouvernement ukrainien, notamment au regard des formations politiques contenues dans le gouvernement (droite nationaliste...).
Quelle sortie de crise?
L'Ukraine fait face à trois risques :
- le risque de l'anarchie, accentué par la faiblesse du pouvoir issu des événements politiques récents et des tensions internes au pays ;
- le risque d'une guerre (civile ou non), avec les bruits de botte qui se font entendre en Crimée et les velléités de certaines régions de ne pas reconnaître le nouveau pouvoir en place ;
- le risque enfin, d'une faillite financière du pays, qui au-delà des aspects purement économiques aurait pour effet d'accroître la possibilité que les deux précédents risques se matérialisent. En outre, soulignons qu'une faillite induirait des difficultés à payer la solde des militaires ukrainiens (alors qu'il est toujours très dangereux de ne pas payer des hommes armés...).
Aucun pays n'a intérêt à ce que la situation économique de l'Ukraine évolue vers un défaut :
- Pour ce qui est de l'Ukraine, la raison a été évoquée précédemment.
- En ce qui concerne l'Europe, il n'est jamais bon d'avoir un pays en déliquescence à sa frontière ne serait-ce qu'en termes de gestion des mouvements migratoires avec des populations dans la nécessité de vivre et donc de trouver une activité pour subvenir à leur besoins.
- Pour la Russie, malgré une puissance apparente, la situation économique du pays s'est considérablement dégradée au cours des dernières années et le pays ne pourrait souffrir de l'affaiblissement d'un de ses partenaires économiques parmi les plus importants ; sans oublier les répercutions en chaîne qu'une dégradation de ses relations avec les pays occidentaux pourrait avoir. A ce titre, c'est d'ailleurs dans ce cadre qu'il faut comprendre la volonté de la Russie d'aller vite dans le règlement de la situation afin de limiter les effets négatifs potentiels sur son économie.
Une seule solution viable
Au final, une seule solution paraît viable. En effet, et à supposer que la situation politique, notamment en Crimée, se stabilise (sans nécessairement aller vers un apaisement) toutes les parties prenantes ont intérêt à trouver une solution négociée et organisée (même officieusement) qui pourrait prendre la forme suivante :
1) une aide conjointe envers l'Ukraine de la part de l'Europe, du FMI et de la Russie ;
2) avec comme corollaire le fait que la Russie consente à laisser l'Ukraine évoluer dans un cadre politique du type des démocraties européennes ; et que parallèlement l'Europe consente à ce que l'Ukraine conserve ses liens économiques et stratégiques avec la Russie.
3) le tout dans un cadre où à la fois l'Europe et la Russie s'engagent (pour un laps de temps à définir) à ne pas intégrer plus en avant l'Ukraine dans leur giron respectif, à savoir une adhésion à l'Union Européenne pour l'Europe et une annexion (même partielle) ou la volonté d'agir sur le cours des évènements politiques pour la Russie.
La crise économique et diplomatique serait ainsi évitée, et toutes les parties pourraient en tirer des avantages politiques.
Enfin, même si cela est évident, rappelons que les deux précédents conflits mondiaux ont débuté dans des contextes, pour des raisons et dans des régions plus ou moins comparables.
Plus d'informations sur le blog de L'Economiste
Les économistes partent toujours du principe que les pays en difficulté doivent payer leur dette, et donc se refinancer auprès des marchés et faire les réformes structurelles pour ce faire.
En l'occurrence, la solution la plus simple est évidemment le défaut pur et simple.
Et comme vous l'avez souligné, la Russie est tout à fait prête à perdre de l'argent pour se rattacher l'Ukraine, non comme un satellite comme tous les occidentaux le pensent, mais comme un partenaire.
De plus, pourquoi la Russie ferait-elle confiance aux pays occidentaux qui ont systématiquement et sciemment piétiné les accords passés précédents (non élargissement de l'Otan, etc...)
Il me semble que la Russie peut maintenant juste attendre que les pays occidentaux montrent leur incompétence et l'absence de moyens pour arriver ensuite en sauveur.
Bravo à nos stratèges.
Dernier point concernant les sanctions contre la Russie : les pays du Brics ont annoncé hier qu'il était hors de questions de ne pas inviter la Russie à la réunion du G20 en novembre prochain à Brisbane. Ces mêmes pays ont clairement affiché si ce n'est leur soutien, leur neutralité sur le problème de la crise ukrainienne.
Qui va aller contre la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud, se coupant de 50% de la population mondiale ?
Notre suivisme des USA va faire perdre à l'Europe énormément d'argent et d'influence.
Le reste : de la politicaillerie, des délires et du débat bidon, comme d'hab.
2. Vous ne citez pas dans vos exemple de pays de l Est la Hongrie et les pays baltes : seraient-ils trop bruns a vos yeux ?
3. Poutine a mis au pouvoir Loukashenko : theorie interressante...
4. Regardez un peu qui a finance Euromaidan, qui s est installe au pouvoir a Kiev depuis un ;ois et auels sont les gouverneurs aui ont ete nommes par Kiev dans les villes de l Est. On reparlera alors de qui sont les mafieux...
C'est le peuple qui souffre a présent (les 99% qui n'étaient pas a Maidan), mais ça, tout le monde s'en fiche.
http://www.les-crises.fr/ukraine-oaodvd-5-2/
Poutine est un assassin adepte du polonium, on est tous d'accord. Mais l'accord du 21 février (signé par les Russes, les Européens et l'ancien président-corrompus jusqu'à la moelle démocratiquement élu) qui prévoyait que des élections anticipées auraient lieu, n'a pas été respecté par l'Europe, sous pression américaines. C'était la meilleure façon d'offrir la Crimée sur un plateau d'argent au dictateur Poutine.
Les Européens atlantistes ahuris de bruxelles ont une grosse responsabilité dans ce qui est arrivé. Et niveau "soft power" Poutine fait des miracles maintenant. Bravo les glandus!
Le président Yanoukovitch n'a pas été destitué selon la Constitution. C'est d'ailleurs pour cette raison que les officiels occidentaux ont parlé de "gouvernement révolutionnaire", la révolution mettant fin à la constitution. Qui a élu le gouvernement actuel? Son premier ministre avait 5% des voix aux dernières élections. Voudra-t-il organiser des élections sachant très bien que personne ne peut le blairer en Ukraine?
C'est avec des discours comme le votre qu'on renforce les Marine Le Pen et autre fachos. Les gens sentent bien qu'on essaie de les enfumer. Et c'est pas parce qu'on critique un camp plus que l'autre qu'on est pro-je-ne-sais-quoi, arrêtez votre délire!
Il semble qu'on peut espérer parvenir à la situation logique qui aurait pu éviter cette crise :
- un pouvoir ukrainien qui respecte l'ensemble de sa population, y compris ceux qui veulent conserver un lien fort avec la Russie, qui veulent conserver leur langue, leur culture ;
- une Europe qui cesse de mener un politique de puissance qui ne peut, à terme, qu'être considérée comme agressive par la Russie. Cette politique européenne a déclenché la crise. L'Europe doit maintenant rechercher des relations de coopération avec ses voisins, et renoncer à sa volonté de domination.
Quant à la Russie, ce n'est pas un hasard si après avoir goûté au libéralisme dans la décennie qui a suivi la chute de l'URSS, et avoir vu sa population dépossédée de ses richesses,elle aspire à un pouvoir plus fort capable de mieux protéger les moins biens lotis à l'intérieur et de la faire respecter à l'extérieur.