Prolifération des zones commerciales : aux sources du mal

Pour mettre un terme à la prolifération des zones commerciales, il devient urgent de s'attaquer aux sources du mal : la comptabilité des Sociétés d'Investissement Immobiliers Cotées et la concurrence désordonnée à laquelle se livrent les collectivités. Par Franck Gintrand, Directeur général de Global conseil.

Début 2015, Procos annonçait que les créations de surfaces commerciales avaient chuté de 20% en 2014 (1). Une "chute" cependant très relative, puisque 5,1 millions de mètres carrés ont quand même été autorisés. Et 6 autres millions de m2 sont déjà prévus pour la suite. Des chiffres qui donnent le tournis, surtout lorsqu'on les rapporte au taux de fréquentation en baisse des centres commerciaux. Si les constructions se poursuivent à ce rythme, d'ici 2020 "le parc de surfaces commerciales devrait présenter un surplus de 30 à 40 millions de m2", toujours selon Procos.

En 2012, l'Assemblée des Communautés de France s'alarmait de cette prolifération et déclarait que "la surproduction manifeste de surfaces de vente au regard des potentiels locaux de consommation laiss(ait) craindre la formation d'une bulle spéculative"(2). Désormais, les experts n'emploient plus le conditionnel pour parler de la bulle. Dans une récente interview, Frédéric Blot, professionnel de l'immobilier commercial, affirmait : "il existe une vraie bulle spéculative avec un nombre de mètres carrés qui ne cesse de progresser alors que les revenus des clients stagnent, voire régressent"(3).

Même les locaux vides restent un investissement intéressant

Alors que tous les acteurs ont conscience que le secteur repose sur une bulle, pourquoi la tendance ne s'inverse-t-elle pas ? Un élément de réponse est à chercher du côté des outils comptables dont disposent les Sociétés d'Investissement Immobiliers Cotées (SIIC), principaux constructeurs de centres commerciaux. Comme l'explique P. Madry, depuis 2002 les SIIC ont la possibilité de "faire figurer la valeur de leurs murs commerciaux (...) à l'actif de leur compte de bilan", même si elles ne perçoivent aucun loyer et que "leurs locaux restent vides". Les promoteurs peuvent ainsi gonfler leur bilan et "garantir de nouveaux appels de fonds"(4). Autrement dit, c'est la course en avant : chaque projet, même s'il n'est pas rentable, permet au promoteur de trouver les fonds pour financer le projet suivant. Une spirale infernale qui, si elle s'arrête, provoquera l'effondrement du marché. D'où le choix des SIIC d'entretenir activement la bulle ...

Une solution de facilité pour renflouer les caisses des collectivités

Mais les promoteurs ne sont pas les seuls responsables de cette folie de la construction. Les intercommunalités ont besoin des centres commerciaux. Frappées de plein fouet par les effets conjugués de la crise économique et de la baisse des aides de l'État, les collectivités n'ont plus les moyens de financer tous leurs investissements. L'arrivée d'une zone commerciale, synonyme de nouvelles rentrées fiscales, est donc souvent vue d'un bon œil. Sans compter les créations d'emplois qu'elle amène. Tant de bonnes raisons qui incitent les "intercos" à soutenir leur prolifération : non seulement en injectant de façon surabondante du foncier pour attirer les promoteurs, mais aussi en leur accordant généreusement des autorisations d'implantation.

Une concurrence entre territoires dont savent user les promoteurs

Pourtant, le véritable problème n'est pas tant à chercher du côté des élus que dans l'absence de véritable cohérence territoriale en matière de développement commercial. Lorsqu'une collectivité refuse l'implantation d'une zone commerciale, le promoteur joue de la concurrence et se déplace de quelques kilomètres pour s'installer dans l'interco voisine. C'est là le fond du problème : aucun développement cohérent de l'offre commerciale n'est possible si les intercos ne se soumettent pas à un plan d'aménagement commercial raisonné et coercitif à l'échelon du département.

La loi Pinel prévoit un renforcement du contrôle des commissions chargées de délivrer les autorisations et complexifie les critères d'implantation pour les promoteurs. Des mesures nécessaires mais insuffisantes. Car tant que les bilans des SIIC ne seront pas représentatifs de la réalité du marché immobilier, les promoteurs continueront à implanter de nouveaux centres commerciaux. Et tant que ledéveloppement commercial ne fera pas l'objet de véritables plans départementaux, il n'y a aucune raison pour que la concurrence entre villes et intercommunalités ne favorise pas la multiplication des zones commerciales de périphérie. La prise de conscience est là. Reste à agir.

Franck Gintrand

(1) D. Bicard, La décrue des surfaces confirmées par Procos, LSA
(2) AdCF, Urbanisme commercial
(3) B. Gilles, Il existe une vraie bulle spéculative sur l'immobilier commercial, marsactu.fr
(4) P. Madry, Le commerce moderne, dynamique et prospectif, in Du Far West à la ville

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Commentaires 4
à écrit le 28/02/2015 à 9:34
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Excellent article!Merci

à écrit le 27/02/2015 à 9:30
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article éclairant et très intéressant. On comprend mieux pourquoi nos abords de villes sont défigurés, mais il est à craindre que ça ne s'arrête pas de sitôt.

à écrit le 26/02/2015 à 15:55
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bien sur pour une commune il est intéressant de faire sa propre petite zone d'activité: le maire en plus fait croire à une création d'emplois(alors que bien souvent cela ne fait en quelque sorte que déplacer des emplois en supprimant d'autres). Il e...

à écrit le 26/02/2015 à 15:17
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rivières, champs, collines, étangs supprimés de la carte pour entretenir cette bulle spéculative, mon sang ne fait qu'un tour.

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