A quoi sacrifie-t-on tant de vies sur les routes ?

Si la lutte contre le terrorisme est évidemment importante, il faut remettre des policiers et gendarmes sur les routes, pour faire redescendre la mortalité routière. Les responsables politiques ont-ils si peur des automobilistes-électeurs? Par Jehanne Collard, avocate spécialisée dans la défense des victimes de la route.

Deux cent cinquante neuf personnes ont trouvé la mort sur les routes de France en février. Ces victimes viennent s'ajouter aux 233 morts de janvier, aux 3.464 morts de l'année 2015. Cette atroce arithmétique a-t-elle encore le pouvoir de nous interpeller ? A mesurer le silence qui entoure toutes ces vies perdues, on peut en douter.
Ni le ministre de l'intérieur, ni le premier ministre ne viendront commenter la courbe fatale de l'insécurité routière. Personne ne viendra souligner que la mortalité a bondi de 8,4 % en regard de février 2015 qui était déjà une très mauvaise année. On préfère invoquer l'hiver, le mauvais temps, l'accident de car de Rochefort. Tout plutôt que la vérité.

Tous les indicateurs au rouge

La vérité c'est que tous les indicateurs sont au rouge. Depuis le début de l'année, le nombre des blessés légers comme celui des personnes hospitalisées augmentent. Le nombre d'accidents corporels également.. La vérité, c'est que les conducteurs français ne respectent plus les règles élémentaires de sécurité et que toutes les infractions augmentent : excès de vitesse, alcool, drogue et téléphone au volant.
Ni le ministre de l'intérieur, ni le premier ministre ne viendront nous expliquer cette augmentation continue de la délinquance routière depuis deux ans. Car l'analyse est aussi simple que dérangeante. Disons la vérité crûment : policiers et gendarmes ne sont plus sur le bord des routes. Ils ont aujourd'hui d'autres priorités. Les automobilistes s'en aperçoivent. Ils savent que leurs excès ont moins de chances d'être contrôlés et sanctionnés. Ils savent que les mesures annoncées par le gouvernement l'an dernier resteront lettres mortes.

Les radars ne peuvent pas tout

Les pouvoirs publics tentent de masquer cette réalité en annonçant l'implantation de nouveaux radars. Certes, les radars sauvent des vies, contrairement à ce que soutiennent les négationnistes des revues automobiles ou des lobbies de l'excès de vitesse. Mais les radars ne peuvent pas tout. Ils restent impuissants face à la drogue, l'alcool, le téléphone au volant.

Chacun sait que la dérive des comportements au volant ne peut être combattue que par le renforcement des contrôles et la certitude des sanctions. Chacun sait que la création d'une police de la route, à l'instar des Etats Unis qui l'ont compris des les années 1930, permettrait de sauver des centaines de vies. Et pourtant, pas un membre du gouvernement, pas un responsable politique ne le propose.

Lutte contre le terrorisme ou contre l'insécurité routière?

Pourquoi ne pas dire tout haut la vérité qui se murmure tout bas ? Sauver la vie de nos enfants, de nos proches sur la route coûterait trop cher en ces temps de disette budgétaire. Mais combien au juste ? Et quel prix nos responsables politiques donnent-il à notre sécurité routière ? Quelle valeur accordent-ils à la vie de nos enfants ? On vient de consacrer 28 millions d'euros au recrutement de 900 policiers et gendarmes afin de lutter contre le terrorisme. On peut en déduire qu'à la louche, le recrutement de 50 policiers et gendarmes par département pour esquisser une police de la route dotée d'objectifs précis et de moyens conséquents, atteindrait sans doute les 200 millions d'euros. C'est une dépense conséquente.
Et pourtant les études officiellement publiées par les pouvoirs publics établissent que chaque mort sur la route coûte à la nation près de 1,3 millions d'euros. Le coût global de l'insécurité routière s'établirait à plus de neuf milliards d'euros par an. Même en raisonnant comme de vulgaires comptables, sauver des milliers de vies sur la route serait, pour le pays, une affaire rentable.

Ne pas fâcher l'électeur automobiliste

Alors pourquoi ce silence de tous les responsables politiques devant une solution qui a déjà fait ses preuves ailleurs ? On l'a compris : le problème de la sécurité routière est d'abord un problème politique. Les gouvernants comme ceux qui briguent leur place ne veulent rien faire qui puisse fâcher, à court terme, l'électeur automobiliste. On sacrifie des vies non aux millions d'euros mais à des bulletins de vote. Au mépris de l'intérêt général et de la sécurité de tous.
Cette lamentable équation politicienne continuera de paralyser toute action tant que l'opinion publique ne prendra pas fait et cause pour la sécurité routière. Ce gouvernement, comme tant d'autres, ne réagit que devant l'émotion populaire. Je sais ce qu'il me reste à faire pour ne pas pleurer chaque mois, de tristesse et de rage, devant l'augmentation du nombre de victimes de la route.

Je sais que la colère et l'incompréhension grandissent parmi les proches des victimes, dans les familles brisées par l'accident, chez les médecins, les professionnels de santé qui côtoient quotidiennement toutes ces souffrances, chez tous ceux qui tremblent pour leurs enfants, leurs parents. Nous nous retrouverons bientôt dans la rue, sous les fenêtres du pouvoir. Pour demander à quoi servira de gagner la guerre contre le terrorisme si nous perdons chaque jour, sur la route, ceux que nous aimons. Pour exiger qu'on ne fasse de distinction entre les victimes ni entre les dangers mortels qui nous menacent. Pour espérer qu'on montre, contre le fléau de la délinquance routière, autant de courage et de détermination que sur les autres enjeux de notre sécurité.

Jehanne COLLARD
Avocate spécialisée dans la défense des victimes de la route.

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Commentaires 15
à écrit le 14/03/2016 à 23:27
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Cette dame, avocate, spécialisée dans les contentieux d'accidents routiers, y gagne sa vie, je lui espère bien. Mais quand elle en vient à demander plus de répression pour diminuer le gisement sur lequel elle prospère, on penserait à une sorte de pu...

à écrit le 14/03/2016 à 21:50
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Passionné d'automobile et longtemps professionnel de la route, c'est un environnement mortel ou l'on ne peut pas musarder ou penser à autre chose que sa passion pour l'exercice de la route. C'est un peu comme le ski extrême ou l'alpinisme. En atten...

à écrit le 14/03/2016 à 21:06
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C'est avant tout le comportement individuel (l'agressivité, le machisme, etc..) le manque de civisme et de respect pour la loi et les autres qui sont responsables des mauvais résultats; c'est aussi une constante autour de la Méditerranée au sens larg...

à écrit le 14/03/2016 à 20:07
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Un certain nombre de personnes ne bouclent pas la ceinture, inconscience ? Le pare-brise feuilleté est un mur, il n'explose plus comme le Securit (pas terrible, devenir un projectile, bof). Des gens s'offusquent des radars STOP. ?? Tout le monde ne ...

à écrit le 14/03/2016 à 15:17
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Je suis effaré d'une nouvelle offensive sur la répression.... De demies mesures, en demies mesures, d’aggravation des sanctions en nouvelles sanctions... nous avançons doucement pour améliorer notre sécurité routière, guidée par des pseudos études...

à écrit le 14/03/2016 à 14:49
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Et les 10000-15000 morts/an par accidents domestiques ? Les 140 000 morts/an dans les cancers, les 120 000/an dans les maladies cardiovasculaires, les 80 000 tabagisme + alcool +stupefiants, les 25 000-30 000 du diabete, les 10 000 des suicides ou...

le 14/03/2016 à 18:51
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Mais si en plus on comptabilise le nombre d'accident du au camion ... Et que l'on retranche ce chiffre des statistiques on ferait campagne pour le ferroutage des camions fissa fissa !!!

à écrit le 14/03/2016 à 14:18
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Si on veut sauver des vies, il faut mettre les moyens la ou ils sont le plus nécessaires et que l'on laisse les automobilistes un peu tranquille qui ne sont qu'une vache à lait pour l'état. Il y a bien plus de décès par suicide, par accident domestiq...

à écrit le 14/03/2016 à 13:38
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Sarkozy, copain du syndicat d'extrême droite alliance, a pourtant viré plein de flics et de gendarmes du coup ceux-ci doivent se concentrer sur l'essentiel. Pour ma part autant je suis contre la généralisation des 30km/h en villes autant je suis ...

à écrit le 14/03/2016 à 13:26
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Le nombre de morts en par million de kilomètres étant à peu près identique en France et aux USA, le gentil appel d'une professionnelle de l'indignation à créer une police de la route sonne comme de la publicité pour ses bons services, de même que pou...

à écrit le 14/03/2016 à 13:16
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J'ai autant de chance statistiquement de mourir a l’hôpital d'une maladie nosocomiale (4000 morts par an) suite à un accident de la route, que sur la route elle-même. A nombre de mort comparable, une est moins médiatisée que l'autre, pourquoi ? La ...

à écrit le 14/03/2016 à 12:39
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Madame, 4200 personnes perdent leur vie tous les ans suite à des infection nosocomiales dans les hôpitaux français!! Beaucoup plus que les accidents de la route et pourtant il y a moins de monde dans les hôpitaux que sur les routes. Et on en parle...

à écrit le 14/03/2016 à 12:31
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A quoi sacrifie-t-on tant de vies sur les routes ? 1- aux industriels de l'alcool 2 - aux fabricants de grosses bagnoles et de grosses motos

à écrit le 14/03/2016 à 12:18
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Il s'agit bien entendu d'un problème électoral qui nuit au bien public. Mais cette dame n'a encore rien vu, qu'elle vienne en Grèce où les gens ne respectent rien ni personne. On me dit que si les locaux se paient (par erreur bien entendu) une amende...

à écrit le 14/03/2016 à 12:15
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C est sur que si on interdisait l automobile, il n y aurait plus de mort (enfin je suppose que les diligences faisaient aussi des morts car il y avait des accidents). C est terrible cette manie de vouloir tout interdire (alcool, cigarette, vitesse ....

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