Biodiversité : il est temps de reconnaître la souveraineté des DOM-TOM

L'Outre-mer représente 80% du patrimoine de la biodiversité française. Les Dom Tom doivent pouvoir le gérer. Par Céline Soulas, enseignant-chercheur au Groupe ESC Dijon-Bourgogne et Coralie Labuthie, élève en Master Grande Ecole au Groupe ESC Dijon-Bourgogne.

Il n'est plus à prouver que l'Homme, par ses myriades d'activités, met la nature en danger. Le développement durable n'est plus un vaste concept, appartenant aux communicants. La réalité nous rattrape sérieusement. Jusqu'ici, selon des recherches publiées dans les PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences) en 2015, 7% de la biodiversité terrestre ont déjà disparu depuis deux siècles et 23.250 espèces sont recensées comme menacées, sur les 79.837 espèces étudiées.

 Cela fait maintenant deux ans que la France travaille à transposer dans le droit français le protocole de Nagoya. Ce dernier, adopté en 2010, vise à réguler l'accès et le partage des avantages découlant de l'utilisation des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles associées, tout en reconnaissant la souveraineté nationale des États. C'est ainsi que la loi-cadre Biodiversité a vu le jour, avec pour principale concrétisation la création d'une Agence Française pour la Biodiversité (AFB).

 Va-t-on sonner la fin de la tragédie ?

 L'épuisement irréversible de ressources en situation de libre accès, comme l'est ici la biodiversité, répond au tragique destin des biens communs, rendu célèbre par le biologiste Garrett Hardin en 1968. L'Homme est rationnellement poussé à une exploitation maximale et à court terme, bien que cette attitude soit, à moyen ou long terme, tragique pour tous : dégradation des milieux naturels par ses activités économiques, pollution, surexploitations végétales et animales... En dépit de l'évidente nécessité d'une coopération pour assurer la préservation de la biodiversité, la non-coopération l'emporte.

 Pour que l'exploitation ne débouche pas sur un épuisement rapide de la biodiversité, il faut que toutes les parties prenantes s'accordent pour en réglementer l'usage : pas de bien commun qui dure sans une institution sociale pour organiser sa gestion, conclura l'économiste Nobel Elinor Ostrom en 1990. L'une des variables déterminantes, alors, c'est l'échelle spatiale et sociale à laquelle on appréhende le bien commun, permettant de mieux identifier les parties prenantes en place, tant d'un point de vue mondial que national, voire même local.

 La biodiversité, identité et patrimoine des DOM-TOM

 Et c'est bien là l'un des points névralgique de la loi-cadre Biodiversité. L'Outre-mer français représente 80% du patrimoine de la biodiversité française. Certains territoires, en particulier la Guyane, la Nouvelle-Calédonie ou encore la Guadeloupe font partie des hot spots de la biodiversité mondiale. Ainsi, à l'échelle des territoires, les enjeux n'ont pas forcément la même dimension qu'à l'échelle nationale.

 La biodiversité, appréhendée comme un bien commun mondial, est en effet perçue comme une composante du patrimoine socio-culturel et économique des DOM-TOM. Socio-culturel tout d'abord, puisque les traditions insulaires, telles l'exploitation de remèdes locaux ou la vente de plantes, fruits et légumes sauvages sur les bords de routes, traduisent bien comment la biodiversité est partie intégrante de l'identité locale. Économique par ailleurs, puisque la biodiversité est source d'innovation et de création d'emplois locaux. L'or vert que constituent ces ressources naturelles a une valeur certaine dans le mouvement de transition écologique qui conduit à se détourner du pétrole notamment.

 Quelle est la capacité de l'État à pérenniser et développer ces dynamiques locales dans un environnement mondialisé soumis à de fortes pressions économiques ? Il est difficilement concevable que les habitants des DOM-TOM soient dépossédés de leur propre biodiversité.

 Des Agences Locales de Biodiversité dans les DOM-TOM ?

 Une gestion efficace dépendrait donc, entre autre, de ce que les règles de gestion soient élaborées par les utilisateurs directs des ressources en question. En effet, ce sont bien les populations locales qui sont les premières concernées car ce sont d'elles que découlent les connaissances. Elles attendent la reconnaissance de leurs savoirs traditionnels liés à l'utilisation des ressources génétiques.

 Les PME et les TPE, ainsi que les organismes de recherche locaux, ont par ailleurs besoin d'un accès simple et encadré. Pour exemple, il aura fallu près de deux siècles et 200 chercheurs de la région Caraïbe pour obtenir une reconnaissance des plantes médicinales des DOM-TOM, essentielles au traitement des maladies tropicales sur lesquelles la médecine chimique s'avérait impuissante : triste immobilisme teinté d'enjeux économiques très éloigné de l'intérêt des populations locales.

 Il convient de rappeler enfin que certains territoires des DOM-TOM, tels la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, bénéficient d'une faculté d'adaptation du droit commun à leurs spécificités identitaires. Elles ont la possibilité légale d'intervenir exceptionnellement pour prendre des mesures règlementaires dérogatoires. Alors, pourquoi pas des Agences Locales pour la Biodiversité au nom de la souveraineté des DOM-TOM en la matière ?

Céline Soulas, enseignant-chercheur au Groupe ESC Dijon-Bourgogne

Coralie Labuthie, élève en Master Grande Ecole au Groupe ESC Dijon-Bourgogne.

 Quelques références :

Garrett Hardin, The Tragedy of the Commons. Science (13 décembre 1968), vol. 162. no 3859, p. 1243-1248.

Elinor Ostrom, Governing the commons: The evolution of institutions for collective action, Cambridge, Cambridge University Press,‎ 1990

D. Compagnon, « La biodiversité, entre appropriation privée, revendications de souveraineté et coopération internationale », Développement durable et territoires, Dossier 10, 2008

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