Depakine : ne se trompe-t-on pas de scandale de santé publique ?

Les limites de l'action groupe contre le laboratoire ayant produit la Depakine, Sanofi. Par Marie Albertini, Associée du cabinet d'avocats Reed Smith

Le 13 décembre 2016, l'APESAC (Association d'Aide aux Parents d'Enfants souffrant du Syndrome de l'Anti-Convulsant) a lancé la phase préliminaire d'une action de groupe contre SANOFI. Cette action est une première en droit de la santé et vise à la réparation des dommages causés par l'exposition in utero au valproate de sodium, principe actif de la Dépakine. Son annonce a eu lieu dans un climat émotionnel intense entretenu depuis des mois par les témoignages de mères épileptiques ayant donné naissance à des enfants atteints de pathologies graves alors qu'elles étaient traitées par Dépakine et a suscité un emballement médiatique univoque. S'il n'est évidemment pas question de minimiser les souffrances des familles et des enfants atteints de malformations et/ou de troubles du développement psychomoteur, le traitement de cette affaire occulte néanmoins certains faits qui mériteraient objectivement d'être pris en compte.

 Pas une nouvelle affaire Mediator

 Le Médiator, qui avait reçu une autorisation de mise sur le marché comme antidiabétique, a été utilisé comme coupe-faim pour des patients non-diabétiques souhaitant perdre du poids. S'agissant de la Dépakine, cet antiépileptique a toujours été utilisé conformément à son AMM et son efficacité pour traiter l'épilepsie n'est pas discutée. Assimiler l'usage qui a été fait du Médiator à celui de la Dépakine est un amalgame hâtif, contraire aux faits.

 L'action de groupe est une procédure longue et aléatoire

 L'action de groupe annoncée par l'APESAC est présentée comme devant permettre une indemnisation rapide des victimes alors qu'il s'agit d'une procédure complexe, longue et au résultat aléatoire.

L'action de groupe santé se déroule en deux phases judiciaires. Dans la première, le juge se prononcera notamment sur la responsabilité de SANOFI et sur les dommages susceptibles d'être réparés. Une expertise scientifique sera, sans aucun doute, ordonnée pour vérifier si les manquements reprochés au laboratoire sont avérés et s'ils sont la cause des dommages subis par les enfants. Cette expertise, compte tenu de la complexité du sujet, sera nécessairement longue.

La deuxième phase, celle de l'indemnisation, ne pourra débuter qu'après mise en œuvre des mesures de publicité ordonnées par les Tribunal s'il retient la responsabilité du laboratoire. Mais elles ne pourront avoir lieu qu'après épuisement des voies de recours du jugement. En clair, si appel et pourvoi en cassation sont exercés, la première phase de la procédure durera au moins cinq ans. Si le laboratoire conteste les demandes d'indemnisation, une action judiciaire individuelle de chaque plaignant devra être exercée. A ce stade, une nouvelle expertise judiciaire sera nécessaire afin de vérifier que le dommage corporel dont il est demandé réparation est bien imputable à la Dépakine conformément au jugement rendu sur la responsabilité et pour évaluer les préjudices.

 Au total, l'action de groupe ne parviendra vraisemblablement à son terme qu'environ sept ans après avoir été engagée.

 Une pression médiatique sciemment entretenue

 En multipliant les procédures (civiles, pénale, administrative), l'APESAC entend faire des médias sont meilleur allié pour amener SANOFI à accepter une solution amiable rapide. Sa dernière annonce relative au lancement d'une action de groupe a fait l'objet d'un plan de communication bien orchestré qui a suscité une très large couverture médiatique. On ne peut que regretter que l'obligation d'adresser une mise en demeure de réparer les préjudices subis au professionnel contre lequel une association entend initier une action de groupe ne soit pas assortie d'une obligation de confidentialité. La confidentialité aurait été de nature à favoriser une négociation plus sereine entre les parties.

 Un problème majeur de santé publique occulté

 600.000 personnes sont atteintes d'épilepsie en France. Or, ces malades sont oubliés de tous les programmes de prise en charge des pathologies neurologiques. Très peu d'entre eux ont régulièrement accès à un médecin épileptologue. C'est pourquoi, loin de tout scandale, les sociétés savantes et fédérations de neurologues et neuropédiatres ainsi que toutes les instances engagées dans la prise en charge de l'épilepsie se mobilisent pour demander la mise en place d'un schéma d'organisation de soins approprié.

 Selon le rapport de l'ANSM et de la CNAM du 24 août 2016, ce sont 14.322 grossesses qui ont été exposées au valproate entre 2007 et 2014 dont 8.701 ont eu pour issue la naissance d'un enfant. N'est-il pas légitime de penser que si une filière de soins adaptée avait existé, les femmes concernées auraient pu être mieux informées et les risques très significativement réduits ?

Marie ALBERTINI, Associée du cabinet d'avocats Reed Smith

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Commentaire 1
à écrit le 22/12/2016 à 17:35
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"La confidentialité aurait été de nature à favoriser une négociation plus sereine entre les parties" SANOFI a déjà fait savoir en amont, "en toute confidentialité", qu'il ne reconnaitrait pas sa responsabilité...puisqu'il est couvert par un régime...

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