Et si l’industrie de défense n’était pas qu’une question d’ingénieur ?

L'industrie de défense souffre d'une image négative dans l'opinion. Un déficit qui la fragilise plus encore face à des actions d’influence portant principalement sur ses sources de financement. L'industrie de défense gagnerait à diversifier ses profils pour bénéficier d'une plus grande intelligence collective en y associant les grandes écoles et les universités. Par François Mattens, co-fondateur et vice-président de Défense Angels, et Joshua Henry, président de l'association HEC Défense.
L'industrie de défense rencontre deux problèmes, intrinsèquement liés : une frilosité des financements et un manque de compréhension des enjeux du secteur, objet de nombreux a priori. Pour surmonter ces difficultés, l'industrie de défense doit gagner en visibilité, et elle aurait tout intérêt pour cela à diversifier ses recrutements. (François Mattens et Joshua Henry)
"L'industrie de défense rencontre deux problèmes, intrinsèquement liés : une frilosité des financements et un manque de compréhension des enjeux du secteur, objet de nombreux a priori. Pour surmonter ces difficultés, l'industrie de défense doit gagner en visibilité, et elle aurait tout intérêt pour cela à diversifier ses recrutements". (François Mattens et Joshua Henry) (Crédits : DR)

L'industrie de défense en France souffre d'un mal assez paradoxal : bien que reconnue comme une industrie à l'expertise et à la résilience exceptionnelles, notamment face à la crise sanitaire, elle souffre encore d'un déficit de notoriété voire d'une image négative. Malgré son intérêt stratégique indéniable et son apport économique très fort (emploi, balance commerciale, etc.), elle est menacée par des actions d'influence qui ont pour conséquence des difficultés de financement, menaçant sa pérennité.

En effet, elle rencontre deux problèmes, intrinsèquement liés : une frilosité des financements [1] et un manque de compréhension des enjeux du secteur, objet de nombreux a priori. Pour surmonter ces difficultés, l'industrie de défense doit gagner en visibilité, et elle aurait tout intérêt pour cela à diversifier ses recrutements.

Diversification des profils

Le secteur de la défense se caractérise par un niveau de technologie qui permet à la France, nation au riche héritage scientifique et industriel, de se distinguer avec de nombreux savoir-faire technologiques, qu'ils soient dans l'aéronautique (Rafale), le naval (SNLE) ou le terrestre (programme Scorpion). Pour continuer à produire ce matériel d'exception, il est évidemment nécessaire de garantir l'excellence de la formation scientifique des étudiants recrutés, pour la plupart polytechniciens ou issus de l'École Nationale Supérieure des Techniques de l'Armement (ENSTA).

Certes, l'industrie de défense a besoin de ses ingénieurs, qui sont la clé de voûte de notre excellence technologique. Certes, l'industrie de défense se doit de bénéficier de l'expertise d'anciens militaires pour être au plus proche des besoins des armées. Nécessaire mais suffisant ? Notre BITD gagnerait à diversifier ses profils pour bénéficier d'une intelligence collective : celle-ci nous pousserait à mieux anticiper les changements, améliorer son image, et surtout d'asseoir son statut de garante de l'autonomie stratégique de notre pays.

Réchauffement avec l'économie et la finance

À l'heure où la guerre en Ukraine semble accroître l'intérêt des politiques et des financiers pour le secteur de la défense [2], il semble judicieux que notre industrie saisisse cette opportunité pour améliorer les relations et synergies avec les sphères économiques et financières. La frilosité devrait céder sa place au réchauffement. Rien de tel pour cela qu'une ouverture des recrutements à des profils davantage familiers de ces secteurs.

Il serait tout particulièrement pertinent d'y associer les grandes écoles et les universités qui n'ont cessé ces dernières années de créer des associations d'étudiants sur les enjeux de défense (Sciences Po, HEC, Sorbonne, etc.). Faut-il y voir uniquement un effet « Bureau des Légendes » et « attentats de 2015 » ? Pas uniquement. Cela démontre un réel intérêt intellectuel de la nouvelle génération pour les enjeux stratégiques et les questions de défense, ainsi que son attachement à la souveraineté.

Ces profils, avec les nouvelles méthodes, procédés, concepts qu'ils apportent, représentent un regard innovant sur la gestion de projets et d'équipes, et sont plus à même de communiquer directement avec la sphère économique et financière.

De même, les affaires publiques, la comptabilité, le marketing, le management, la stratégie, les achats, sont des secteurs où les écoles de différents horizons ont une réelle valeur ajoutée. Ces fonctions « support » ont un rôle vital pour l'activité d'une entreprise. La compréhension d'enjeux de plus en plus complexes est devenue une question de survie, alors même que les acteurs privés, y compris au sein de la base industrielle et technologique de défense (BITD), doivent se concentrer de plus en plus sur les questions de communication et de responsabilité sociale et environnementale.

La France se doit de prendre la tête

Les entreprises de la BITD, face aux problèmes d'image et de financement qu'elles peuvent rencontrer, ont donc tout intérêt à diversifier leurs recrutements afin de parer à ces obstacles majeurs. Alors que la guerre de haute intensité fait son retour et que les puissances européennes réinvestissent massivement dans leur outil de défense, la France se doit de prendre la tête au niveau européen de ce nouvel élan économique. Ceci ne peut se faire qu'en prenant en compte les enjeux qui occupent une place croissante, à l'instar des problématiques sociales et environnementales, notamment à l'échelle européenne.

[1]https://www.bfmtv.com/economie/ukraine-l-industrie-de-la-defense-pose-un-cas-de-conscience-pour-les-investisseurs_AD-202204150104.html

[2]https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/04/01/guerre-en-ukraine-la-finance-renoue-avec-l-industrie-de-l-armement_6120106_3234.html

                 ----------------------------------------------------------------------------------

Co-fondateur et vice-président de Défense Angels, François Mattens a été pendant 5 ans le directeur des affaires publiques et de l'innovation du GICAT, et président des Jeunes de l'IHEDN (2013-2016).

Joshua Henry est le président de l'association HEC Défense. Étudiant à Sciences Po Paris et à HEC, il est également délégué général (adjoint) du réseau de financement de la défense Défense Angels.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 11
à écrit le 29/05/2022 à 23:10
Signaler
Article "d'élites" qui se cherchent une place ... Les entreprises de défense ont toujours eu dans leurs rangs des responsables RH, comptables, commerciaux qui sortent d'écoles de commerce ou de facs et pas forcément de Sciences Po, HEC, Sorbonne, etc...

à écrit le 27/05/2022 à 8:57
Signaler
Bonjour, Dans les développement industriel, l'on écoute trops les ingénieurs et pas assez les utilisateurs.... Ex: le Merkava a était développer par Mr Benegorion , ce qui a permis une architecture différents et très performante.

à écrit le 18/05/2022 à 9:09
Signaler
Embaucher des pousse-papiers ou des comptables ne va pas aider l'industrie de l'armement, N'en deplaise a une frange de la population..

à écrit le 17/05/2022 à 21:16
Signaler
Bonjour, Pour se qui est de l'industrie de défense, les utilisateurs souhaite des matériels militaire rustique, fiable et performant.... Exemple : le Leclerc est une super machine, mais pas assez rustique, qui coûte trops chère a entretenir... Act...

à écrit le 17/05/2022 à 19:37
Signaler
Merci pour ce publi-reportage dans la série: les réseaux des générateurs de vents aimeraient évincer le réseau X-mines. Si tous ces gens là voulaient bien laisser le petit peuple bosser...

à écrit le 17/05/2022 à 14:43
Signaler
"Ces profils, avec les nouvelles méthodes, procédés, concepts qu'ils apportent, représentent un regard innovant sur la gestion de projets et d'équipes" En effet, il organisent des réunions de réunions pour planifier d'autres réunions et sous-trait...

à écrit le 17/05/2022 à 12:15
Signaler
Quelques corrections : - ENSTA veut dire "...Techniques Avancées" - une partie des ingénieurs de l'armement fait Sup Aéro (et d'autres écoles de spécialisation) - une autre partie est recrutée sur titre et sur concours interne Sur le fond, le p...

le 28/05/2022 à 11:54
Signaler
Les erreurs factuelles n'ont pas été corrigées plusieurs semaines après la publication de l'article. Affligeant !

à écrit le 17/05/2022 à 9:03
Signaler
Et si l’industrie de défense était qu’une question de "gros sous" ?

le 17/05/2022 à 15:45
Signaler
Ça en fait partie, mais pas que. Sinon de petites nations ne pourraient rien faire.

à écrit le 17/05/2022 à 8:51
Signaler
Heu vu ce que nous procure comme politiciens ces grandes écoles je dirais non. Qu'au moins on ne se les coltine pas au sein de notre activité militaire, bien au contraire même il faudrait étudier de rapprocher cette activité, pourquoi pas dans la pub...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.