France : pénuries et hyperinflation dans une "économie de guerre"

ANALYSE. Avec des pénuries d'énergies, une hausse des prix qui va se prolonger, une guerre en Ukraine qui plombe l'économie, une augmentation du budget de l'armée le gouvernement doit rediriger une part importante des dépenses de paix vers des dépenses de guerre. Va-t-il recourir aux impôts, aux emprunts ou à la réforme du modèle social ? Par Gabriel Gaspard, Chef d’entreprise à la retraite, spécialiste en économie financière.
(Crédits : WOLFGANG RATTAY)

"Économie de guerre"

Le Président a annoncé le 15 juin 2022 que la France est entrée dans une "économie de guerre", c'est-à-dire une économie dans laquelle les besoins de la guerre sont satisfaits prioritairement. Dans une telle économie le pouvoir d'achat d'une population est ponctionné au profit d'un appareil de guerre. Le président souhaite faire voter en 2023 une nouvelle loi de programmation militaire :

"nous aurons besoin d'une nouvelle planification, d'investissements ajustés dans la durée et des investissements qui s'inscriront dans une vision large qui articule notre souveraineté, notre indépendance de décision, notre vision du monde, avec les engagements et les réponses élaborées avec nos alliés dans le cadre de la Boussole stratégique de l'Union européenne, du concept stratégique de l'OTAN et des partenariats stratégiques qui structurent notre action".

En même temps dans son interview télévisée du 14 juillet 2022, il a réaffirmé : "il n'y a pas de modèle social s'il n'y a pas de travail pour le financer", c'est la raison pour laquelle il faut réformer l'assurance-chômage, le RSA, le régime de retraite, etc.

Mais avec des pénuries, une inflation qui dure, un euro faible on ne peut pas ne pas songer avec anxiété aux conséquences monétaires de ces réformes qui nous attendent. Comment la France va-t-elle financer ce choc : à crédit, par des nouveaux impôts ou par une "rigueur" sociale ?

Origine des pénuries

L'origine des pénuries sont les déséquilibres apparus sur les marchés des biens à la suite de la pandémie de la covid-19. Les pénuries d'énergie sont la conséquence d'origine géopolitique et de la guerre ukrainienne. De nombreux produits commencent à se faire rares sous l'effet de multiples facteurs : la covid-19 qui a créé une pénurie de travailleurs et qui a réduit la capacité de production dans le monde, des distorsions de la demande dues aux changements de comportement d'achat des citoyens et le fait que les systèmes de fabrication et de logistique fonctionnaient à leur capacité maximale. L'inflation actuelle en est le résultat.

Allons-nous vers une hyperinflation ?

L'hyperinflation peut être créée par l'injection massive de liquidités par la Banque centrale européenne BCE. La véritable origine est le "quoi qu'il en coûte", le plan de relance européen et le programme d'achat d'urgence des dettes des États par la BCE face à la pandémie (PEPP). Cette création massive de monnaie conduit à un affaiblissement de celle-ci.

Dans un marché financier énergique, les prix du marché indiquent la valeur réelle d'un actif. Avec beaucoup de liquidités cette valeur n'est plus en accord avec la vie économique réelle. Les épargnants se jettent sur des actifs plus risqués tels que la cryptomonnaie ou les obligations "pourries". Avec l'arrivé de plusieurs indices d'augmentation de l'inflation et de récession, les agents économiques ont alors tendance à fuir devant la monnaie, ici l'euro. Il y a moins de confiance et un recours à des devises ou des valeurs fortes et stables tel que le dollar américain. On se retrouve avec un euro affaibli pour régler les importations en dollars. Il y a une augmentation progressive du niveau général de prix et du coût de la vie et conduit à une inflation supplémentaire.

Les causes d'un euro faible

Cela fait vingt ans que l'euro s'est négocié pour la dernière fois en dessous d'un dollar américain. Il y a plusieurs raisons à cela, la plus récente est la crainte que l'Europe ne soit confrontée à une crise énergétique cet hiver. Si cela arrive, il y a un risque accru de récession dans la zone euro. Mais la faiblesse du dollar est due aussi à l'amplification de la valeur du dollar. Les investisseurs affluent vers la devise américaine en période d'incertitude : guerre en Europe, inflation, mesures de restriction en Chine. Les facteurs économiques poussent à la hausse du dollar, les États-Unis sont plus avancés sur la voie de la reprise économique. La Banque centrale américaine ne fait pas de politique, elle a été plus rapide dans son choix d'augmentation des taux d'intérêts pour lutter contre l'inflation.

Recourir aux impôts ou au crédit ?

la durée de l'inflation et du conflit ukrainien exige du gouvernement qu'il soit capable de financer un effort de guerre et des "aides inflation". Il peut recourir en temps normal aux impôts ou aux emprunts.

Dans le premier cas il faut obtenir le consentement à l'impôt dans une période qui selon Eurostat, à titre indicatif, le taux des prélèvements obligatoires en France en 2019 représentait 47,4% du PIB, soit un niveau supérieur de 5,8 points à celui de la moyenne de la zone euro. Selon le ministre de l'Économie, invité le 8 juillet 2022 à franceinfo : "non seulement, il n'y aura pas d'augmentation d'impôts, mais que nous continuerons de baisser les impôts".

Dans le second cas, il faut reporter la charge du financement de la guerre et de l'inflation sur les générations futures, et donc in fine sur les futurs contribuables qui rembourseraient les dettes contractées. Mais voilà, la barre de 2 900 milliards d'euros d'endettement public a été franchie fin mars 2022. Le gouvernement s'apprête à payer deux fois l'inflation en 2022 : une première fois pour soutenir le pouvoir d'achat des ménages et une deuxième fois pour le coût de la dette. Le gouverneur de la Banque de France au Figaro le 21 juin 2022 : "il serait illusoire de penser que notre dette est encore sans coût et sans limites". Alors quel est le plan du Président ?

Il est nécessaire de réduire la consommation du secteur privé, réduire l'épargne des ménages et mettre la totalité des Français au travail pour transférer une part importante de pouvoir d'achat au profit de l'État.

Sobriété

Avec la diminution de l'offre de bien et une inflation importée, l'approche gouvernementale est de réduire la consommation énergétique des ménages français. Lors de son interview du 14 juillet, le Président s'est montré clair : "On doit rentrer collectivement dans une logique de sobriété. On va préparer un plan pour se mettre en situation de consommer moins". Ce qui impliquerait des sacrifices pour les plus pauvres et la classe moyenne. Dans son plan le Président n'a pas parler d'empêcher la réalisation de profits excessifs pour participer à cet effort.

L'inflation va taxer les épargnes des Français

L'objectif de la Banque centrale européenne est de maintenir la stabilité des prix, en d'autres termes de sauvegarder la valeur de l'euro. Jusqu'à cette date l'inflation grimpe et l'euro chute. Pour ramener l'inflation à son objectif de 2%, la Banque centrale américaine FED a annoncé le mercredi 15 juin 2022 une hausse des taux de trois quarts de points de pourcentage, soit la plus forte hausse depuis 1994. Mais la BCE tarde à réagir, la raison : éviter la fragmentation de la zone euro. Il apparait clair aujourd'hui que la politique monétaire de la Banque centrale européenne privilégie la soutenabilité des dettes publiques de la zone euro, par rapport au pouvoir d'achat des Européens.

"Il n'y a pas de modèle social s'il n'y a pas de travail pour le financer"

Inspiré par le Conseil national de la Résistance, le "modèle social" français s'est structuré autour de trois axes : un régime de retraite par répartition (1946), l'assurance maladie (1946) et l'assurance chômage (1958). Il a été suivi par plusieurs avancées sociales : statut de la fonction publique, l'assistance aux handicapés, la politique familiale, le SMIC, le RSA, etc. Selon le Président il faut travailler pour financer notre modèle social. C'est la raison pour laquelle il faut réformer l'assurance-chômage, la RSA, le régime de la retraite, etc. Que voulait-il dire ? L'État doit se préoccuper davantage de la création de la richesse, le social sera conditionné à la croissance et à l'emploi ? L'État doit être moins interventionniste et créer un modèle recentré sur l'égalité des contributions ? L'État doit alléger la charge du modèle social en élargissant l'assiette des contributaires par la réapparition de l'idée de la TVA sociale, qui consiste à diminuer les cotisations patronales et à augmenter le taux de la TVA pour financer les actions sociales ? Seul l'avenir nous le dira.

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Commentaires 2
à écrit le 26/07/2022 à 16:14
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Pardon mais l'autorisation de guerre du parlement elle est où ? secondo vous avez des notions de l'équilibre nucléaire ? Economie de Guerre = Union nationale = ENARques et Hauts dirigeants au pain sec comme tout le monde non ?

à écrit le 25/07/2022 à 21:46
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Merci pour ce tour d'horizon quasiment exhaustif des lieux communs qui remplissent les médias tous les jours. Et de nous rappeler que E. Macron est l'épouvantable président des riches (même si il a été confortablement élu, ce qui est très agaçant). ...

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