Indemniser les descendants des esclaves

CHRONIQUE. Le mouvement est irrésistible. Dans la même semaine, le Roi Charles exprime ses regrets de la violence coloniale britannique commise au Kenya, et le Président allemand Steinmeier demande pardon à la Tanzanie pour les atrocités perpétrées par les Allemands. La question est brûlante : les pays européens seront-ils désormais forcés de consacrer une partie des deniers de leurs contribuables pour dédommager de manière substantielle les descendants des esclaves ? Par Michel Santi, économiste (*)
La sculpture « Fers » à Paris, hommage au général Thomas-Alexandre Dumas (1762-1806), esclave affranchi, premier général d’origine afro-antillaise de l’armée française.
La sculpture « Fers » à Paris, hommage au général Thomas-Alexandre Dumas (1762-1806), esclave affranchi, premier général d’origine afro-antillaise de l’armée française. (Crédits : DR)

La cause est ardemment défendue depuis les Caraïbes qui se retrouvent aux avant-gardes de ce combat, porté principalement (mais pas seulement) par la Première ministre de la Barbade, Mia Mottley, qui demande à ce que ce débat se passe entre «partenaires égaux». Ce n'est donc absolument pas la charité des anciens colonisateurs que réclament les Caraïbes, lesquels ont mis au point un plan de réparations ou de compensations en 10 points allant d'excuses formelles et complètes à formuler par certaines nations d'Europe jusqu'au versement de fonds destinés principalement en faveur des secteurs de la santé, de l'éducation et de l'accès aux dernières technologies des ex-colonisés. Le défi auquel font face ces pays d'Afrique, d'Asie et des Caraïbes qui exigent une reconnaissance - et pas que symbolique - des ravages perpétrés par les colonisateurs est d'autant plus colossal que les sommes articulées semblent faramineuses.

Un cabinet d'experts américains a évalué à 130.000 milliards de dollars (au minimum) les conséquences de l'esclavage : somme qui ruinerait nombre de ces pays concernés par le règlement de réparations qui seraient calculées au prorata de leur durée d'occupation et d'exploitation de ces territoires. En d'autres termes, certains pays demandeurs ne se font guère trop d'illusions sur les montants finaux qui leur seront un jour redistribués. Si ce n'est que c'est la détermination et les voix issues des Caraïbes qui font désormais monter la température, arguant du fait que c'est pas moins de 5,5 millions d'Africains qui furent emmenés de force dans ces régions, chiffre qui serait 10 fois supérieur au nombre de noirs envoyé en Amérique du Nord.

Crimes contre l'Humanité ?

Hormis les excuses de certains Chefs d'État, c'est pourtant toujours par un silence poli que réagissent la plupart des pays européens. Cette gêne palpable est évidemment révélatrice de l'ambiguïté fondamentale dans laquelle se complaisent certains, comme la France, où l'esclavage est un crime contre l'Humanité, mais où la Cour de cassation néanmoins rejette (comme en juillet dernier) un recours interjeté par des descendants d'esclave martiniquais réclamant des dommages à l'État... pour ce qui est pourtant un crime dûment reconnu par la loi.

Une partie de la solution consisterait-elle à ce que ces indemnisations proviennent du secteur privé ? L'exemple à suivre serait peut-être britannique où quelques familles aussi célèbres que respectées dont les fortunes sont extraordinairement redevables à l'esclavage ont pris l'initiative, sous la pression de Parlementaires descendants d'esclaves. C'est en effet au sein de certaines familles illustres de cette Grande-Bretagne qui fut, avec la France, le grand pays colonisateur qu'émerge une lame de fond entraînant petit à petit d'anciens propriétaires plus modestes d'esclaves qui œuvrent en commun pour mettre en place un dispositif global comprenant un élément rafraîchissant de transparence. Sous l'impulsion de la famille Gladstone, de plus en plus de ces anciens maîtres digitalisent leur arbre généalogique afin d'aider et de contribuer à ce que les familles des anciens esclaves puissent mieux comprendre leur propre histoire.

Le débat se poursuit donc, et nous ne pouvons que nous en réjouir, dans l'intérêt de tous, pour la sérénité de tous. Il est grand temps que ce sujet figure comme une priorité aux agendas diplomatiques.


______

(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l'auteur d'un nouvel ouvrage : « Le testament d'un économiste désabusé ».
Sa page Facebook et son fil Twitter.

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Commentaires 11
à écrit le 07/11/2023 à 17:03
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Curieux quand même de faire référence à un crime contre l'humanité qui existe depuis 1945 pour des crimes certes réels mais perpétrés plus d'un siècle avant. Par des gens qui sont morts sur des gens qui le sont tout autant. Y-a t'il une responsabilit...

à écrit le 07/11/2023 à 9:36
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Si on commence a vouloir refaire l'histoire avec nos préjugés actuels en ignorant la mentalité de chaque époque on finira tous par être a la fois les victimes et les bourreaux. Les seuls pays qui ont versés des indemnités sont les vaincus aux vainqu...

à écrit le 06/11/2023 à 20:33
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Le crime de l'un, n'est pas celui de l'autre ! Il est bon de dire la vérité et d'assumer son passé historique. Mais pas de tomber dans le piège de l'argent a tout prix pour sauver sa réputation. Indemniser une victime vivante oui ! un conjoint de la ...

à écrit le 06/11/2023 à 14:33
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A commencer par Haïti que tous les biens pensants maintiennent dans la misère et la violence depuis des décennies , les maîtres des esclaves ont été indemnisés .... par la dette que les esclaves affranchis continuent de payer !!!

à écrit le 06/11/2023 à 14:24
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Facile. En expropriant les héritiers des esclavagistes.

à écrit le 06/11/2023 à 12:06
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N'importe quoi !!! Dans ce cas tout le monde doit payer pour tout le monde Mr Santi A commencer par les Allemands pour les Français avec la seconde guerre mondiale, les Français pour les Allemands avec Napoléon, ne parlons pas des Italiens descenda...

le 06/11/2023 à 14:43
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Toutes choses (in)égales par ailleurs, de nombreuses fortunes se sont constituées tant par l'exploitation des paysans (servage), du travail forcé (guerres), des ouvriers (salariat) ou de l'esclavage (ancien ou moderne). Sans parler des enfants. On pe...

à écrit le 06/11/2023 à 10:54
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Indemniser pour solder l'histoire? Déja fait! On déjà soldé largement le passé avec toute une floppée d'accords culturels moisis, de subventions à fond perdu, d'aides etc. Et pour quel bilan? L'argent profite à quelques potentats et finit dans un ...

à écrit le 06/11/2023 à 10:16
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Quand le gouvernement français se décidera-t-il à dédommager Haïti (pour ne mentionner que cette moitié d'Hispaniola), contrainte à verser une somme faramineuse au XIXe siècle pour se libérer du joug français ?

à écrit le 06/11/2023 à 9:52
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Si on va par là, faudra que la Turquie (ex ottomans) et l’Arabie Saoudite participent aussi, ils étaient pas en reste niveau esclavage. Mais bon eux ont la chance de pas avoir de mouvement politique auto-flagelateurs.

à écrit le 06/11/2023 à 9:43
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LOL ! Avec le travail détaché, le dumping social mondial et leur quête continuelle et perpétuelle d'esclaves sous quelque forme que ce soit, le travail forcé fraichement débarqué en France, ça va faire beaucoup hein, nos mégas riches vont devoir clôt...

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