L'assiette des Français, otage politique à l'heure des transitions  ?

OPINION. Aujourd'hui, manger n'est pas anodin. lors de la campagne du premier tour de l'élection présidentielle, l'alimentation en général et la viande en particulier ont concentré les oppositions et réveillent les clivages. Par Marc Coloma Fondateur d'Heura Foods.
(Crédits : DR)

L'héritage gastronomique français justifierait-il la défense de traditions dont les impacts, sur les fronts du climat, de l'économie et de la santé, s'étendent bien au-delà de la question culturelle ?

Nourrir et se nourrir, un acte politique

Emploi, santé, bien-être, culture, environnement, biodiversité, climat, modes de vie : autant de sujets qui touchent directement le citoyen, d'autant plus quand il s'agit de se nourrir. Loin d'être anecdotique, le sujet nous ramène à des enjeux mondiaux comme celui de la déforestation et ses effets délétères sur le climat, ou encore à notre dépendance alimentaire dans le cadre du conflit ukrainien. Il est donc normal que le politique s'empare du sujet. Pourtant, si le repas et la viande en particulier sont parvenus à s'installer dans le débat public et politique, le traitement du sujet n'est pas à la hauteur des enjeux.

La viande, le régime du monde d'avant

Le dernier volet du rapport du GIEC, celui qui étudie les solutions, décrit des marges de progrès côté émissions de gaz à effets de serre si l'on opte pour un régime plus végétal : alors que la FAO estime que les végétaliens émettent 2,5 fois moins de gaz à effet de serre qu'un omnivore occidental, il n'y a plus aucun doute sur le fait que la lutte contre le dérèglement climatique doit passer par un changement de régime alimentaire. Mais si l'urgence climatique échoue à mobiliser les publics, la santé peut constituer un levier d'action pour la transition. Car c'est un fait : l'ANSES rappelle régulièrement les liens entre une alimentation carnée et la hausse des maladies cardio-vasculaires, diabètes et cancers et on se souvient du classement du Centre International de Recherche sur le Cancer concernant les viandes rouges et transformées. Sans ambiguïté, pour la planète ou pour nous même : nous mangeons trop de viande.

Une prise de conscience en cours

De premiers signes encourageants pointent vers un timide changement de culture : près de 60% des Français déclarent vouloir réduire leur consommation de viande. Prise de conscience écologique, montée du sujet du bien-être animal, volonté de préserver sa santé, pouvoir d'achat : autant de raisons qui dessinent une tendance de fond vers une consommation plus raisonnée des produits carnés. On assiste à l'émergence timide d'un nouveau paradigme qui ne place plus la viande au cœur de nos assiettes : encore anecdotique il y a une dizaine d'années, l'offre de restauration végan et végétarienne se développe avec une originalité qui séduit jusqu'aux carnivores. Même le Salon de l'Agriculture, lieu d'expression du terroir français, a accueilli cette année plusieurs producteurs de viande végétale : un signal fort qui va dans le sens d'une transformation de nos modes de production et de consommation.

Une alimentation moins carnée : une évidence, mais de nombreux blocages

Les spécificités régionales qui font office de porte-drapeaux ne le sont pas uniquement pour le folklore : la viande est au cœur de grands intérêts économiques. Face à l'urgence climatique et devant un scandale sanitaire majeur sous nos contrées, les piliers d'un modèle dépassé craquent, mais les lobbies s'organisent. Une alimentation moins carnée serait pourtant source d'emplois locaux, si l'on en croit l'étude du Shift Project issue du Plan de transformation de l'économie française, sur la base du scénario Fermes d'Avenir. Mais les changements envisagés ne sont pas du goût de tous : on se rappelle comment, en 2012 déjà, les lobbies de la viande avaient fait plier un grand acteur de la restauration française, engagé depuis plusieurs années sur le développement durable et qui voulait promouvoir le "Meatless Monday" pour sensibiliser les clients à l'impact climatique d'un régime excessivement carné. Depuis ? C'est pire. Des communications « rassurantes » liées à la consommation de viande pénètrent jusque dans les écoles et cabinets médicaux, alors qu'une logique de prévention devrait au contraire les en tenir éloignées.

Deux mesures politiques fortes attendues

Sur ce sujet complexe, s'il est primordial de saisir l'interdépendance des enjeux sanitaires, économiques et environnementaux, c'est à présent au corpus politique de donner des signaux forts et cohérents. Tous les acteurs de la chaîne concernée ont besoin d'un cap politique solide pour agir en confiance. Des mesures concrètes et cohérentes doivent être prises en ce sens. D'abord, la mise en place de subventions pour les agriculteurs engagés pour la transition alimentaire et le respect de l'environnement et du bien-être animal. Ensuite, l'interdiction des financements publics en faveur des campagnes de promotion de la viande, plus ou moins déguisées en conseils nutritionnels auprès de tous les publics.

L'alimentation doit cesser d'être un enjeu électoraliste pour devenir une priorité du prochain quinquennat tant sur les volets environnementaux que de santé publique et d'économie nationale. Face aux impératifs de changement de nos pratiques de production et de consommation, et dans un contexte de crise politique intense, la transition doit passer par nos assiettes, et cesser de s'effacer derrière des polémiques identitaires stériles. Les candidats à l'élection présidentielle doivent accorder à la question alimentaire la place de première importance qui lui revient.

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