La nuit se termine, le train parti de Pologne pénètre dans les faubourgs de Kiev à l'aube. La grisaille humide et les feuilles jaunes peignent un automne morose de capitale d'Europe de l'Est. Une dérangeante normalité règne dans la ville. Il faut passer par les check-points, sacs de sable et barbelés, se laisser surprendre par une sirène antiaérienne, s'arrêter au mur des interminables portraits de soldats tombés au champ d'honneur, pour revenir à la réalité : l'Ukraine est toujours en guerre.
Certes Kiev n'a pas plié, le Nord est libéré. Certes la résistance héroïque du peuple ukrainien l'a assuré d'une puissante vague de sympathie. Certes son désir d'Europe a réveillé la conscience d'unité du Vieux Continent. Mais voici la carte : l'envahisseur russe n'est pas repoussé à ses frontières, occupant un large territoire du Sud et de l'Est. La contre-offensive n'a pas apporté les résultats espérés, le front se fige, avant un hiver difficile.
La société globale du zapping permanent risque de se lasser. Le Kremlin n'attendait pas mieux du Proche-Orient pour se faire oublier. Dans le confort de nos existences ouest-européennes, les doutes affleurent : les Ukrainiens n'ont-ils pas encore gagné ? N'avons-nous pas été trop audacieux de nous en mêler ? À quoi bon, finalement ? La France a connu son Alsace-Lorraine, l'Allemagne renoncé à la Silésie et à la Prusse, l'Ukraine ne va pas trop en demander pour la Crimée et le Donbass... La cohorte des « experts » nous revendra l'aveu de nos faiblesses sous couvert de « réalisme ».
S'acclimater à la politique du fait accompli ne peut plus être une option si l'Europe veut se faire respecter. Avons-nous appris de l'aveuglement d'hier ? Et la constance de l'appui américain ? Abandonner lentement l'Ukraine aujourd'hui, c'est exposer demain l'Union européenne à des déstabilisations certaines et des agressions probables. L'Europe ne peut plus procrastiner pour sa sécurité.
Ne pas oublier l'Ukraine, c'est la réarmer. Elle a besoin de plus d'armes. Sous l'impulsion d'Emmanuel Macron, la France accorde déjà des matériels appréciés et des formations de qualité. Ce soutien pourrait être accentué, comme celui du reste de l'Europe. L'annonce du doublement de l'aide allemande va dans le bon sens. Reste l'impératif d'une montée en puissance plus rapide et mieux coordonnée de l'industrie de défense européenne. Notre sécurité est à ce prix.
Sujets les + commentés