La crise du gaz n'est pas derrière nous....

OPINION. Non la crise du gaz n'est pas derrière nous même si les prix du gaz sont revenus à des niveaux raisonnables. C'est même l'Agence Internationale de l'Energie (AIE) qui nous désenchante dans son rapport sur l'approvisionnement en gaz en Europe pour 2023-2024. Par Charles Cuvelliez & Patrick Claessens, Ecole Polytechnique de Bruxelles, Université de Bruxelles.
(Crédits : Reuters)

A la clé du pessimisme de l'AIE, il y un stress test tout-à-fait réaliste d'une fin complète des livraisons de gaz russe à l'Europe (qu'elles aient continué reste étonnant à vrai dire), couplé à la reprise économique en Asie et un hiver rigoureux fin 2023 en Europe. Il y aurait alors un déficit de 40 milliards de m3 de gaz.

Efforts insuffisants

Un hiver doux, le changement bien réel dans nos comportements, l'utilisation par les industries d'autres formes d'énergie primaire fossile (« fuel switch ») ou leur plus grande efficience ont pu conduire à réduire la consommation de gaz de notre continent de 13 % ! Pourra-t-on reconduire ou reproduire d'année en année ces performances ? Probablement non. L'AIE pense que nous pouvons espérer réduire notre demande de gaz d'encore 3 % (10 milliards de m3) mais ce sera grâce à une diminution de 20 % de l'utilisation du gaz à des fins de production d'électricité. L'éclaircie sur la production nucléaire française d'électricité devrait sauver 2 % de plus en gaz, se réjouit l'AIE. Elle espère qu'il ne faudra plus mettre en route de nouvelles unités de production à base de charbon. L'AIE table aussi sur une production hydraulique qui reprendra des couleurs mais c'est douteux compte tenu du niveau des nappes phréatiques et du remplissage des barrages (mais cela pourrait être pire).

Régulation

Il faut dire que l'Union européenne a pris en 2022 toute une série de mesures pour réduire les tensions sur le marché du gaz. Cela a commencé par les fameuses obligations de stockage pour reconstituer les réserves de gaz pour l'hiver. Le remplissage visait 80 % pour l'hiver en cours et 90 % pour le prochain hiver. Las, ce fut la panique pour remplir ces réservoirs, ce qui a provoqué les prix stratosphériques du gaz, en été de surcroit. Ceci pourrait se résoudre via le mécanisme d'achat conjoint de gaz pour le stockage que la Commission veut mettre en place, via un processus à deux étapes : l'agrégation de la demande et la participation volontaire aux achats conjoints.

Une autre régulation qui prévoit la réduction volontaire de la consommation de gaz de 15 % entre le le 1 août 2022 et le 31 mars a aussi vu le jour. Cette réduction serait devenue obligatoire si le trajet de 15 % n'est pas atteint. Il y aurait eu une diplomatie du gaz exercée par l'Europe qui aurait contribué à sécuriser nos approvisionnements mais on se demande en quoi elle consistait.

Là où l'Union européenne a bien performé, c'est sur l'augmentation de 25 % (entre 2021 et 2023) de sa capacité de regazéification du GNL (gaz naturel liquide). Pour aider les pays d'Europe centrale et du sud-est de s'approvisionner sans gaz russe, des connecteurs ont été mis en place avec d'autres pays européens. Il y aussi les mesures imposées aux Etats membres pour accélérer la délivrance de permis pour les énergies renouvelables et pour arriver à son nouvel objectif en 2030 de 45 % de renouvelable dans son mix.

L'Asie

Malheureusement, la demande en Asie va croitre en 2023 pendant que la nôtre diminuera sans certitude que les deux mouvements s'équilibrent. La Chine augmentera sa demande en gaz naturel de 6,5 % (24 milliards de m3). En Inde, ce sera 3 %, pour servir la production d'électricité. Dans certains pays, la remise en service des centrales nucléaires diminuera la demande : Japon et Corée (avec aussi du charbon, hélas, dans ce dernier cas).

La concurrence pour le GNL s'intensifiera donc, en dépit d'efforts importants entrepris ces douze derniers mois aux Pays-Bas, en Finlande et surtout Allemagne en termes d'infrastructures d'accueil (de ce GNL).

Sauf si notre efficience s'améliore

C'est pourquoi l'AIE demande avec insistance à l'Europe de ne pas s'arrêter dans ses efforts sur quatre axes en 2023 : efficience énergétique, infrastructure, solidarité et transparence des marchés.

L'efficience énergétique doit brasser large : (primes aux) rénovations, sobriété énergétique des appareils, priorité aux foyers vulnérables et effort du secteur public pour son propre foncier, sans oublier le changement de comportement. L'AIE insiste sur un plan d'action pour lancer les pompes à chaleur, seules à même d'électrifier le chauffage de façon efficiente (elle a raison) sans oublier l'accélération du déploiement du renouvelable (accélération des permis, mécanismes qui donnent confiance aux investisseurs, intégration technique du renouvelable dans les réseaux électrique, biométhane et hydrogène à basse émission). Toutes ces initiatives doivent s'inscrire dans la durée, en veillant à bien coordonner tous les secteurs impliqués qui n'en ont pas l'habitude (gaz naturel, électricité, hydrogène...).

L'AIE insiste pour que nous continuions à optimiser les infrastructures de gaz existantes et en créer de nouvelles qui soient adaptées à accepter, demain, autre chose que le gaz. Achevez, dit-elle, tous vos  projets de capacités de stockage de gaz.

Et il ne faut pas oublier la solidarité avec les pays de l'Europe de l'Est, y compris l'Ukraine et la Moldavie (au risque de nous couter jusqu'à 10 milliards de m3 de gaz naturel en exportation).

Enfin, la transparence est essentielle pour que la pénurie de l'un n'entraine pas la pénurie de tous par effet domino ou asymétries d' l'information sur les marchés.

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Pour en savoir plus: Natural gas supply-demand balance of the European Union in 2023 How to prepare for winter 2023/24, AIE, Février 2023

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Commentaire 1
à écrit le 04/03/2023 à 8:37
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Encore un mouvement de panique artificiel. On n’a pas besoin d’AIE pour savoir ce qui est écrit dans l’article. Cela dit certaines prévisions qu’on présente ici comme des certitudes (reprise forte de l’Asie, ralentissement de l’Europe, tarissement to...

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