La femme dirigeante, un cliché à déconstruire

OPINION. En économie comme en politique, les femmes dirigeantes, à l'image de Margaret Thatcher ou Hillary Clinton, sont souvent associées à des traits de personnalité négatifs : carriéristes, froides, autoritaires, implacables... Il est temps de tordre le cou à ce cliché tenace de la dame de fer et redéfinir la notion de leadership pour les femmes. (*) Par Martine Liautaud, banquière d'affaires, fondatrice et présidente de la Women Initiative Foundation (WIF)
(Crédits : Reuters)

Lorsqu'on évoque les « femmes dirigeantes », on pense aussitôt à des figures politiques de premier plan telles que Margaret Thatcher ou Hillary Clinton. Dans l'imaginaire collectif, ces femmes d'exception au caractère bien trempé incarnent le pinacle de la réussite au féminin, mais aussi des traits de personnalité propres à toutes celles qui accèdent à des fonctions de pouvoir : ambitieuses, carriéristes, froides, autoritaires, implacables. Pour faire véritablement progresser la mixité dans les entreprises et dans la vie publique, il est temps de tordre enfin le cou à ce cliché tenace de la « dame de fer ».

La fondation WIF (Women Initiative Foundation) a mené une enquête approfondie sur la perception de la mixité dans sept grands groupes en France, en Allemagne, en Italie et au Canada. Les résultats de cette étude, validés par d'éminents spécialistes universitaires, Julie Le Cardinal de CentraleSupélec et Anne-Marie Croteau de Concordia, confirment que les femmes dirigeantes font l'objet d'un stéréotype universellement répandu.

Partout, et tout particulièrement en France, elles sont considérées comme étant « pragmatiques », « combatives » et « carriéristes ». En cela, elles s'écartent des traits de caractère prêtés aux femmes en général (« organisées », « à l'écoute »...) pour tendre vers ceux attribués aux hommes (« politiques », « stratèges », « carriéristes »...). Autrement dit, on considère qu'une femme ne peut réussir qu'en se masculinisant. Le paradoxe est que la fermeté, la détermination et l'habileté, qui sont louées chez lui, deviennent, chez elle, de l'autoritarisme, de la rigidité et de la duplicité, dont on lui fera sourdement reproche.

Un stéréotype aux effets délétères

Les femmes sont les premières victimes de ce cliché peu flatteur et de ses effets pernicieux. Pour beaucoup d'entre elles, cette image de la dirigeante qui a su battre les hommes sur leur propre terrain est plus un repoussoir qu'un modèle. Elles ne se sentent ni le courage, ni les capacités de se hisser au niveau de ces superwomen. Elles ne veulent pas, pour cela, forcer ou renier leur personnalité. Elles ne tiennent pas non plus à endosser ce mauvais rôle de marâtre, à payer leur hypothétique réussite par des conflits, coups bas et inimitiés qu'elles ont la certitude de récolter. Nombre d'entre elles craignent aussi d'avoir à sacrifier leur maternité ou, du moins, la disponibilité d'une « bonne mère ». Et au bout du compte, elles en concluent que les grandes ambitions ne sont pas pour elles.

Cette résignation renforce encore le stéréotype : ne pourraient donc réussir que celles qui ont les dents assez longues et la mâchoire assez solide, et quiconque se trouve en position de nommer et/ou recruter une femme à un poste de direction finit par se persuader que c'est ce type de profil qu'il lui faut (à moins de ne chercher qu'une « femme prétexte », mais c'est un autre sujet). Pour sortir de ce cercle vicieux, pour que plus de femmes puissent se dire « pourquoi pas moi ? »,et que l'on pense plus souvent « pourquoi pas elle ? », il est fondamental de déconstruire le stéréotype de la femme dirigeante. Une mixité et une diversité véritables au sommet en dépendent.

Qu'est-ce que le leadership ?

L'erreur fondamentale que perpétue ce cliché est de faire assimiler un type particulier de personnalité aux attributs du leadership. Or, qu'est-ce que le leadership ? C'est la capacité à définir un cap et à amener les autres à le suivre. La notion de leadership dépend par conséquent des circonstances, des organisations, des sensibilités culturelles, des évolutions sociétales, des caractères individuels. Elle est sans cesse remise en question et l'une des qualités essentielles d'un leader est précisément de savoir le rester. Par conséquent, si le cliché de dame de fer peut parfois se confondre avec le leadership, il n'en est en aucun cas l'incarnation absolue et permanente.

Ainsi, le leadership est une notion fluide, qui s'articule cependant autour de quelques invariants. En premier lieu, la hauteur de vue. Le leader, c'est celui qui voit plus loin que les autres et avant les autres, qui sait prendre du recul pour enjamber les contingences immédiates et les effets de mode. C'est ce qui lui permet de prendre sans procrastiner les décisions qu'il juge les plus pertinentes à long terme. Et peu importe si ces décisions ne font pas l'unanimité. Car le deuxième trait du leader est sa capacité à assumer ses choix. Parce qu'il a confiance dans son analyse de la situation et des réponses qu'il entend y apporter, il ne craint pas de froisser quelques plumes. Il est capable de dire non, de ne pas céder à la facilité et de supporter une certaine impopularité, pour autant qu'il s'attache par ailleurs à faire connaître et défendre son action. Enfin, parce que la voie qu'il préconise n'est pas forcément la plus facile, la troisième caractéristique clé d'un leader, c'est sa capacité à accepter le risque, et d'abord pour lui-même.

Pour que d'autres consentent à lui confier leur destin, le leader doit commencer par prendre le sien en main. Loin de se laisser porter par le confort d'un itinéraire tout tracé, parce qu'il a pour sa carrière elle-même une vision à long terme et parce qu'il a la capacité de prendre des risques et de les assumer, il crée son propre chemin vers le succès. Ainsi, pour une femme qui aspire au leadership, la maternité n'est plus perçue comme un obstacle rédhibitoire, mais comme une étape personnelle, formatrice et épanouissante, sur un chemin qui se prolongera bien au-delà. Pour elle, la maternité ne justifie pas qu'elle lui sacrifie son avenir, mais elle mérite, au contraire, qu'elle y investisse les moyens de la gérer au mieux.

Si l'on s'en tient à cette définition du leadership, on voit que tous les leaders ont la fibre pour devenir des dirigeants, mais que tous les dirigeants ne sont - malheureusement - pas des leaders. Et que l'autoritarisme et l'arrogance, qu'ils soient masculins ou féminins, n'en sont que médiocres substituts. En revanche, beaucoup de femmes auraient la capacité à devenir des leaders et d'excellentes dirigeantes en misant sur leurs qualités intrinsèques plutôt qu'en cherchant à s'inventer un caractère viril qu'elles n'ont pas.

Les programmes de leadership que développe la WIF avec des professionnels chevronnés et des institutions académiques sont conçus pour faire émerger ce potentiel chez des femmes talentueuses à qui il ne manque souvent qu'une prise de conscience et de confiance. Ces programmes permettent aux participantes de comprendre qui elles sont, pourquoi elles s'imposent des limites, et comment les dépasser. Quand les femmes réussissent, tout le monde y gagne, et plus encore si elles ne semblent pas sortir du même moule. Une dirigeante qui, fidèle à elle-même, a su inventer son propre style de leadership est la meilleure ambassadrice des bienfaits de la diversité et de la mixité dans l'entreprise comme dans la société.

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Martine Liautaud est l'une des premières banquières d'affaire en France (Liautaud & cie). Elle est engagée dans la promotion des femmes dans les affaires et la lutte contre le plafond de verre à travers sa fondation, WIF, depuis plus de 10 ans. WIF a conseillé plus de 1.000 femmes entrepreneures et cadres en Europe, aux États-Unis, au Canada et à présent en Asie. Elle repose sur des programmes internationaux de mentoring pour les entrepreneures et les cadres dirigeantes (PayPal, l'Oréal, Hermès, AXA etc.), ainsi que des programmes exécutifs développés en coopération avec de prestigieuses universités comme Berkeley, Stanford, McGill, NUS et CentraleSupelec. Par ailleurs Martine est au board mondial de Stanford, membre du comité d'orientation stratégique de CentraleSupélec et aussi de celui de l'université de Paris Saclay.

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Commentaires 2
à écrit le 13/03/2024 à 9:51
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Je suis une dirigeante. J’ai adoré l’article. Merci!!!

à écrit le 13/03/2024 à 9:51
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Je suis une dirigeante. J’ai adoré l’article. Merci!!!

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