La France doit livrer et gagner la bataille des postes clés de l’Union européenne

OPINION. En 2014, François Hollande avait renoncé à combattre Angela Merkel. Cette fois, Emmanuel Macron ne doit pas laisser le champ libre à l’Allemagne. Nous l’avons écrit ici : il doit se projeter en « Captain Europa ». Il faut, en France, « penser l'Europe comme une affaire intérieure » et « la France a besoin d’une stratégie d’influence européenne ». Alors oui, la présidence de la Commission serait une belle victoire mais le combat est plus complexe et ne devra pas se limiter aux prochaines semaines, certes décisives pour les postes phares, mais insuffisantes pour rééquilibrer l’Union. Par Jean-Christophe Gallien, professeur associé à l'Université de Paris 1-Panthéon Sorbonne, président de j c g a.
Jean-Christophe Gallien.
Jean-Christophe Gallien. (Crédits : Reuters)

Alors que le flou chaotique concernant la sortie ou pas des Britanniques fragilise l'unanimité des Vingt-Sept et retarde la préparation de l'agenda commun des cinq prochaines années européennes, et que l'Europe peine à se situer sur les différentes crises qui minent les équilibres géopolitiques globaux (en particulier au Moyen Orient), les chefs d'État et de gouvernement des pays membres de l'Union se réunissaient le 9 mai à Sibiu en Roumanie - Theresa May n'était pas invitée. Il s'agissait certes d'un sommet informel, mais très stratégique pour lancer la préparation de l'avenir post-Brexit de l'Europe et surtout ouvrir, officiellement, l'implacable course aux postes clés des institutions de l'UE pour la prochaine mandature.

Sibiu, extraordinaire cité médiévale de Transylvanie, qui fut bâtie au XIIe siècle par des colons saxons pour bloquer les invasions ottomanes ! Sibiu choisie par le président Jean-Claude Juncker pour qui "Sibiu symbolise notre unité, notre diversité"... Peut-être aussi symbole d'une Europe qui ferme progressivement ses frontières et ralentit son élargissement.

L'ouverture d'une féroce bataille pour les postes clés

Il ne fallait pas attendre jeudi de grandes décisions sur l'actualité géopolitique et encore moins sur l'agenda stratégique de l'Union européenne pour la période 2019-2024. Cet acte fondateur pour la prochaine mandature interviendra lors du prochain sommet de juin. Le cœur du sommet était consacré à la féroce bataille, déjà en cours, autour du renouvellement des principaux dirigeants des institutions de l'Union.

Dans un souci d'équilibre géographique et politique, assorti de la nécessité d'avoir au moins une femme, il s'agit de désigner les présidents de la Commission, du Parlement, du Conseil européen, de la BCE mais aussi le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

Premier dossier sur la liste, celui de l'après Juncker. L'actuel président de la Commission s'en va le 31 octobre à minuit. Le chef de l'exécutif européen est, depuis 2014, choisi selon la procédure informelle dite du chef de file ou « Spitzenkandidat » selon le terme allemand. Les têtes de listes candidates pour les élections européennes sont désignées par les différentes familles politiques et en théorie, le champion du groupe politique arrivé en tête devient le président de la Commission.

La succession de Jean Claude Juncker à la tête de la Commission est très ouverte

Les candidats sont sur la ligne de départ. L'Allemand Manfred Weber, candidat du Parti populaire européen (PPE), devrait l'emporter selon les projections. Il devra créer une majorité au Parlement européen sur sa candidature. Délicat car, du fait du recul prévisible de la droite et des sociaux-démocrates dans deux semaines aux prochaines élections, il va devoir fédérer une vraie coalition de plusieurs partis. Complexe aussi car il incarne la ligne dure de la droite allemande, celle de la CSU, la branche bavaroise de la CDU allemande - pas vraiment un argument pour créer un pont majoritaire avec les Libéraux et les Verts.

Il est inconnu en Europe. Son seul titre de gloire fut la direction du groupe PPE au Parlement. Et l'atmosphère au sein dudit PPE est chaotique pour ne pas dire plus. Le Premier ministre hongrois Viktor Orban, qui appartient à ce groupe, a retiré son soutien à Manfred Weber.

En cas d'échec de Weber, on évoque une tentative socialiste avec Frans Timmermans, actuel premier vice-président de la Commission et ancien ministre néerlandais des Affaires étrangères. Il traîne comme un boulet un implacable retrait devant la montée en puissance de l'allemand Martin Selmayr, d'abord chef de cabinet du président Juncker puis secrétaire général de la Commission. Il ne devrait même pas être soutenu par son propre gouvernement. Demeure aussi la candidature, principalement d'appui, de l'Allemande Ska Keller à la tête des Verts.

Un retour du choix par les chefs d'État et de gouvernement

La création potentielle d'un nouveau groupe au centre du Parlement entre l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe, et les troupes d'Emmanuel Macron, propulse comme prétendant Guy Verhofstadt, le président belge de ce groupe élargi des Libéraux qui, s'il ne présentera pas de candidat, tentera de peser voire de s'imposer. On murmure aussi la candidature de la très médiatique commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager. Mais le Danemark n'a pas adopté l'euro et ne fait pas partie de l'espace Schengen. Et puis Guy Verhofstadt se rêve davantage président ... du Parlement européen.

Car nous sommes au cœur d'un intense bargaining général. Tout ceci est un combat complexe à entrées multiples pour se partager les grands postes de l'édifice communautaire. Et le fameux « spitzenkandidat » pourrait se retrouver ailleurs qu'à la Commission, par exemple à la présidence du Parlement.

En fait, ce processus plus démocratique est bien malade. Si les négociations entre députés n'aboutissent pas, le débat devrait se déplacer au Conseil européen. Et le choix, comme avant 2014, reviendrait donc aux chefs d'État et de gouvernement, le nouveau Parlement, élu dans moins de trois semaines, le votant ou pas.

Encore un duel franco-allemand !

Cette version du Conseil provoque aussi des rumeurs qui couraient déjà bien avant Sibiu. La course se ferait entre candidats français et allemands. Michel Barnier est très souvent cité. Il a le soutien d'Emmanuel Macron et de la liste "Renaissance" mais aussi des Républicains, sa famille d'origine, voire d'une partie de la gauche européenne. Son engagement pour trouver une solution au Brexit est salué, mais c'est un travail encore inachevé, ce qui pourrait plomber sa candidature malgré une campagne en profondeur qu'il a mené partout en Europe.

Lui aussi Républicain français d'origine, Bruno Le Maire, germanophone, qui vient de sortir un livre projet « Le Nouvel empire, l'Europe au XXIe siècle » est parfois évoqué. La favorite pourrait être Christine Lagarde, actuelle directrice générale du FMI, dont le nom revient aussi souvent pour la présidence de la Banque centrale européenne. Il n'y a eu que des hommes présidents de la Commission et surtout, elle a les faveurs d'Angela Merkel. Incroyable mais vrai, le nom de cette dernière, la toujours chancelière allemande, circule aussi ! Mais l'Allemagne devrait alors abandonner la prochaine présidence de la BCE. Certains la pousseraient à s'intéresser à la présidence du Conseil que Donald Tusk devra abandonner. On évoque aussi pour ce poste le Premier ministre néerlandais Mark Rutte.

L'enjeu pour la France : rééquilibrer l'Union

Pour la présidence de la BCE, nombreux voudraient l'Irlandais Philip Lane, mais ce sont deux personnalités, finlandaises, qui reçoivent la meilleure cote. Olli Rehn, qui préside la Banque centrale de son pays et qui fut vice-président de la Commission, et Erkki Liikanen, ex-ministre des Finances et lui aussi ex-gouverneur de la Banque centrale finlandaise.

Les Français pousseraient outre la très nominée Christine Lagarde, François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France et le plus discret Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE.

En 2014, François Hollande avait renoncé à combattre Angela Merkel. Cette fois, Emmanuel Macron ne doit pas laisser le champ libre à l'Allemagne. Nous l'avons écrit ici, Emmanuel Macron doit se projeter en « Captain Europa ». Il faut, en France, « Penser l'Europe comme une affaire intérieure » et « la France a besoin d'une stratégie d'influence européenne ». Alors oui, la présidence de la Commission serait une belle victoire mais le combat est plus complexe et ne devra pas se limiter aux prochaines semaines, certes décisives pour les postes phares, mais insuffisantes pour rééquilibrer l'Union.

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Par Jean-Christophe Gallien
Politologue et communicant
Président de j c g a
Enseignant à l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals

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Commentaires 5
à écrit le 14/05/2019 à 20:54
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Une équivalence à Mme Merkel ? Une Mme Thatcher à la Française ? Je ne vois pas et vous ?

à écrit le 11/05/2019 à 11:06
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La france serait elle mieux defendue avec des politiques français aux postes clefs? Cela ne me semble pas aussi evident que ça. Predictit met pour l'instant weber et liikanen en tête pour la commission et la bce, et ma foi, ça m'irai pas trop mal, e...

à écrit le 10/05/2019 à 23:27
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La collaboration pousse a recruter des collaborateurs! Le problème de l'UE c'est qu'elle est sur la défensive n'ayant nullement convaincue!

à écrit le 10/05/2019 à 18:46
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Comment peut on croire que mettre "des Pétains" au pouvoir améliorera le sort des français, s'ils ne rentrent pas dans la collaboration!

à écrit le 10/05/2019 à 14:08
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"La succession de Jean Claude Juncker à la tête de la Commission est très ouverte" Les recycleurs de verre se frottent déjà les mains devant cette manne phénoménale de matière première ! ^^ C'est tout vu que nous voyons bien que notre UE n'es...

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