La Russie en guerre contre l'OPEP

CHRONIQUE. Après la réduction supplémentaire de sa production d'un million de barils par jour en juillet annoncée la semaine dernière par l'Arabie saoudite, l'économiste Michel Santi (*) décrypte les nouvelles structures du marché pétrolier chahuté par les conséquences de l'embargo des pays occidentaux à l'égard du pétrole russe.
(Crédits : Ramzi Boudina)

Il faut conjuguer la force de frappe de l'OPEP au passé. Ce quarteron de pays qui se réunissait à Vienne, qui décidait à l'unisson de réduire sa production, qui faisait usage de son monopole pour faire monter les prix du pétrole au détriment de l'ensemble des nations et des continents avides d'en consommer, n'impressionne plus guère. Qu'elle semble lointaine cette époque commencée en 1973 où l'OPEP, suivie de quelques autres pays non membres, avait provoqué le premier choc pétrolier. Car ses membres se rendent aujourd'hui comptent d'une évidence, à savoir que le régime d'un cartel est fort compliqué à maintenir.

Arabie saoudite

La tentation est trop grande pour chacun de ses membres de rompre la solidarité qui fait l'essence même d'un cartel dès lors que l'opportunité lui est offerte de gagner davantage en vendant davantage. Les défections sont tout bonnement humaines lorsque les profits peuvent être majorés en consentant une légère décote aux acheteurs et en l'absence de mécanisme qui empêche, puis qui sanctionne, ces écarts de conduite. Grâce à ses gigantesques réserves faisant d'elle le plus important producteur de l'organisation, et grâce surtout à ses coûts d'extraction largement inférieurs à ceux des autres membres, la variable d'ajustement fut traditionnellement l'Arabie saoudite. Laquelle disposait du pouvoir de faire intensément pression à la baisse sur les prix en ouvrant gros ses robinets afin de donner ainsi une bonne leçon en comprimant leurs recettes aux pays n'ayant pas respecté leurs quotas. Ces mesures de rétorsion potentielles de l'Arabie lui conféraient un réel pouvoir en sein de l'OPEP, car elle était la nation qui pouvait du jour au lendemain inonder le marché tout en préservant ses propres intérêts, mais avec une capacité de nuisance certaine envers ceux qui ne respectaient pas les règles du jeu.

Un marché bouleversé

La dynamique du pouvoir de ce cartel s'est pourtant renversée avec l'intégration en 2016 de la Russie dans ce qui devint l'OPEP+, censée consacrer la domination absolue du marché pétrolier par ce cartel, et un rempart efficace contre toute velléité d'indiscipline de la part de membres qui subiraient dès lors des mesures de rétorsion de ce groupe tout-puissant. Le plafonnement du prix du pétrole par le G7, par l'Union européenne et l'Australie, combiné à un axe composé de la Chine et de l'Inde ont bouleversé la structure même de ce marché, car c'est désormais les acheteurs - et plus les vendeurs - qui imposent leurs conditions !

En effet, la Russie - qui doit financer sa machine de guerre et qui a donc des besoins immédiats et vitaux en liquidités dans un contexte de sanctions d'une dureté sans précédent - ne peut plus aujourd'hui appréhender le marché sous le même prisme que les autres membres de l'OPEP. Comme elle ne peut plus se payer le luxe de penser au long terme, ni de jouer le jeu de réduire sa production afin d'en récolter par la suite les bénéfices, la Russie a réussi envers et contre tout à remonter sa production au niveau d'avant la guerre en Ukraine et même d'avant la Covid avec 600.000 barils par jour. Les réductions substantielles de prix qu'elle est forcée d'accorder à la Chine et à l'Inde (qui sont ses seuls acheteurs puisque l'Ouest la boycotte) et qui raflent aujourd'hui 90% de ses exportations lui permettent de garder un tant soit peu la tête hors de l'eau, et expliquent pourquoi ses revenus pétroliers se sont effondrés de l'ordre de 30% en dépit d'une production en nette augmentation.

Dans une tentative quasi désespérée de contrer les effets de cette défection russe (et d'autres pays exportateurs de pétrole en Afrique qui lui emboîtent le pas) qui a pour conséquence d'exercer une pression généralisée baissière sur les tarifs pétroliers, l'Arabie réduit sa propre production pour stabiliser - voire renverser - le marché. Elle n'y parviendra pas, car la coopération d'antan au sein de l'OPEP a vécu, et la baisse de sa production n'aura qu'un seul effet: la réduction de ses propres revenus. Qui aurait prédit que la guerre en Ukraine se traduirait par une ère nouvelle de prix pétroliers en nette baisse ?


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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l'auteur d'un nouvel ouvrage : « Le testament d'un économiste désabusé ».
Sa page Facebook et son fil Twitter.

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Commentaires 5
à écrit le 13/06/2023 à 17:03
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J’avais lu récemment que l’Arabie Saoudite, rachète le pétrole russe à bas prix pour le revendre au prix du marché Est ce vrai ?

à écrit le 13/06/2023 à 17:02
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J’avais lu récemment que l’Arabie Saoudite, rachète le pétrole russe à bas prix pour le revendre au prix du marché Est ce vrai ?

à écrit le 12/06/2023 à 8:10
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"Les réductions substantielles de prix qu'elle est forcée d'accorder à la Chine et à l'Inde (qui sont ses seuls acheteurs puisque l'Ouest la boycotte)" Peut-être seulement deux clients mais deux énormes clients ! C'est une bonne nouvelle en effet et ...

le 12/06/2023 à 9:16
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"nos dirigeants français l'ont anticipé en figeant le prix de l'essence très haut faisant qu'ils ne répondent plus du tout à la baisse des cours" les dirigeants fixent la TICPE (taxe HT à laquelle 20% doivent être appliqués pour devenir TTC) chaque ...

le 12/06/2023 à 9:49
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Oh depuis le temps qu'ils soient plusieurs à vouloir croquer dans cette vaste manne financière qu'est le pétrole et de plus en plus semble évident. Une magouille en entraine toujours d'autres. On le constate un peu plus tous les jours d'ailleurs. Mai...

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