Le droit du travail à l'épreuve de la Covid : un droit en pleine transformation

OPINION. Avec la crise sanitaire, les tensions internes au droit du travail, nées de la nécessité de concilier finalité sociale et finalité économique, prennent un tour de plus en plus dramatique. (*) Par Malik Douaoui, Associé au sein de cabinet Deloitte-Taj en droit social.
(Crédits : © Philippe Wojazer / Reuters)

Le droit du travail, qui a vocation à régir les rapports entre les salariés et les employeurs, poursuit deux finalités distinctes et opposées qu'il s'évertue à concilier : une finalité sociale et une finalité économique.

Né à la fin du XIXe siècle, avec la société industrielle, le droit du travail vise d'abord, historiquement et ontologiquement, à protéger les droits des salariés contre les pouvoirs de l'employeur. Cette protection conduit à rééquilibrer en faveur des salariés le rapport inégalitaire sur lequel repose le contrat de travail, caractérisé par un rapport de subordination juridique du salarié à l'égard de l'employeur.

Né avec le capitalisme, le droit du travail en épouse les transformations. La mondialisation de l'économie et la concurrence entre les Etats, ont transformé le droit du travail en un instrument au service de la compétitivité des entreprises. Cette transformation s'est accélérée au XXIe siècle, pour atteindre un point d'orgue avec les ordonnances Macron de septembre 2017 visant à libérer les entreprises des contraintes réglementaires qui pèsent sur elles et à leur offrir de nouveaux outils de flexibilité.

Le droit du travail à l'épreuve de la Covid-19 : la fin des règles d'unité de lieu, de temps et d'action

Avec la Covid, les tensions internes au droit du travail, nées de la nécessité de concilier finalité sociale et finalité économique, prennent un tour plus dramatique encore : comment conjuguer impératif sanitaire (protection de la santé des salariés) et impératif économique (maintien de l'activité des entreprises) ? Faut-il confiner pour protéger la santé des salariés au risque de paralyser l'activité économique ?

Déjà miné de l'intérieur, sous l'effet de la Covid, le droit du travail se transforme en profondeur car la règle des trois unités (lieu, temps et action) qui en constituait le socle, à l'image du théâtre classique, vole en éclats.

  • Règle de l'unité de lieu

Le travail se déroule dans l'entreprise. Or, la Covid a généralisé le télétravail, en contraignant des millions de salariés à travailler à partir de leur domicile.

  • Règle de l'unité de temps

Le travail se déroule dans la journée, selon un rythme dicté par les impératifs professionnels.

Or, le travail à domicile change le rythme de travail, en le soumettant aux impératifs de la vie privée et familiale du salarié : c'est ainsi que le travail change de tempo, tout le temps et tout au long de la journée ; le salarié travaille, puis cesse de travailler pour travailler à nouveau, au gré des impératifs de la vie privée et familiale.

  • Règle de l'unité d'action

Le travail se déroule selon le même scénario : il est exécuté sous la direction de l'employeur, en sa présence, au sein d'une communauté de travail. Or, avec la Covid, ce scénario n'a plus cours : le salarié à domicile travaille en dehors de toute présence de son employeur et souvent en dehors de tout réel contrôle. Il est seul face à son travail et les liens avec les autres salariés se distendent ou se dissolvent au point, parfois, de générer chez certains salariés une souffrance au travail.

Le droit du travail, reflet des transformations de la société, nées de la Covid

Le droit du travail change et doit, comme la société tout entière, répondre à de nouveaux défis.

Comment organiser le travail en dehors de la présence de l'employeur ? Comment ce dernier peut-il, à distance, exercer son contrôle sur l'activité des salariés ? Comment indemniser les salariés des frais nés du télétravail ? Comment éviter aux salariés les affres de l'isolement et maintenir vivant le collectif de travail ? Comment maintenir la frontière entre vie privée et vie professionnelle quand celle-ci s'estompe ? Comment les représentants du personnel peuvent-ils eux-mêmes continuer à exercer, à distance, leurs prérogatives et jouer un rôle de contre-pouvoir, quand l'entreprise n'en constitue plus l'épicentre ?

Il serait vain de penser que ces questions répondent à une situation exceptionnelle, appelée à disparaître, une fois la Covid vaincue, dans un temps qui demeure encore inconnu. La numérisation de l'organisation du travail, avec l'utilisation intensive des nouveaux outils de communication, née de la Covid, est irréversible.

Les juristes, comme nos concitoyens, doivent cesser de rêver : il n'y aura pas de retour à notre vie d'avant ; celle-ci a définitivement cessé d'exister et le nouveau monde, né de la Covid, reste à découvrir et à gouverner.

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Commentaires 5
à écrit le 17/02/2021 à 9:14
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En effet c'est un véritable massacre, presque une exécution, en ce moment, la plupart des patrons utilisant le code du travail pour se torcher le c.. Et désolé pour ce langage grossier cabinet deloitte ! ^^

à écrit le 16/02/2021 à 21:56
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"La mondialisation de l'économie et la concurrence entre les Etats, ont transformé le droit du travail en un instrument au service de la compétitivité des entreprises." Mieux vaut lire ça que d'être aveugle !

à écrit le 16/02/2021 à 18:23
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Mouais. Le propos évoque une transformation en profondeur du droit du travail mais au bilan seul l'émergence du télétravail en constitue la raison. Le télétravail est un moyen de faire face au mieux à une situation de crise pour laquelle la mise sous...

à écrit le 16/02/2021 à 17:58
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"Le droit du travail change et doit, comme la société tout entière, répondre à de nouveaux défis." Disons que certains ont plutôt envient de continuer de le dépecer en prenant comme le prétexte du covid.

à écrit le 16/02/2021 à 17:53
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" la Covid a généralisé le télétravail, en contraignant des millions de salariés à travailler à partir de leur domicile". Il a beau être généralisé ,cela ne concerne qu'un salarié sur trois et majoritairement des cadres.

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