Le Grand Paris vaut mieux qu'un jeu de mots

[OPINION] Le rapport de Roland Catro, intitulé "Du Grand Paris à Paris en grand", remis au président de la République fait réagir Alain Sarfati, architecte urbaniste, et Alain Cluzet, auteur de "Le Grand Paris, l'accélération du monde"(*).
Alain Sarfati et Alain Cluzet.
Alain Sarfati et Alain Cluzet. (Crédits : DR)

Un grand projet doit avoir une part de rêve pour emporter la plus large adhésion. Et, dans son rapport, remis ce mardi au président de la République ("Du Grand Paris à Paris en grand"), Roland Castro propose de rêver. Un Grand Paris aussi beau dans ses moindres recoins que la perspective de l'île de la Cité avec vue sur le chevet de Notre-Dame. Chiche ! Et ce n'est qu'un début. Une métropole faite de 3.000 villages et d'autant de visages différents ? On peut se prêter à un tel exercice et dessiner, comme le Petit Prince de Saint-Exupéry, la ville et le monde rêvés. L'attente des métropolitains est ailleurs : habitants, entrepreneurs, décideurs, tous avides d'une métropole, certes plus belle, mais avant tout plus fluide, plus douce à vivre, à investir, à habiter, à partager. Une métropole créative qui permette quiétude et déambulations baudelairiennes mais procure aussi énergie, rencontres, opportunités propres aux villes mondes. Une métropole qui bluffe ses habitants avant les touristes.

La décontraction de Castro, la facilité avec laquelle il esquisse, tel un impressionniste, les lieux et ambiances d'un Grand Paris mythifié ne fait pas avancer sa construction. Il relate avec passion l'histoire urbaine de Paris du dernier siècle, les errances du mouvement moderne et les tentations récentes de nouveau départ. Mais, au total, c'est une explosion kaléidoscopique, une atomisation de la pensée et du projet qui en résultent. Prudent plus que de coutume, flatteur avec les grands prescripteurs, il accole les idées à la mode sans défendre de ligne globale, d'unité et de réelle méthode pour l'action publique. Si le beau est la condition de l'attractivité, comment l'atteindre dans chaque lieu de la métropole ? Si la ville cède trop aux algorithmes, comment y échapper ? Et comment « lisbonniser » la géographie d'un grand bassin sédimentaire ?

Le lecteur reste perplexe devant un catalogue qui ne dit rien d'un « grand projet » et rien sur ce qui pourrait être son financement. Le Grand Paris Express, s'il a une utilité, ne saurait en être l'unique moteur, il ne dit rien de l'ambition du « faire vivre ensemble ». L'enjeu est important, il y va de l'avenir du rayonnement de la métropole, et, au-delà, de la France. Le saupoudrage et l'atomisation ne feront pas un projet ambitieux et partageable. Nous pensons indispensable de regarder la métropole dans sa géographie, dans son histoire et d'en faire un modèle contemporain enviable pour « ses beautés et ses qualités de vie ».

Un Grand Paris unitaire et rayonnant

On doit pouvoir se reconnaître dans le Grand Paris comme dans un tout, assumer un centre commun élargi à l'ensemble de la capitale d'où rayonneront 20 grandes avenues, les actuelles routes nationales, comme autant de liens radioconcentriques à des villes-quartiers. Les 21 avenues des Champs-Elysées du 21e siècle, se déroulent en portant toutes les vitesses, des transports en commun, de la distribution...

Le Grand Paris a besoin d'un centre vaste et non sanctuarisé, appartenant à tous, accessible à chacun rapidement. Le Grand Paris Express ne pourra jouer ce rôle d'unification car il tangente la capitale sans réellement la desservir et se cache dans les entrailles des villes, comme le regrette fort justement Castro.

A l'inverse - hélas - de Tokyo ou Chicago, où le métro aérien participe de l'unité de la ville. Ces avenues du Grand Paris, par une typologie commune de gabarit et d'aménagement, donneront une unité nouvelle et moderne à un ensemble de lieux trop souvent juxtaposés sans ordonnancement commun ou neutralisés par de seuls impératifs techniques.

Plus les avenues du Grand Paris seront des manifestes, moins la mutation continue au sein des îlots sera difficile, car l'identité principale sera préservée. Cette trame urbaine principale sera prolongée par une desserte renforcée de tous les lieux relégués de la métropole, pour donner à chaque quartier l'opportunité d'un vrai développement car l'enclavement psychologique, économique et communautaire, résulte bien souvent d'un enclavement physique.

Un nouveau modèle de croissance

Enfin, la trame verte de parcs et d'agriculture périurbaine, boisements, lacs et canaux, sera démultipliée pour faciliter les liaisons douces et les loisirs nature, la respiration des sols comme des habitants. Et la Seine doit devenir une vraie ligne de vie jusqu'au Havre. La création d'une ceinture verte périphérique, également souhaitée par Castro, selon le modèle londonien élaboré dès les années 1930 ou pékinois décidé dernièrement, stoppera l'étalement infini et procurera un bol d'air à tous ceux qui ne peuvent atteindre les rives bretonnes tous les week-ends.

Pour cela il faut impérativement changer de logiciel de croissance. Abandonner au plus vite un objectif illimité d'emplois et d'habitants - comme l'ont déjà fait de nombreuses métropoles mondiales dont Shanghai, modèle néfaste pour l'environnement, la qualité de vie et la compétitivité - au profit d'une croissance ciblée à forte R&D et des partenariats avec les métropoles régionales. Choisir des secteurs de croissance précis, dans des pôles métropolitains spécialisés et non dupliqués, est une condition majeure d'attractivité globale. C'est aussi une manière de donner du sens et de différencier les « Avenues ».

Un Grand Projet compréhensible sans GPS

Il faudra privilégier une écométropole pilote en innovation verte, support des multiples technologies mises au point dans les grands laboratoires franciliens avec lesquels signer un pacte pour l'innovation technologique, à l'instar de Bloomberg à New York après la crise des subprimes. Loger prioritairement les acteurs de la métropole, particulièrement les classes moyennes, au lieu de laisser l'offre se focaliser sur deux pôles extrêmes, les populations nomades et les investisseurs immobiliers internationaux, deux catégories illimitées dans la mondialisation. Londres, Hong Kong, New York, Los Angeles sont des épicentres de cette bipolarisation destructrice. Trouver sa place sereinement entre Tokyo (40 millions d'habitants) et Francfort (700.000), sans continuer à doubler la construction annuelle de logements, est une assurance de privilégier qualité de vie et agilité économique.

Si le Grand Paris a besoin de « poésie », c'est dans la perspective qu'il offre qu'il faut la trouver à toutes les échelles. La dissémination des projets n'aura un sens qu'à partir d'un Grand Projet imaginable, compréhensible sans GPS. La cohérence a d'abord besoin de coordination des acteurs et de mouvement. Sacrifier ou minimiser l'un ou l'autre de ces ingrédients ne préserverait ni l'attractivité du Grand Paris ni la qualité de vie en son sein.

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(*) "Le Grand Paris, l'accélération du monde", Éditions Infolio (octobre 2017), collection Archygraphy Poche, 187 pages.

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