
LA TRIBUNE DIMANCHE - Comment les médias traditionnels peuvent-ils éviter de se faire manipuler, comme cela a été le cas avec les étoiles de David peintes sur les murs de Paris ?
ALAIN BAUER : Ils ne peuvent pas. Ils rapportent les faits et doivent mieux les vérifier, alors que le rythme du « premier à en parler » les fait publier d'abord et contrôler ensuite. De nombreux médias comme Le Monde et le New York Times viennent d'en faire la triste expérience.
Les Jeux olympiques l'année prochaine représentent-ils l'événement le plus sensible jamais organisé en France ?
Non. Mais le cumul des crises - sociale, financière, économique, sanitaire, environnementale, sécuritaire, militaire, dont aucune n'est terminée - fait peser sur cet événement des enjeux considérables. C'est le cumul des risques qui pose question.
A-t-on trop longtemps sous-estimé l'ingérence étrangère sur les réseaux sociaux ?
On la sous-estime encore. L'étrange idée de créer un « Trollistan » sans règles, un espace sans permis de conduire, feux de circulation ou freins, au nom d'un Far West « libéré », a aussi permis aux États de saper ce qui restait de vérité comme base de discussion et de vérification des faits. Il n'y a plus que des réalités alternatives...
Les tentatives de déstabilisation sont-elles mieux contenues aujourd'hui ? Que reste-t-il à améliorer ?
Mieux comprises, oui, mais avec un immense retard et un considérable décalage entre la puissance des algorithmes et les moyens des États démocratiques. Une éducation à Internet et aux réseaux sociaux reste à faire. La société civile et les pouvoirs publics sont de plus en plus lucides, mais encore souvent désemparés.
Les plateformes jouent-elles le jeu de la modération en partenariat avec les États ? Le rachat de Twitter par Elon Musk a-t-il changé la donne ?
Ce n'est pas leur mission. Elles sont là pour gagner de l'argent, forcer l'attention et ont le même rôle que les fabricants de cigarettes à qui on demande de lutter contre le tabagisme. Le rachat de Twitter/X a surtout changé la logique de la modération et réduit la capacité à faire semblant de réguler au nom du free speech libertarien. Il s'agit d'une régression dont on verra les effets à terme.
On parle d'une « russification » globale de l'ingérence étrangère sur Internet. Le monde entier utilise-t-il les méthodes du Kremlin aujourd'hui ?
Oui. Les fondamentaux sont les mêmes, mais adaptés au XXIe siècle, en 2.0 : manipulation, compromission, élimination. On observe également toujours cette capacité qu'ont les Russes à user d'idiots utiles et d'alliés efficaces dans une même fascination et détestation de l'Occident.
Faut-il s'attendre à des attaques numériques de la part de tous les pays avec lesquels la France entretient des relations diplomatiques compliquées ?
Évidemment. La permanence des conflits, le retour des « guerres éternelles » (Israël/ Palestine, Russie/Ukraine, Balkans, Azerbaïdjan/Arménie), le réveil des empires (chinois, perse, ottoman) ou leur agonie (Russie), la future guerre à Taïwan, vont pousser les APT* étatiques, criminels, mercenaires et hybrides à se déchaîner.
* Advanced Persistent Threat : désigne un type de piratage informatique ciblant une entité spécifique.
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