Les nouvelles proximités, au cœur de la confiance ! Lettre aux présidents de Régions

A la veille de la réunion des présidents de Région de France à Montpellier, nous partageons la synthèse des travaux issue des deux journée de débats des 27 et 28 août à Frontignan où s'est tenue la 5ème session de « The Village ». Cette année, c'était sous le signe des « Nouvelles Proximités ». Nous proposons cinq pistes à explorer pour penser "confiance", "hybridation", « porosité » "expérimentation" et "émancipation". Par Didier Chabaud, Catherine Gall, Luc Gwiazdzinski, Vincent Kaufmann, Carlos Moreno, Jean Christophe Tortora (EPFL - Lasur, Chaire ETI - Paris Sorbonne, ENSA Toulouse, La Tribune)
(Crédits : iStock)

Le 27 et 28 août à Frontignan s'est tenue la 5ème session de ce rendez - vous de réflexion, devenu maintenant une tradition en Occitanie, « The Village ». Cette année, c'était sous le signe des « Nouvelles Proximités » - en collaboration avec la Chaire ETI de l'IAE de Paris, le Laboratoire de Sociologie Urbaine de l'École Polytechnique Fédérale de Lausanne et le Laboratoire de Recherche en Architecture de l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Toulouse - avec de nombreux acteurs de différents horizons professionnels ou géographiques, âges, formations, parcours.
 
A la veille de la réunion des présidents de Région de France à Montpellier et pour contribuer au débat, nous partageons la synthèse des travaux, avec nos axes de réflexions et interrogations. Nous considérons que dans cette période difficile, traversée par la crise climatique et les conséquences dramatiques de la COVID-19, plus que jamais la question des proximités se trouve au cœur de nos enjeux sociétaux.
 
Dans un contexte de fortes tensions écologiques, sociales et économiques, plutôt que de se concentrer sur ce qui sépare, sur les distances qui s'allongent ou sur les murs qui se dressent, nous avons fait le choix de nous intéresser à ce qui rapproche, malgré et avec nos différences.
 
La crise de la COVID-19 nous impacte durablement, mais elle a produit aussi un autre rapport au temps et à l'espace, avec les confinements, couvre-feux, interdictions de sortie, ralentissements obligatoires. La COVID-19 nous a amenés également à redécouvrir d'autres manières de travailler, d'apprendre, de nous déplacer, de vivre. Le rythme de nos vies ayant changé soudainement nous nous interrogeons sur le bien-fondé d'une vie trépidante, cadencée par des déplacements permanents et nous nous penchons sur cette autre valeur qui a émergé - et c'est la vraie rupture survenue -, celle du temps, la prise de conscience de la valeur du temps utile. Oui, à quelques mois de la COP26 et sous la pression extrême de l'urgence climatique, ces interrogations nous projettent, malgré l'incertitude, vers de nouvelles approches indispensables pour vivre ensemble et habiter la terre demain.
 
Les proximités dont nous parlons sont multiples. Elles sont géographiques, temporelles, sociales, affectives, culturelles, numériques. Nous disons qu'il ne peut pas y avoir de qualité de vie, d'apaisement, sans ces proximités essentielles, qui doivent devenir heureuses car elles doivent concourir à créer de la valeur et non à la détruire. Ces proximités heureuses sont la clé de l'avenir pour le seul avenir possible, la création dans chacun de nos actes de vie, de cette triple valeur écologique, économique et sociale, indispensable pour vivre dans des villes et territoires vraiment durables car vivables, viables et équitables. Les proximités dont il est questions ne sont pas des proximités qui enferment mais au contraire des proximités qui rassurent, ouvrent et libèrent.
 
Nous disons que vivre dans une « proximité heureuse  est au cœur de la réussite de notre pacte républicain car c'est le socle de la confiance sans laquelle rien ne sera possible ; confiance qui aujourd'hui est malmenée et qu'il faut de toute urgence retrouver.
Nous pensons qu'il faut déployer des efforts conséquents pour favoriser l'émergence d'une très large offre de services permettant aux habitants de vivre dans nos villes et territoires dans une proximité où l'inégalité vécue et ressentie est à la fois sociale et spatiale. Cette proximité va bien au-delà des services atteignables en courtes distances. Il s'agit de la considérer dans un cadre de vie global. Celui du bien-être individuel, familial et amical ; celui de la sociabilité avec les amis et collègues de travail ; celui avec la planète, la nature et sa biodiversité et en altérité avec les autres.
 
Nous pensons que le chemin critique passe par la définition d'une feuille de route pour tisser des proximités multiples, interroger l'empreinte actuelle de nos territoires, dessiner de nouveaux maillages, de nouvelles armatures sociales, urbaines et territoriales. Il y a urgence à bâtir d'autres manières de se projeter pour sortir des centralités existantes, pour construire des poly-centralités sous des formes diverses, décentraliser très largement et offrir un autre cadre réglementaire. Rien ne sera possible sans la mobilisation de l'ensemble de la société dont le secteur privé. Il y a aussi urgence à se donner les moyens pour changer nos modes de travail, qui sont au cœur de la dégradation de notre qualité de vie par la mobilité pendulaire subie.
Une population active qui converge massivement tous les jours aux mêmes heures sur une faible portion du territoire pour travailler, avec le retour toujours en masse le soir dans les mêmes tranches horaires, est au cœur d'un mode de vie devenu insoutenable. Des nouvelles concertations, des nouvelles pratiques, d'autres manières de produire, consommer et se déplacer sont indispensables !
 
Les bases de ce nouveau projet de société reposent sur l'action publique d'un côté, la transformation des pratiques du secteur privé et l'évolution de nos comportements individuels de l'autre.
 
Nous proposons 5 pistes à explorer qui invitent à une réflexion systémique afin de dépasser les approches normatives et binaires pour penser "confiance", "hybridation", « porosité » "expérimentation" et "émancipation" :
 
1. Intégrer la question des rythmes dans le code du travail et les politiques urbaines

Lutter contre la pendularité domicile - travail est essentiel pour retrouver une meilleure qualité de vie. Nous sommes prisonniers de rythmes de vie et de travail hérités d'un autre siècle, inscrits dans nos organisations, modes de vie et infrastructures. Il y a urgence à dé-saturer les espaces et les temps pour ré-humaniser nos villes, nos territoires, pour retrouver la convivialité, la solidarité, l'entraide et revitaliser l'ensemble de nos lieux. Il est indispensable d'habiter partout et tout le temps et non seulement dans quelques lieux et quelques heures pour intégrer d'autres rythmes, se reconnaître dans la diversité de nos besoins, de nos habitudes et se donner une vie en humanité pour tous et chacun. La COVID-19 a montré que nous aspirons à des rythmes de vie plus soutenables, qui nous permettent de consacrer du temps à notre bien-être physique, mental, social, émotionnel et environnemental. D'autres rythmes permettent d'aborder cette question désormais à l'ordre du jour, le sens que chacun donne à sa vie au-delà du travail. Il est possible d'y adosser de nouvelles normes institutionnelles et sociales permettant de penser autrement les rythmes urbains pour changer face à la congestion des trafics soit du transport de masse ou individuel, les mouvements des foules, les déséquilibres territoriaux en journée, l'épuisement personnel, les déplacements inutiles au travail, les longues et fatigantes distances qui pourraient être évitées et ainsi favoriser le bien-être et la qualité de vie.
 
2.    Penser le "mieux commun" plutôt que l'intérêt individuel

Au-delà du « bien commun », la démarche du « mieux commun » nous permet de réfléchir à son usage.  Si nous voulons sortir de la pandémie dans une logique de davantage de mutualisation et partage de nos ressources, des voies et des dispositifs nouveaux sont à approfondir et d'autres restent à imaginer ; ils combinent à chaque fois une régulation des temps et une attention à une meilleure utilisation de l'espace et du bâti : le développement du multi usage et leur mixité fonctionnelle, la mise en partage des espaces, le télétravail dans des tiers lieux, les hubs d'accueil décentralisés mono ou multi entreprise, la démultiplication des solutions de garde pour les enfants, les EHPAD « sans murs»,  les régulations de l'accès aux milieux naturels, les friches renouvelées, la mise en phase des rythmes de consommation et de production avec les incitations aux circuits courts avec relocalisation de l'activité, etc. Mais aussi des nouveaux outils administratifs, financiers, technologiques permettant de lutter contre la « gentrification », tels les fonciers de commerce, d'habitat, les budgets participatifs, les plateformes pour débusquer les ressources « cachées » avec le foncier et bâti à ré-utiliser, les mutuelles urbaines de proximité pour mieux utiliser les services en heures de moindre fréquentation ou creuses... etc

3. Ancrer notre nouveau projet de société sur les aspirations et le désir d'apprendre et de transmettre tout au long de la vie

Avec 100.000 jeunes qui quittent les structures scolaires sans diplôme chaque année, nous devons repenser notre modèle. Nous vivons dans une culture de longue tradition éducative, mais qui se trouve aujourd'hui désorientée devant les nouveaux enjeux de l'apprentissage et de la transmission. Comment permettre aux personnes de réaliser leurs aspirations et projets ? Comment faire fonctionner la trilogie Savoir / Savoir-faire / Savoir-être ? Tout le monde peut et doit transmettre. Comment créer les conditions pour penser le décloisonnement des esprits, de l'administration, mais aussi des espaces éducatifs. Comment favoriser la culture apprenante, créer des « territoires apprenants » où toutes les parties prenantes s'enrichissent ? On pourrait imaginer des « Classes de villes » (sur le modèle des classes vertes), des « leçons de lieux et de territoires » (sur le modèle des « leçons de choses ») dans des ateliers tiers-lieux pour apprendre l'urbain et le territoire. On viserait alors une éducation populaire et l'émancipation de la pensée afin de mieux « habiter le monde ».
 

4. Favoriser l'initiative individuelle et notamment l'entrepreneuriat dans le domaine de la durabilité

Sommes-nous dans un contexte qui favorise l'initiative individuelle ? Non, décidément nous faisons face à encore trop de bureaucratie, freins administratifs, centralisation voire jacobinisme à outrance. Comment alors valoriser l'entreprise et l'entrepreneuriat pas seulement dans ses aspects financiers mais dans toutes ses dimensions que sont l'épanouissement humain, les réinvestissements dans les territoires, les entrepreneurs plus responsables, les achats locaux, la réduction d'impact environnemental ? Comment permettre aux femmes et à certains publics discriminés ou marginalisés de prendre part plus largement à l'entreprenariat durable et pérenne aujourd'hui ?
Nous pensons qu'à l'échelle de nos régions, de nos territoires, de nos villes, l'une des clés de sortie est celle du développement d'un entrepreneuriat à la fois compétitif et vertueux. L'enjeu des prochaines années est, à notre sens, d'irriguer nos régions, nos territoires, nos lieux de vie, d'une action puissante faisant évoluer la création de valeur économique pour que cette « valeur » soit génératrice de lien social local.
L'économie circulaire est à l'épreuve d'une nouvelle mutation, celle de la circularité sociale, pour qu'habitat, travail, courses, santé, éducation et loisirs, les six fonctions sociales essentielles à la haute qualité de vie sociétale soient au cœur de nos engagements. C'est un engagement essentiel pour le développement de l'entrepreneuriat en France avec une mission de développement du lien social.
 
5. Accompagner l'innovation et la créativité territoriale par un numérique maîtrisé

Les nouvelles technologies sont au cœur des transformations majeures que nous devons réussir et elles ont pris une place centrale dans la vie des territoires et des villes de plus en plus connectés. Pourtant l'accès aux outils et aux données numériques ainsi que le développement des compétences pour les utiliser sont encore aujourd'hui source d'importantes inégalités (« illectronisme ») et de stress. Comment accélérer l'appropriation numérique pour rapprocher les personnes au lieu de les isoler, désenclaver les territoires qui ont perdu leurs services publics, mailler les tiers lieux, les écoles et les centres culturels pour créer des écosystèmes apprenants ... Tout en ayant conscience des enjeux écologiques du numérique et de l'intégrité des données privées. Le numérique est un outil important du bien vivre ensemble dans les territoires. Comment accélérer l'application des technologies spatiales sur la Terre ?

Les modes de production, de consommation, de déplacement, de vie deviennent insoutenables. Ils arrivent aujourd'hui à un point de non-retour comme nous le rappellent les scientifiques, les jeunes du monde entier mobilisés et nombre d'événements dramatiques à différentes échelles (extinctions, méga-feux, inondations...). A nous toutes et tous d'imaginer ensemble le nouveau cadre et de créer les conditions d'acceptabilité pour que chacun puisse trouver sa place. Comme l'a rappelé l'une des intervenantes à "The Village" 2021, nous avons fait un pari, celui de la réflexion, de la discussion, de l'échange avec conviction mais dans le respect mutuel : se poser des questions, s'interroger et nous éclairer collectivement et imaginer ensemble quelques pistes pour construire un futur à la hauteur des défis. Elle a résumé notre démarche avec cette belle phrase de Lao Tseu : "Mieux vaut allumer une bougie que maudire les ténèbres".

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Commentaires 3
à écrit le 28/09/2021 à 17:54
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Bref! On ne peut que constater, que la proximité était bien plus présente avant cette régionalisation a la sauce Bruxelloise!

à écrit le 28/09/2021 à 10:34
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Il n'y a pas si longtemps, il n'y avait pas besoin des régions pour se sentir plus "proche" de l'essentiel! Mais on préfère mettre le chaos pour mieux privatiser!

à écrit le 28/09/2021 à 10:16
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C'est ce qui s'appel se payer de mots ! Regardez les ces bourgeois et leurs pseudo activités de sociologie urbaine, envoyez les à l'usine, ah non ils ne savent rien faire de leurs dix doigts. Au B.E. alors ? vous rigolez, leur domaine c'est le blabl...

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