Dans le cadre du positionnement en économiquement correct le gouvernement a proposé dans la loi PACTE la création d'entreprises dites à missions. Ces entreprises doivent annoncer une « raison d'être » qui est censée dépasser l'objet d'activité étroit - la production de tel bien ou tel service -, pour poursuivre en complément des objectifs « sociétaux » et « environnementaux ».
Le principe selon lequel les agents économiques agissent conformément à l'intérêt du plus grand nombre et dans un grand souci et une exigence éthique est en soi quelque chose de très positif. C'est une évolution standard de nos sociétés économiquement avancées de se préoccuper de fins supérieures.
Ainsi, de même que des étudiants et des travailleurs peuvent s'engager dans l'économie sociale et solidaire et choisir de gagner moins d'argent pour mener des missions qui les nourrissent à un autre niveau, des actionnaires peuvent être désireux de financer ces entreprises et accepter des rémunérations moindres pour leur capital.
Danone est l'une des premières grandes entreprises françaises à donner le bon exemple. En juin 2020, un vote quasi-unanime de ses actionnaires l'a fait passer d'entreprise « classique » à entreprise à mission. Danone s'engage dorénavant à « apporter la santé par l'alimentation au plus grand nombre », et pour ce faire, va investir pour changer les habitudes alimentaires supposées nocives, préserver la planète, lutter contre le changement climatique et construire le futur.
Sans bien sûr qu'il y ait un lien de causalité, les performances de Danone fléchissent depuis un an et le cours de l'action est passé sur la période de 75 euros à moins de 55 euros en début de semaine, la baisse lente mais continue de Danone se fait à contrecourant du CAC 40.
Réduire les coûts
Face à cette chute, Danone vient d'annoncer, non pas des licenciements boursiers mais des licenciements tout court, 2.000 au niveau mondial dont 500 en France. Ces licenciements ne sont pas destinés à augmenter le profit mais à réduire les coûts d'au moins 1 milliard d'euro d'ici à 2023. Un calcul de CM2 peut toutefois montrer que la baisse des coûts augmente le profit économique. L'objectif explicite serait d'alléger l'organisation, de robotiser et digitaliser ce qui peut l'être et de renouer avec la croissance du chiffre d'affaire (3-5%) et l'obtention d'une marge opérationnelle de 15%.
Son positionnement en tant qu'entreprise à mission n'interdit apparemment à Danone de licencier pour baisser les coûts et augmenter la marge opérationnelle. En revanche la firme se sent tenue de le communiquer de façon sociétalement correcte. L'objectif de marge opérationnelle de 15% devient un objectif de « croissance rentable et durable » pour le « monde d'après » et bien sûr c'est le Covid19 qui serait la cause des mauvaises performances de Danone et donc la cause également de ces licenciements.
Le secteur agro-alimentaire n'est vraiment pas un secteur qui a souffert du Covid-19, bien au contraire, même si tel ou tel produit dans un large portefeuille a pu souffrir. Les mauvaises performances de Danone posent donc question dans la mesure où la firme a de bons produits, une bonne réputation et surtout est extrêmement bien positionnée sur des segments en pleine croissance. Ses pairs ont d'ailleurs des performances impressionnantes et un positionnement et une réputation similaire.
Discours sociétal
Il est difficile de dire ce qui ne va pas chez Danone, en revanche il apparaît que son discours sociétal était un discours de période dorée dans laquelle la préoccupation de Danone pouvait être axée sur le bien public et l'éthique et non la génération de profits suffisants, voire la survie. Encore une fois, cela n'est pas un problème en soi. En revanche se donner une mission en dehors du profit ne donne aucune immunité par rapport aux fluctuations de celui-ci. En effet, pour une entreprise en situation de forte rivalité sur l'ensemble de ses marchés face à des adversaires coriaces et déterminés comme les européens Nestlé et Unilever ou les américains Kraft Heinz et Campbell Soup, l'affichage d'objectifs sociétaux doit aller de pair avec le déploiement d'une stratégie économique efficace en termes d'excellence productive, de lancement de nouveaux produits et d'exécution.
Réaliser des profits est toujours quelque chose d'impermanent et ce n'est que la permanence dans les efforts et la tension vers l'objectif de profitabilité qui peuvent, trimestre après trimestre, rendre possible une certaine stabilité de flux de revenu et de profits, pouvant alors être utilisés pour des objectifs sociétaux. Peut-être qu'en déconsidérant un peu moins l'objectif de profit, Danone aurait pu mettre en place plus tôt des mesures d'amélioration graduelles et moins brutales qu'à présent.
Il est triste pour les collaborateurs de se voir licenciés de la sorte après le discours exaltant que le management de la firme a dû produire à grands renforts de feux d'artifices. Mais face à la réalité, qui est têtue et plus forte que toute posture, la direction n'a pas le choix et nous lui souhaitons bien sûr de réussir.
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