Quand la startup nation fait (enfin) face à l'impératif de rentabilité

OPINION. La crise que traverse l'écosystème des startups en France avec le tarissement des financements remet les pendules à l'heure. Elle remet sur le devant de la scène les entreprises ayant de véritables perspectives de rentabilité et les vertus de l'autofinancement. Par Alexis de Goriainoff, cofondateur et CEO de Sewan.
(Crédits : Reuters)

« C'est quand la mer se retire qu'on voit ceux qui se baignent nus », disait Warren Buffet en 2007 pour stigmatiser les banques américaines qui, spéculant sur la croissance, s'étaient laissé aller à une débauche de prêts toxiques au bénéfice d'une classe moyenne insolvable. Quinze ans après, autre contexte, mais des mots qui restent on ne peut plus d'actualité et que l'on pourrait aisément paraphraser: c'est quand les financements se tarissent que l'on reconnait les startups ayant de véritables perspectives de rentabilité. Car c'est bien à ce scénario qu'est actuellement confronté l'écosystème entrepreneurial français. Une situation économique, certes difficile, mais qui pourrait également apporter son lot de bénéfices à moyen terme.

La fin d'une illusion

La course aux licornes faisant la fierté et la solidité économique du pays, avec pour seul critère de réussite la spéculation autour de leur valorisation, était une illusion. Le recul actuel des investissements aura fini de le prouver aux quelques-uns qui pensaient encore que l'abondance offerte par les fonds serait sans fin. De quoi (re)placer sur le devant de la scène médiatique un modèle de développement d'entreprises, certes moins explosif et jusqu'alors resté dans l'ombre : celui de l'autofinancement. Le choix de ne pas lever de fonds, en ce qu'il ne permet pas de dépenser l'argent qui n'aurait pas encore été gagné, contraint l'entreprise à un impératif immédiat de rentabilité et permet ainsi de construire des fondements, semble-t-il, plus sains et plus solides. Des erreurs stratégiques peuvent toutefois avoir lieu, indéniablement, mais il sera alors possible dans bien des cas de rectifier le tir pour repartir dans une autre direction. Un tel pivot est toujours plus difficile à opérer après avoir vendu à des investisseurs un business plan pour plusieurs dizaines, voire centaines, de millions d'euros.

Rendre à la French Tech ses lettres de noblesse

Loin de moi cependant l'idée de porter en étendard un modèle au détriment d'un autre. Il convient d'ailleurs de rendre à la French Tech ses lettres de noblesse, car le modèle dit « startup » comporte intrinsèquement de nombreux avantages dès lors que l'on est en mesure de proposer un produit ou service qui répond à un besoin et à un business model. En ce qu'il permet un développement rapide, il offre un gain de temps considérable aux entrepreneurs, notamment pour des déploiements internationaux. Des investissements massifs permettent d'explorer de nombreuses pistes d'innovation et faire ainsi émerger « The big idea » profondément révolutionnaire. Là où le bât blesse, c'est que ce modèle a rapidement connu des dérives. Des concepts pas totalement arrêtés, voire hasardeux, ont trouvé des financements assez facilement. D'autres plus aboutis ont été survalorisés. C'est en ce sens que la crise actuelle peut être bénéfique à moyen terme, car si l'on ne peut se réjouir des faillites et autres plans de licenciement à venir à court terme, l'écosystème startup tout entier en ressortira assaini, délesté des sociétés n'ayant pas un réel objet économique. Celles qui resteront devront présenter un chemin rapide vers la rentabilité et celles qui se lanceront devront avoir pour point de départ un modèle économique clair, réalisable avant même d'avoir atteint un certain seuil d'abonnés, de clients ou de téléchargements.

Le début d'une nouvelle économie plus durable

Nous nous trouvons en somme au début d'une nouvelle économie, plus durable. Je parle ici d'économie au sens large car un autre marché se verra assaini par la même occasion : celui de l'emploi tertiaire. Jusqu'alors, les startups surfinancées, grandes consommatrices de ressources, notamment en matière de capital humain, concentraient à elles seules les meilleurs talents à coups de salaires mirobolants. Ne pouvant s'aligner sur ces sommes exorbitantes, les entreprises contraintes à la rentabilité rencontraient plus de difficultés pour attirer de nouvelles recrues, ce qui à terme pouvait entraver leur capacité d'innovation. Parce que ces startups qui jouaient à la valse aux valorisations vont être pour beaucoup contraintes de diminuer leurs effectifs, ou ne pourront a minima plus recruter à d'aussi hauts niveaux de rémunération, les autres entreprises vont, à nouveau, jouer dans la même cour en tant qu'employeur. N'en déplaise aux développeurs devenus les rock stars de la Tech française et que tout le monde s'arrachait, les employeurs risquent désormais de devenir plus sélectifs. En contrepartie, les développeurs trouveront, sur leur marché de l'emploi, une plus grande part d'entreprises apportant une valeur ajoutée concrète à la société.

Les licornes qui surmonteront la crise deviendront incontournables

Est-ce pour autant la fin des bêtes à cornes dans le paysage économique français ? Je ne crois pas. Certaines licornes risquent de faire faillite, d'autres surmonteront cette crise pour devenir incontournables. Et comme tout est cyclique, on peut s'attendre - disons dans 3 à 5 ans - à un retour des financements sans réel fondements économiques... avant une nouvelle explosion de bulle d'ici 2030 ? Plutôt que de lire l'avenir dans une boule de cristal, une chose est sûre : tout comme il était tendance d'entrer en Bourse dans les années 2000 ou d'annoncer des levées de fonds à répétition ces derniers temps, être une entreprise rentable est la nouvelle tendance de marché, et c'est tant mieux !

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Commentaires 2
à écrit le 24/03/2023 à 2:57
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pas de commentaire

à écrit le 23/03/2023 à 4:44
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On reparle de tout cela en 2024 ? Du vent, toujours et encore. Apres le deluge californien voila l'llusion francaise qui perdure. Des banques us ont ete au tapis et on bavasse.....

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