La pièce de Godot pourrait nous conduire à la réflexion suivante. La possibilité théorique de la venue de Godot permet de maintenir un équilibre entre les acteurs qui, bien que précaire, tient sur l'hypothétique espoir qu'il viendra... Lorsque cet espoir s'évanouit, l'équilibre n'est plus de mise, et les acteurs s'engagent dans des actions non coordonnées et possiblement destructrices.
Il nous semble que les COP, depuis celle de Paris qui posa les ambitions climatiques de la communauté internationale, répondent assez bien à la situation quelque que peu absurde décrite par Beckett. Alors que le niveau d'émissions mondiales de GES rend de plus en plus improbable l'atteinte des objectifs visant à contenir le réchauffement climatique global sous la barre des +1,5° C par rapport à l'ère préindustrielle, de nombreux autres éléments incitent au pessimisme.
Nous pourrions, d'une part, évoquer les politiques conduites par les États et les groupes pétroliers qui ressemblent à s'y méprendre à une fuite en avant effrénée. Un peu comme si, anticipant un durcissement du contexte réglementaire, économique et/ou géopolitique, ces derniers se hâtaient d'appuyer des projets au potentiel écocidaire inquiétant.
Évoquons, par exemple, l'Angleterre qui a permis l'exploration du champ de Rosebank en Mer du Nord, le rachat de Pionner Natural Resources par Exxon, ou les projets de Total en Afrique. Cette situation se double, d'autre part, d'un contexte géopolitique international particulièrement instable où, au nom de la sauvegarde de leurs économies et de leurs intérêts stratégiques vitaux, les États fortement consommateurs ou producteurs d'énergie fossile semblent vouloir desserrer les contraintes environnementales. Les différents assouplissements, voire renoncements, de l'UE quant à son green deal ou certains sujets liés à la transition, en témoignent.
Quant à la réélection, de moins en moins improbable, de Donald Trump à la Présidence des États-Unis, elle fait planer un spectre des plus menaçants sur les accords internationaux.
Un consensus décisif pour les COP ?
Les comportements des entreprises comme des États sont plutôt conformes à ce que les travaux scientifiques dérivés de la théorie des jeux prévoient. En l'absence d'une autorité supranationale organisatrice dotée de pouvoirs coercitifs, les asymétries d'intérêts et les coûts de coordination et d'opportunité sont tels, qu'ils poussent les acteurs à des actions parfaitement opportunistes guidées par la préservation des intérêts individuels.
Heureusement des travaux, tels ceux de David Carfi et ses coauteurs, montrent que même si les réflexes compétitifs sont aigués, la reconnaissance d'intérêts communs amène les différentes parties prenantes à trouver des compromis qui, s'ils ne révolutionnent pas les équilibres, participent d'une amélioration tendancielle de la situation.
L'erreur fatale consisterait, en effet, à désespérer que les COP puissent un jour aboutir à un consensus décisif, susceptible de nous faire dévier de cette trajectoire collective que les scientifiques annoncent funeste. L'accord sur les causes et dommages annoncé en ouverture de la présente COP est là pour nous rappeler qu'en coulisses, les parties prenantes œuvrent à dépasser leurs divergences pour se donner une chance de parvenir à d'autres avancées.
Des petits pas en attendant la grande enjambée décisive ? Une chose est certaine, la résignation collective façon Vladimir et Estragon signerait la fin définitive de toute ambition climatique et, par extension, des politiques environnementales. En dépit de nos légitimes déceptions, il faut toujours espérer que Godot sera bien présent à Dubaï.
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