Valorisation des fintechs : fin d'une bulle, début d'une ère ?

OPINION. Il y a un an, l'avertissement était déjà fort, la fintech star Klarna voyait sa valeur fondre de 46 milliards à 6,7 milliards de dollars. Depuis, la situation a continué à se dégrader sur le front du refinancement des jeunes pousses de la finance. Et cela même si les fonds font tout leur possible pour faire tenir les valorisations en attendant des jours meilleurs, entre financement « bridge » des actionnaires historiques et report de levée en exigeant de se séparer de collaborateurs qu'il était pourtant si urgent d'embaucher quelques mois plus tôt. Résultat, au premier trimestre, les levées des fintechs françaises se sont écroulées de 83% à 300 millions de dollars. Par Laurent Darmon, Directeur Nouvelles Activités Groupe Crédit Agricole, Directeur général startup studio La Fabrique by CA
(Crédits : DR)

Comment un secteur financier normalement si rationnel, où les meilleurs diplômes sont surreprésentés et qui doit rendre compte régulièrement de sa performance peut-il encore une fois se tromper et créer une telle bulle spéculative ?

Finalement, un peu comme dans l'immobilier où tout le monde a intérêt à voir les arbres monter jusqu'au ciel. La question reste qui est le « dernier couillon » du Ponzi. Et force est de reconnaître que les banques françaises sont restées assez prudentes dans ce mouvement. Les victimes risquent donc d'être les investisseurs et malheureusement les entrepreneurs.

De la difficulté à valoriser des fintechs

Certains investisseurs ont fini par oublier les fondamentaux de la valorisation d'entreprise qui fonctionne toujours selon deux approches :

  • La valeur patrimoniale : un actif vaut selon sa valeur d'échange (comme pour une société cotée en Bourse), sa valeur de remplacement (un arbitrage entre un rachat et le fait de recréer cet actif) ou encore les fonds propres de l'entreprise (la valeur liquidative si on cède tous les actifs pour rembourser toutes les dettes). Pour une fintech, cela pourrait s'appuyer sur un brevet (mais il y en a peu), sur une technologie (mais il peut être plus opportun de refaire avec des technologies plus modernes) et un fonds de commerce (si la taille est suffisante au regard des coûts d'intégration). On voit que ce n'est pas simple dans ce secteur.
  • Une valeur de rendement : un actif vaut selon l'actualisation de ses profits futurs. Encore faut-il des bénéfices, voire des revenus significatifs. Les business plans sollicitent alors plus Excel que leur comptable. Pour une fintech ayant une incertitude totale sur sa croissance à long terme, cette méthode est source d'une grande volatilité et de débats entre les hypothèses des optimistes (vendeurs) et des pessimistes (acheteurs).

À la fin d'une négociation, il faut bien retenir un prix pour une transaction. La différence peut être grande entre une valorisation et un prix. La valorisation est subjective, le fruit d'une formule calculée par le vendeur ou l'investisseur. Le prix est, lui, certain, l'observation de la valeur retenue pour la transaction entre le vendeur et l'investisseur. Dans le meilleur des mondes, valorisation et prix convergent, mais nous ne sommes pas dans le meilleur des mondes.

Pendant un temps, le prix a même pu se construire sur une « equity story », c'est-à-dire la valeur acceptable par les actionnaires en place pour céder leurs actions : ce n'est alors plus la valeur de la société qui est au centre de la valorisation, mais la plus-value pour le vendeur. Chaque levée de fond finit par justifier elle-même le prix de la suivante. On voit bien sûr le risque de bulle de cette approche décorrélée de l'économie réelle.

Faute de formule de valorisation satisfaisante pour les fintechs, le prix constaté dans des transactions comparables s'est avéré la méthode la plus couramment observée. Et comme on ne peut retenir un multiple de rentabilité pour une société en perte, le marché a retenu le chiffre d'affaires.

Cela pourrait avoir du sens pour des métiers de charges fixes où le dépassement du point mort se traduit à terme par des profits de plus en plus importants. Mais une fintech comme une néobanque comprend des coûts variables : coûts monétique, service client, coût des contrôles de conformité... Des charges qui rappellent que dans « Fintech », il y a certes TECH comme chez les GAFA et autres NATU, mais aussi FIN qui implique des charges proportionnées que les banques connaissent bien. Le point mort a donc tendance à s'éloigner avec la croissance quand il faut sans cesse investir pour acquérir des clients et garder une avance technologique. Historiquement, les banques en ligne ont un ADN plutôt FIN tandis que les néobanques sont plutôt d'origine TECH. Le temps a rapproché les deux modèles.

Le début d'une nouvelle ère

L'augmentation des valorisations atteint un sommet en 2021 avec un multiple de 20 fois le chiffre d'affaires. En retenant le taux de rentabilité moyen des GAFA (combien peuvent réellement y prétendre ?) de 15% de leur chiffre d'affaires, cela veut dire que le multiple de 20 correspond, au mieux, à 140 fois le résultat normatif de la fintech quand elle aura la taille critique. Et ce multiple devrait être pondéré pour tenir compte des incertitudes.

Pour autant toutes les fintechs ne sont pas à loger à la même enseigne. Alors que les néobanques bénéficient d'un environnement de taux favorable, les nouveaux players du financement (crowdfunding, Revenus Based Financing, BNPL) souffrent : les premiers peuvent placer les fonds de leurs clients (Revolut a plus de 6,4 milliards de livres de dépôts placés à plus de 4%) tandis que les seconds doivent se refinancer avec des prêteurs aux exigences de rentabilité accrues.

Depuis ce sommet de 2021, les valorisations ont baissé de 80% en moyenne, mais il reste difficile d'évaluer le marché tant cette fois, ce sont les acheteurs qui sont absents, terrorisés par le mur du cash que ces sociétés doivent affronter. Comme souvent lorsqu'il y a des bulles, on risque de tomber dans un excès contraire.

À la fin, ne resteront pas forcément les plus médiatiques, mais plutôt celles qui ont un modèle adapté au nouvel environnement de taux, avec une réelle capacité de monétisation et qui ont la chance d'avoir le temps de s'adapter (via une levée de fonds juste avant le krach).

Après l'époque des Proof of Concept / PoC (1995/1998) et celle des partenariats B2B (1999/2022), le troisième âge des coopérations entre fintechs et groupes bancaires pourrait bien s'engager avec des adossements gagnants/gagnants pour les plus agiles d'entre elles.

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