Un Chinois à Bruxelles (1/6) : Où Yen cherche en vain le centre de l'Europe

[ Série d'été - FICTION ] Yen Zhu est un jeune Chinois que son oncle Hu Zhu, dirigeant d'un fonds d'investissement, envoie au coeur des institutions européennes avec pour mission d'explorer le "centre" de l'Europe. Chaque soir, Yen écrit à son cousin Xiao resté en Chine. Mais un mystérieux hacker -qui se fait appeler Alis Pink- a intercepté ses mails...
"Notre empire chinois a mis cinq siècles à s'unifier, alors que la graine de leur « union » a été semée il y a seulement 60 ans." (photo: Xi Jinping reçu par Martin Schulz au Parlement européen le 31 mars 2014)

Bruxelles, le 15 juillet 2016

Cher Xiao,

Je suis arrivé tôt ce matin à Bruxelles. Comme tu sais, j'aurais préféré faire un vrai tour d'Europe, voir Berlin, Paris, Londres, Rome... Mais l'oncle Zhu n'a pas voulu en entendre parler. « Crois moi, le vrai pouvoir impérial se construit depuis le centre, c'est là que je veux que tu ailles. Ouvre tes yeux et tes oreilles, mais n'attends pas trop. Notre empire chinois a mis cinq siècles à s'unifier, alors que la graine de leur « union » a été semée il y a seulement 60 ans. Ne te laisse pas gagner par leur impatience ou leur découragement. Contente-toi de me confier tes impressions », m'a-t-il dit. Tu connais son adage : « Rejeter l'essentiel, pour ne se fier qu'aux détails insignifiants ». Sacré oncle Zhu ! Il est assis sur des centaines de page d'analyses. Les banques du monde entier lui envoient leurs rapports mais, lui, fait mine de vouloir se fier à « mes impressions ». La belle affaire !

Deux, trois, quatre enfants par famille !

Tout cela me semblait bien léger mais j'ai accepté, pensant que la distance me donnerait enfin cette liberté qu'il n'a cessé de me contester. Or, depuis mon arrivée, il semble guider chacun de mes pas, comme s'il avait tout manigancé à distance. Par exemple, rien n'aurait été plus simple que de faire mettre un chauffeur à ma disposition. Penses-tu ! Il m'a sciemment infligé l'épreuve de chercher un taxi. Si bien que, rompu de fatigue, je me suis retrouvé dans une interminable file d'attente au milieu des poussettes - et des enfants : deux, trois, quatre par famille ! J'étais entouré d'un chaos vociférant. Cela m'a rappelé une dispute que nous avions eue au sujet de la fin de la politique de l'enfant unique. Tu te souviens ? Nous deux trouvions sage la décision de nos vénérables dirigeants d'autoriser la venue d'un deuxième enfant. Lui, pensait que c'était une erreur. Et voilà que tous ces braillements, ajoutés à la fatigue du voyage, me donnaient envie de lui donner raison ! J'avais l'impression d'être tombé dans un piège et n'ai pu m'arracher à cette pensée désagréable que lorsque mon tour est enfin venu de monter en voiture. Je n'étais pas au bout de mes surprises.

"Les vacances du bâtiment..."

Sur la route, nous avons longé un grand chantier de travaux publics, face au quartier général de l'alliance militaire occidentale dominée par les Etats-Unis, le fameux "Otan". Il était 10 heures du matin et, crois-moi ou non, on ne voyait absolument personne. Pas un ouvrier à l'horizon, les grues immobiles, des grillages fermant les accès... Comme je demandais au chauffeur du taxi s'il y avait une crise immobilière, il a eu l'air surpris et a simplement répondu: "Les vacances du bâtiment..." Figure-toi que, ici, les entreprises de construction ferment chaque année pendant tout le mois de juillet. Un mois entier d'arrêt total de l'activité ! Et les bâtiments officiels ne font pas exception. Apparemment, c'est une règle générale qui vaut dans presque tous les secteurs. Résultat: 8% de PIB envolé ! J'aurais aimé en apprendre plus sur cette drôle de tradition. Mais après vingt minutes, moins qu'il n'en avait fallu pour trouver un taxi, il me déposait à mon hôtel. Je n'avais même pas encore eu l'impression d'être entré dans la ville...

(...) Tout semble ici tellement ancien, usé

A nouveau, les propos de l'oncle Zhu me sont revenus. "Lis, mon Yennou", m'avait-il dit, fidèle à son habitude de m'appeler par mon surnom d'enfant, "lis et oublie tout dès lors que tu as posé le pied là-bas. On ne peut vraiment comprendre les choses que sur place, quand tous les sens sont engagés dans l'expérience." J'ai donc décidé de passer le reste de la journée à sillonner la ville malgré la pluie battante. Sous mes pas, les pavés mal scellés projetaient de grosses giclées d'eau sale. Tu ne peux même pas imaginer à quel point tout semble ici tellement ancien, usé. Deux ou trois vagues tours d'une vingtaine d'étages tout au plus, ici et là. Pour le reste, de petites maisons où - j'imagine - se logent ces familles avec leurs nombreux enfants. En quelques heures à peine, j'avais pratiquement fait le tour de ce qu'ils appellent le « centre », un carré d'à peine deux kilomètres sur deux. Et je n'avais absolument rien vu qui ressemble à un quartier d'affaires. C'est donc ça, la capitale de l'Union européenne, le plus riche bloc économique de la planète : une ville à moitié morte en été, peuplée d'à peine 1,5 million d'âmes... en comptant les faubourgs ! Tout juste la moitié de la capitale d'une de nos sous-provinces. Je commence à me demander où je suis tombé. Demain, je rencontre un certain David Paulson que notre correspondant à Londres m'a recommandé. Je te raconterai. En attendant, cher cousin, porte-toi bien,

Yen

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Commentaire 1
à écrit le 24/08/2016 à 19:31
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Yen, tu ne comprendras jamais ce que signifie "qualité de vie". Nous les européens, les tours de 1km de hauteur, on s'en tape, tu n'imagines même pas !!

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