Au Sud-Est de Paris, la Seine est aussi devenue un enjeu politique de développement économique

ENQUÊTE. Il n'y a pas que l'axe Seine Paris-Rouen-Le Havre dans le paysage fluvial. La Seine irrigue également les régions Bourgogne-Franche-Comté et Grand-Est. L'Yonne a déjà investi près de 8 millions d'euros dans un port. L'Aube mise sur une voie d'eau de 28 kilomètres qui la relierait à l’Île-de-France. Dans la région-capitale aussi, les départements de la Seine-et-Marne, de l'Essonne et du Val-de-Marne entendent bien accélérer l'intermodalité.
Longue de près de 775 kilomètres, la Seine prend sa source à Source-Seine (62 habitants, Côte d'Or, Bourgogne-Franche-Comté) et traverse, outre Le Havre, Paris et Rouen, des capitales départementales comme Troyes (Aube, Grand-Est) et Melun (Seine-et-Marne, Île-de-France).
Longue de près de 775 kilomètres, la Seine prend sa source à Source-Seine (62 habitants, Côte d'Or, Bourgogne-Franche-Comté) et traverse, outre Le Havre, Paris et Rouen, des capitales départementales comme Troyes (Aube, Grand-Est) et Melun (Seine-et-Marne, Île-de-France). (Crédits : Wikimedia Commons)

Saviez-vous que c'est l'Yonne et non la Seine qui coule sous le pont Mirabeau cher à Apollinaire ? « Quand deux cours d'eau se réunissent, c'est bien celui ayant le plus petit débit qui se jette dans l'autre », explique Yves Boquet, professeur de géographie à l'université de Bourgogne. Il se trouve qu'à Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne), la Seine a un débit moyen de 80 mètres cubes par seconde pour un bassin versant, alors que celui de l'Yonne est de 93 mètres cubes/seconde.

8 millions d'euros pour un port dans l'Yonne

« L'Yonne, par ses voies navigables à grand gabarit, a longtemps approvisionné en bois de chauffage la capitale », rappelle la maire (LR) de Sens, Marie-Louise Fort. Avec l'essor de l'autoroute qui place la sous-préfecture départementale au cœur d'un nœud entre l'A6, l'A5 et l'A19 et la ligne Paris-Lyon-Marseille, l'affluent de la Seine est délaissé. Et ce alors qu'au vingtième siècle, le port de Gron, situé au sud de Sens, a une activité économique très dynamique avec un trafic fluvial important.

Changement de braquet en 2010 : cinq millions d'euros sont débloqués par la communauté de communes de Sens, le conseil général de l'Yonne, la région Bourgogne, ainsi que la chambre de commerce et d'industrie (CCI) départementale et le Fonds européen de développement régional (Feder). Le port de Gron devient une plateforme portuaire permettant aux industriels de faciliter leurs imports/exports grâce à une liaison fluviale mixte et régulière allant jusqu'à 700 tonnes.

Gron

Trois ans plus tard, Logiyonne, chargée de l'exploitation portuaire, réalise un tiers de l'activité projet industriel (colis lourds) du port du Havre. Tant est si bien qu'en 2015, la plateforme s'agrandit à 24.000 mètres carrés avec le déblocage de 3 millions d'euros supplémentaires. Gron qui dispose d'une zone portuaire sous douane, doit également son développement économique en partie à la construction du port fluvial, pouvant accueillir des bateaux de 90 mètres de long. Celui-ci constitue une plateforme logistique efficace pour l'export des marchandises sur l'Yonne, puis la Seine à destination des ports de Rouen et du Havre.

La solution réside dans l'intermodalité

En 2019, selon les chiffres de Voies navigables de France (VNF), le trafic sur l'affluent de la Seine représentait 1.700 voyages de bateaux chargés pour un million de tonnes de marchandises transportées, soit 860.000 tonnes de sable et de terre, 60.000 tonnes de céréales et 3.700 tonnes de produits divers chargés à Gron. L'activité du port ne se cantonne pas à l'import-export des matières premières, elle constitue aussi un atout important pour le transport de matériel pour les terminaux gaziers d'Asie ou les tourets de câbles électriques pour l'Afrique.

« Si le transport fluvial comporte de nombreux atouts, et notamment écologiques, il reste encore des efforts à réaliser sur la compétitivité vis-à-vis du transport routier », nuance Clarisse Quentin, vice-présidente (Libres !) chargée du développement économique et de l'attractivité touristique du Grand Sénonais (Sens). Pour elle, la solution réside dans l'intermodalité des transports, via notamment la voie ferrée. « Nous avons la chance de posséder un embranchement ferroviaire (deux voies de 750 mètres - embranchées sur la ligne Paris Lyon Marseille) près du port de Gron qui pourrait permettre de proposer une offre commerciale de plateforme trimodale : fer, fleuve, route », explique-t-elle.

Logiyonne a commandé en 2019 une étude de marché afin de déterminer la faisabilité́ technique, opérationnelle et économique d'implantation d'une plateforme trimodale sur Gron et d'un service ferroviaire cadencé en connexion du port maritime du Havre. « Les résultats sont concluants. Ils démontrent que le fait de pouvoir amener du ferroviaire au fluvial permet d'être plus compétitif en multimodal », souligne Clarisse Quentin. « C'est une offre en cours de développement, encore peu connue, mais avec une véritable volonté politique locale. Nous allons encourager la région et l'État à nous suivre sur ce projet », poursuit-elle. Partenaire de ce projet, l'établissement public Haropa, issu de la fusion des ports de Paris, Rouen et Le Havre, suit avec grand intérêt l'avancée du dossier. Le fret ferroviaire étant dans l'aire du temps, le président de l'UMEP (Union maritime et portuaire) présentera prochainement cette initiative au cabinet du ministre des Transports.

Mise au gabarit d'une voie entre l'Aube et le 77

Autre sujet sur le bureau de Jean-Baptiste Djebbari : la mise au gabarit de 28,5 km de voie fluviale, dont dix kilomètres de canal créés, entre Villiers-sur-Seine (Seine-et-Marne) et Nogent-sur-Seine (Aube) pour accroître les échanges de marchandises vers Rouen, Le Havre et le nord de l'Europe. Coût estimé de l'opération : 343 millions d'euros (valeur 2018). Les régions Île-de-France et Grand-Est sont prêtes à apporter chacune 35,6% du financement de même que les conseils départementaux de la Seine-et-Marne et de l'Aube contribueraient à hauteur de 14,4% chacun. Sans attendre la fin de l'enquête publique le 18 février prochain, les élus demandent à l'Etat de « confirmer le bouclage financier » afin de « permettre l'engagement des travaux aussitôt achevées les études et procédures ».

« L'intérêt économique de la voie fluviale est vital pour le département de l'Aube, mais aussi pour l'Yonne et le sud de la Marne. La Seine permet d'échanger avec les ports de Rouen et du Havre, donc avec le monde entier », assure Gérard Ancelin, vice-président (DVD) du département de l'Aube chargé du développement économique.

« Nous pourrions faire passer des bateaux de 2.500 tonnes et pas seulement de 650 tonnes maximum. Cela pourrait être important pour l'agroalimentaire et nous permettrait de retirer des routes 300 camions par jour », confirme Patrick Septiers, président (UDI) de la Seine-et-Marne.

Des « Assises de la Seine » en Île-de-France

Le président du département de Seine-et-Marne devait d'ailleurs participer à des « Assises de la Seine » en novembre 2020 avec ses homologues franciliens, mais la réunion a été ajournée du fait de la crise de la Covid-19. Objectif : avancer de concert sur le fret pour abaisser le nombre de poids lourds sur les routes départementales et nationales. « Beaucoup d'entreprises comme Amazon, Carrefour ou Franprix s'installent chez nous. Nous travaillons avec Haropa et VNF pour que leurs camions aillent vers des péniches pour entrer dans Paris », affirme le président (LR) de l'Essonne, François Durovray.

Son voisin (PCF) du Val-de-Marne, Christian Favier, mise sur le projet de port aux Ardoines à Vitry-sur-Seine prévu pour 2022. « C'est une opération d'intérêt national pour laquelle les projets vont s'échelonner sur une longue période, d'autant plus importante avec la Seine amont », poursuit-il. Ce dernier a également rencontré le futur patron d'Haropa, Stéphane Raison, pour accroître le transport fluvial régulier entre Rouen et Bonneuil-sur-Marne, qui possède un embranchement ferré, et donc renforcer l'intermodalité rail-voie d'eau.

La métropole du Grand Paris, qui rassemble 131 communes de la première couronne parisienne, vient aussi de s'emparer du sujet. A l'occasion du comité des partenaires du pacte pour une logistique métropolitaine, l'intercommunalité a annoncé, le 9 février, la réalisation d'une étude de faisabilité d'un simulateur numérique d'itinéraire logistique par voie d'eau en lien avec Haropa et VNF. En Île-de-France, le fleuve reste effectivement sous-utilisé pour cet usage avec un pourcentage de l'ordre de... 6%.

Retrouvez ci-après l'ensemble du dossier Axe Seine:

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Commentaires 3
à écrit le 15/02/2021 à 14:36
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Mon arrière-grand-père, André Jozan, Ingénieur des Ponts-et-Chaussées, avait été en poste à Auxerre dans les années 1880, ou est née ma grand-mère en 1881. Il avait étudié les bassins versants de la Seine et de l'Yonne. Transféré à Paris, il avait re...

à écrit le 15/02/2021 à 10:33
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Ca fait plus de 40 ans que l'on parle de ce creusement. Dans les annees 90 possedant une peniche amenagee de type Freycinet ancree a Gennevilliers, je souhaitais me rendre dans les pays bas. Impossible etait deja francais. Alors, continuez de rever.

à écrit le 15/02/2021 à 9:15
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Surtout qu'on est sur des départements en crise démographique à cause de l'aspirateur parisien, terrible, il y aurait donc largement de quoi faire laissant la marge à des projets innovants car ça doit faire un moment que les cupides requins financier...

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