Axe Seine – Pas d’ambition nouvelle sans les régions !

OPINION. Alors qu'Anne Hidalgo et Edouard Philippe se retrouvent de nouveau ce 11 février à Rouen à l'invitation de leur alter ego Nicolas Mayer-Rossignol pour évoquer les enjeux de la vallée de Seine, la présidente de l'Île-de-France et le président de la Normandie font entendre leur point de vue sur les promesses du "grand Paris jusqu'au Havre". Leur message ? Rien de grand ne se fera sans les Régions. Par Valérie Pécresse et Hervé Morin (*).
Aux infrastructures nombreuses en cours de modernisation rapide, qu'elles soient portuaires, fluviales, ferroviaires ou autoroutières, s'ajoute un tissu industriel et logistique historique majeur dans un bassin rassemblant deux régions écrivent les président(e)s de l'Île-de-France et de la Normandie.
"Aux infrastructures nombreuses en cours de modernisation rapide, qu'elles soient portuaires, fluviales, ferroviaires ou autoroutières, s'ajoute un tissu industriel et logistique historique majeur dans un bassin rassemblant deux régions" écrivent les président(e)s de l'Île-de-France et de la Normandie. (Crédits : DR)

Alors que le Premier ministre vient d'annoncer un programme d'investissement de 1,45 Md€ pour HAROPA, le futur ensemble portuaire regroupant les ports du Havre, de Rouen et de Paris, et que les trois villes multiplient les temps d'expression sans y associer les Régions, nous souhaitons rappeler quelques réalités et l'ambition que nous souhaitons donner au projet Vallée de Seine.

Un potentiel extraordinaire

Outre le premier complexe portuaire national, la vallée de la Seine dispose d'un potentiel extraordinaire pour devenir un territoire à la convergence des flux de l'économie mondiale, de réindustrialisation et de relocalisation de notre économie, et de transition écologique.

Aux infrastructures nombreuses en cours de modernisation rapide, qu'elles soient portuaires, fluviales, ferroviaires ou autoroutières, s'ajoute un tissu industriel et logistique historique majeur dans un bassin rassemblant deux régions : outre l'Île-de-France qui concentre 20% de la population et 30% de la production de richesses, la Normandie est la région la plus industrielle de France et celle où la logistique est le plus représentée, avec plus d'un demi-million de personnes travaillant dans l'industrie de la vallée de Seine.

La vallée de Seine bénéficie d'une main d'œuvre industrielle plus qualifiée, mieux formée qu'ailleurs, et déjà mobilisée sur les transitions essentielles à ce territoire. La Normandie par exemple est à la pointe de la transition vers une électricité décarbonée avec les deux projets d'EPR, quatre projets de champs éoliens en mer pour plus de 2,5 GW et trois raffineries prêtes à faire évoluer leur modèle productif. Les disponibilités foncières, en particulier en recyclage de friches, sont également nombreuses, souvent bien placées à proximité du fleuve ou d'infrastructures ferroviaires et routières de grande capacité.

Sans compter un cadre de vie exceptionnel le long de l'axe Seine : paysages, sites patrimoniaux du Moyen-âge aux Impressionnistes, proximité de la mer et d'une ville-monde, une offre éducative de premier plan, des équipements sportifs et culturels de très haut niveau, qui vont encore se renforcer avec l'organisation des JO de 2024.

Tout est là pour réussir

Et pourtant, force est de constater que pendant des décennies, le potentiel de l'axe Seine a été insuffisamment exploité. Ses ports n'ont cessé de reculer dans le classement mondial et même européen. Les impulsions données, de loin en loin, par l'Etat - Port 2000 en 1995, la dynamique d'axe Seine en 2008, l'annonce de la fusion des ports en 2017 - ne sont pas suffisamment constantes. La vallée de Seine ne peut s'envisager qu'à une échelle interrégionale pour peser à l'échelle mondiale. C'est aussi l'échelle des continuités écologiques et des grands projets d'infrastructure.

Ce territoire peut devenir une nouvelle dorsale et être le fer de lance national et même européen de transitions à portée de main.

Transition énergétique en premier lieu, avec la construction d'un écosystème complet fondé sur l'hydrogène et la récupération du CO2. L'agglomération parisienne avec son réseau de transports en commun est un laboratoire unique pour développer l'usage de l'hydrogène, autour des flottes de bus notamment. Un électrolyseur de grande taille à Lillebonne, entre Le Havre et Rouen montrera la voie à d'autres projets, notamment à Vernon.

A chaque fois, des industriels majeurs se positionnent, preuve de leur intérêt pour ce territoire d'avenir. Il faut également prévoir les infrastructures pour transporter l'hydrogène. Les pipelines qui relient la Normandie à l'Île-de-France constituent un atout majeur. Mais il faut dès maintenant prévoir l'installation, le long de la Seine, de plateformes logistiques permettant d'assurer un transport par voie d'eau de cette nouvelle forme d'énergie. La récupération du CO2 issu des activités industrielles constitue un élément complémentaire essentiel : tout en limitant l'émission dans l'atmosphère de ce gaz à effet de serre, elle permet aussi d'envisager de constituer une industrie chimique décarbonée, fondée sur la recombinaison de ces deux gaz, H2 et CO2.

Lire aussi : Hydrogène : Air Liquide investit dans un projet d'électrolyseur de grande capacité

La logistique fluviale fédérera les ambitions

Transition environnementale ensuite, avec le renforcement des initiatives menées depuis plusieurs années en faveur du report vers les modes massifiés que sont le fleuve et le fer. La logistique fluviale fédérera notamment les ambitions des deux régions qui souhaitent faire de la Seine un axe majeur du transport de marchandise. Des investissements colossaux sont consentis et le seront encore dans les prochaines années : accès fluvial direct (chatière) à Port 2000 au Havre, dont la mise en service est prévue pour 2024, électrification de la ligne Serqueux-Gisors, offrant un itinéraire alternatif pour rejoindre l'Île-de-France, sur laquelle les premiers trains circuleront en mars prochain.

Les Régions Île-de-France et Normandie accompagnent également la nécessité d'améliorer les conditions de transport des voyageurs de la vallée de la Seine avec la modernisation du matériel roulant en Normandie et en Île-de-France et le prolongement d'EOLE à l'ouest pour 2025.

Nous soutenons également la création, le long de la Seine, de zones économiques d'excellence, permettant à des entreprises, qui s'engagent et garantissent le plus haut niveau de performance environnementale de leur activité, de bénéficier de conditions douanières et fiscales avantageuses.

Cette transition environnementale nécessite évidemment la poursuite et l'accentuation des travaux menés depuis 2016 sur la connaissance des milieux, la restauration des continuités écologiques et une gestion renouvelée des berges de Seine. Cela exige d'intégrer pleinement les conséquences déjà prévisibles du changement climatique, en s'appuyant notamment sur les propositions du GREC francilien et du GIEC normand.

Un strapontin dans la gouvernance

Transition numérique enfin, avec l'importance croissante des données et de l'intelligence artificielle dans le pilotage des flux et pour optimiser le fonctionnement global du système portuaire, logistique et industriel de ce vaste territoire, en intégrant la gestion des risques et l'association étroite de la population. L'écosystème numérique de la vallée de Seine peut compter sur des champions nationaux, comme SOGET et des initiatives partenariales comme le DataLab Normandie et Île-de-France Solutions constituent également des briques pour inscrire pleinement la vallée de Seine dans la révolution numérique.

Cette ambition nécessite des engagements forts de l'ensemble des acteurs, en particulier sur le plan financier. Les Régions ont démontré, par leurs investissements dans le cadre des contrats de plan et par l'impulsion qu'elles sont en mesure de donner aux nombreux acteurs qui constituent l'écosystème régional, qu'elles étaient des partenaires de premier ordre pour la réussite des vastes projets territoriaux dont il est question ici. Le premier contrat de plan interrégional de la vallée de la Seine, mis en œuvre depuis 2016 dans un pilotage partagé entre l'Etat, l'Île-de-France et la Normandie, a toutefois fait émerger une dynamique des acteurs, à une échelle vaste, celle des deux régions, et même au-delà.

Mais pour cela, il faut qu'elles soient reconnues à leur juste place. Le Premier ministre a omis de le préciser, mais les Régions sont attendues sensiblement au même niveau que l'Etat, soit plus de 200 M€, pour contribuer au financement du vaste programme d'investissements portuaires qu'il a annoncé. Les métropoles du Havre, de Rouen et du Grand Paris apporteraient quant à elles moins de 20 M€.

Comment peut-on demander aux Régions de financer de telles sommes et leur laisser seulement un strapontin dans la gouvernance de HAROPA, et dans l'élaboration de ses grandes orientations stratégiques ? Comment peut-on imaginer que les Régions y soient moins représentées que des collectivités qui apportent dix fois moins de financement ? Et comment ne pas voir dans des choix de gouvernance aussi problématiques, une expression de plus des difficultés que rencontre la majorité présidentielle face à l'obstacle des élections régionales ?

Le temps presse

En ce qui nous concerne, nous sommes pleinement mobilisés pour donner, avec l'Etat, une impulsion massive en faveur de l'excellence portuaire, logistique, industrielle et environnementale à la vallée de Seine. Nous y sommes prêts, car il en va de l'avenir de nos territoires, et l'échelle interrégionale est la bonne pour aborder les défis qui sont devant nous.

Nous sommes également convaincus que le sens de l'histoire est de donner leur juste poids aux Régions, aux collectivités dans leur ensemble et aux acteurs privés, dans la gouvernance de nos grands ports, à l'image des ports du Nord de l'Europe. Il est encore temps pour l'Etat de revoir sa copie, mais le temps presse.

Car la vallée de Seine est une évidence. Mais comme souvent avec les évidences, elle doit être révélée, portée, pour se concrétiser. Et c'est souvent par la mise en œuvre que l'on pêche. Le temps est venu de s'y mettre. Nous le souhaitons.

Retrouvez ci-après l'ensemble du dossier Axe Seine:

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