Comment les chaussettes Ranna ont quitté l’Alsace pour le Portugal et ses salaires low-cost

La promesse de renaissance du textile alsacien était belle. Ranna, équipementier sportif soutenu par des investisseurs locaux, a tenté de fabriquer en circuit court ses chaussettes de football antidérapantes. Mais les coûts de production et les besoins de technicité l'ont forcé à délocaliser sa production au Portugal.
Avec son prestataire portugais, Ranna lance sa première diversification dans les chaussettes de running et de trail.
Avec son prestataire portugais, Ranna lance sa première diversification dans les chaussettes de running et de trail. (Crédits : DR)

C'est un nom étrange qui signifie « grenouille » en italien, ou plus opportunément « courir » dans le dialecte alsacien. Ranna, fabricant de chaussettes antidérapantes, est né en 2017 sur un constat : avec leurs chaussettes traditionnelles, les footballeurs n'étaient pas à l'aise pour courir et frapper le ballon. Prises en défaut par des appuis répétés et des transferts de force réalisés au cours d'une partie, les chaussettes avaient tendance à tourner à l'intérieur du soulier. D'où la nécessité de proposer un système antidérapant, baptisé « Pacegrip », sous la forme d'un autocollant à base de fibres organiques appliqué sous le pied. Ranna a pu bénéficier de toutes les attentions de l'écosystème local de soutien aux jeunes entreprises, avec une prise en charge par l'incubateur Semia. Tout ce qui pouvait contribuer à la renaissance de la filière textile alsacienne, décimée par les délocalisations dans les années 1980, était bon à prendre.

Cédric Kanté, ancien joueur professionnel du Racing Club de Strasbourg et défenseur en équipe nationale du Mali, a fondé Ranna avec l'ambition précise de « redorer le blason du textile dans le Grand-Est ». La promesse du « Made in France » a séduit les investisseurs. L'entreprise a levé 550.000 euros en fonds propres, en prêt d'amorçage et en subventions auprès de sept investisseurs particuliers, du collectif Alsace Business Angels, de la BPI et du Conseil régional du Grand-Est. La production a démarré en 2019 chez Broussaud, entreprise du patrimoine vivant établie au sud-ouest de Limoges. Afin de lui conférer une identité plus alsacienne, elle a été rapatriée en 2020 chez Labonal à Dambach-la-Ville (Bas-Rhin). 30.000 paires ont été vendues en cinq ans.

Deux fois moins cher au Portugal

Mais en 2023, le modèle a été revu et il a fallu mettre un terme au « Made in France. » Et c'est l'industriel danois Comfy Socks, qui dispose depuis 2020 d'une usine au sud de Braga (Portugal), qui accompagnera la montée en puissance de Ranna : 30.000 paires de chaussettes seront produites en 2023. Elles seront vendues dans une centaine de points de vente physiques en France (Intersport, Sport 2000), sur le site marchand de Ranna ou sur diverses places de marché, dont Amazon et le spécialiste des sports collectifs Grinta. « En délocalisant notre production au Portugal, nos prix de revient ont été divisés par deux. Nous n'avons pas touché au prix de vente, entre 21 euros et 26 euros, mais nous avons ajouté de la technicité : une zone de respirabilité, une zone de laçage renforcée, des coutures extra-plates », détaille Alexandre Adler, cofondateur de Ranna aux côtés de Cédric Kanté. « Le Portugal est avantagé par ses coûts de main-d'œuvre inférieurs et par l'effet cluster de son industrie textile entre Porto et Braga. Il ne fallait pas considérer notre "Made in France" comme une promesse immuable. Nous avons trouvé une alternative européenne. En passant par le Portugal, nous n'avons d'aucune façon renié nos valeurs sociales », estime Alexandre Adler. « Le Portugal permet aussi de produire plus vite. Notre nouveau sous-traitant possède des équipements pour automatiser le collage du "Pacegrip". Sur nos premiers lots fabriqués en France, nous étions obligés d'appliquer ces autocollants manuellement sur chaque paire de chaussettes », se souvient Alexandre Adler.

Des relations compliquées avec les équipes professionnelles

Comment émerger sur le marché du football face à des géants tels Nike ou Adidas ? « Pour gagner en notoriété, nous avons misé sur des partenariats avec des clubs professionnels. Les joueurs du Toulouse Football Club (TFC) portentnos chaussettes antidérapantes depuis deux ans », se félicite Alexandre Adler. Sous contrat avec l'équipementier scandinave Craft Sportswear, le club vainqueur de la coupe de France contre Nantes en avril 2023 a joué le jeu de la startup strasbourgeoise, sans toutefois lui offrir de garantie de visibilité. L'Union Sportive Montalbanaise, qui évolue en Pro D2 de rugby, a accepté un partenariat sur des bases identiques. « Pour une startup comme la nôtre, c'est très compliqué de devenir partenaire d'un grand club », regrette Alexandre Adler. « Le Racing Club de Strasbourg, notre club local, est verrouillé par son équipementier Adidas ».

Afin de poursuivre sa croissance, et en s'appuyant désormais sur un modèle économique affranchi du coût du Made in France, Ranna prépare une seconde levée de fonds en 2023. Les capitaux escomptés (entre 1 million d'euros et 2 millions d'euros) permettront d'entamer une croissance internationale et de diversifier les débouchés auprès des pratiquants d'autres activités sportives. Ranna vient de lancer en avril 2023 une gamme spécialisée dans la course à pied (running et trail). Le fabricant entend très vite équilibrer ses ventes entre le football et la course à pied, avant d'entreprendre de nouvelles diversifications dans la chaussette de golf, de tennis ou de vélo. « Nous aimerions collaborer avec une marque internationale telle que Puma, apporter une touche technique dans leurs gammes lifestyle », propose Alexandre Adler. L'équipementier allemand correspond en partie au profil d'investisseur recherché. « Nous pourrions aussi accueillir des particuliers ou des joueurs de football », précise toutefois Alexandre Adler. Sans promettre un « Made in France », cette fois.

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Commentaires 8
à écrit le 21/07/2023 à 15:03
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Il n'y a pas que les chaussettes, les vélos, mes chemises, mes chaussures, entre autres. Bientôt ils exploitreront aussi leur minerais pour des batteries auto et vélos. Le SMIC mensuel est à 750€ au Portugal.

le 04/02/2024 à 13:34
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pour une fiscalite unique mais certain prefere garder pour se voter des augmentations regulieres comme les depute et senateurs alors que le pays est en crise

à écrit le 21/07/2023 à 11:00
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Plus chers, plus lents. moins compétents. Voila la France. « Le Portugal permet aussi de produire plus vite. Notre nouveau sous-traitant possède des équipements pour automatiser le collage du "Pacegrip". Sur nos premiers lots fabriqués en France, no...

le 21/07/2023 à 15:10
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"**************************************************************************************************************" Faites attention quand même de ne pas nous faire des avc en directe hein, calmez vous.

à écrit le 21/07/2023 à 10:45
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La direction de cette société a du rassurer les salariés français qui perdront leur emploi et connaîtront les joies de la nouvelle réforme de l'assurance chômage du gouvernement en leur disant que l’activité ne va pas en Chine mais reste en Europe,ou...

à écrit le 21/07/2023 à 10:03
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Le coût du travail en France rend cette idée de relocalisation industrielle totalement irréaliste. Ce qui est parti pour des raisons financières ne reviendra pas, il faut cesser de rêver. Fabriquer dans des pays du sud proches tels Portugal Espagne...

le 21/07/2023 à 10:44
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Le "coût du travail"" ce sont les salariés et les salaires d'abord et avant tout, vous pouvez parler de trop de charges fiscales pour les entreprises c'est la vérité incntestable, mais le "coût du travail" culpabilise le salarié, expose des innocents...

à écrit le 21/07/2023 à 9:56
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La voilà la réalité de la reindustrialisation verte, à la française

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