
C'est un nom étrange qui signifie « grenouille » en italien, ou plus opportunément « courir » dans le dialecte alsacien. Ranna, fabricant de chaussettes antidérapantes, est né en 2017 sur un constat : avec leurs chaussettes traditionnelles, les footballeurs n'étaient pas à l'aise pour courir et frapper le ballon. Prises en défaut par des appuis répétés et des transferts de force réalisés au cours d'une partie, les chaussettes avaient tendance à tourner à l'intérieur du soulier. D'où la nécessité de proposer un système antidérapant, baptisé « Pacegrip », sous la forme d'un autocollant à base de fibres organiques appliqué sous le pied. Ranna a pu bénéficier de toutes les attentions de l'écosystème local de soutien aux jeunes entreprises, avec une prise en charge par l'incubateur Semia. Tout ce qui pouvait contribuer à la renaissance de la filière textile alsacienne, décimée par les délocalisations dans les années 1980, était bon à prendre.
Cédric Kanté, ancien joueur professionnel du Racing Club de Strasbourg et défenseur en équipe nationale du Mali, a fondé Ranna avec l'ambition précise de « redorer le blason du textile dans le Grand-Est ». La promesse du « Made in France » a séduit les investisseurs. L'entreprise a levé 550.000 euros en fonds propres, en prêt d'amorçage et en subventions auprès de sept investisseurs particuliers, du collectif Alsace Business Angels, de la BPI et du Conseil régional du Grand-Est. La production a démarré en 2019 chez Broussaud, entreprise du patrimoine vivant établie au sud-ouest de Limoges. Afin de lui conférer une identité plus alsacienne, elle a été rapatriée en 2020 chez Labonal à Dambach-la-Ville (Bas-Rhin). 30.000 paires ont été vendues en cinq ans.
Deux fois moins cher au Portugal
Mais en 2023, le modèle a été revu et il a fallu mettre un terme au « Made in France. » Et c'est l'industriel danois Comfy Socks, qui dispose depuis 2020 d'une usine au sud de Braga (Portugal), qui accompagnera la montée en puissance de Ranna : 30.000 paires de chaussettes seront produites en 2023. Elles seront vendues dans une centaine de points de vente physiques en France (Intersport, Sport 2000), sur le site marchand de Ranna ou sur diverses places de marché, dont Amazon et le spécialiste des sports collectifs Grinta. « En délocalisant notre production au Portugal, nos prix de revient ont été divisés par deux. Nous n'avons pas touché au prix de vente, entre 21 euros et 26 euros, mais nous avons ajouté de la technicité : une zone de respirabilité, une zone de laçage renforcée, des coutures extra-plates », détaille Alexandre Adler, cofondateur de Ranna aux côtés de Cédric Kanté. « Le Portugal est avantagé par ses coûts de main-d'œuvre inférieurs et par l'effet cluster de son industrie textile entre Porto et Braga. Il ne fallait pas considérer notre "Made in France" comme une promesse immuable. Nous avons trouvé une alternative européenne. En passant par le Portugal, nous n'avons d'aucune façon renié nos valeurs sociales », estime Alexandre Adler. « Le Portugal permet aussi de produire plus vite. Notre nouveau sous-traitant possède des équipements pour automatiser le collage du "Pacegrip". Sur nos premiers lots fabriqués en France, nous étions obligés d'appliquer ces autocollants manuellement sur chaque paire de chaussettes », se souvient Alexandre Adler.
Des relations compliquées avec les équipes professionnelles
Comment émerger sur le marché du football face à des géants tels Nike ou Adidas ? « Pour gagner en notoriété, nous avons misé sur des partenariats avec des clubs professionnels. Les joueurs du Toulouse Football Club (TFC) portentnos chaussettes antidérapantes depuis deux ans », se félicite Alexandre Adler. Sous contrat avec l'équipementier scandinave Craft Sportswear, le club vainqueur de la coupe de France contre Nantes en avril 2023 a joué le jeu de la startup strasbourgeoise, sans toutefois lui offrir de garantie de visibilité. L'Union Sportive Montalbanaise, qui évolue en Pro D2 de rugby, a accepté un partenariat sur des bases identiques. « Pour une startup comme la nôtre, c'est très compliqué de devenir partenaire d'un grand club », regrette Alexandre Adler. « Le Racing Club de Strasbourg, notre club local, est verrouillé par son équipementier Adidas ».
Afin de poursuivre sa croissance, et en s'appuyant désormais sur un modèle économique affranchi du coût du Made in France, Ranna prépare une seconde levée de fonds en 2023. Les capitaux escomptés (entre 1 million d'euros et 2 millions d'euros) permettront d'entamer une croissance internationale et de diversifier les débouchés auprès des pratiquants d'autres activités sportives. Ranna vient de lancer en avril 2023 une gamme spécialisée dans la course à pied (running et trail). Le fabricant entend très vite équilibrer ses ventes entre le football et la course à pied, avant d'entreprendre de nouvelles diversifications dans la chaussette de golf, de tennis ou de vélo. « Nous aimerions collaborer avec une marque internationale telle que Puma, apporter une touche technique dans leurs gammes lifestyle », propose Alexandre Adler. L'équipementier allemand correspond en partie au profil d'investisseur recherché. « Nous pourrions aussi accueillir des particuliers ou des joueurs de football », précise toutefois Alexandre Adler. Sans promettre un « Made in France », cette fois.
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