"Le textile est en déclin dans le Grand-Est. A nous de redorer son blason !" A l'heure de sa reconversion, l'ancien footballeur professionnel Cédric Kanté aurait pu choisir une filière plus commode. En fondant sa marque de vêtements de sport Ranna et en choisissant les chaussettes de football comme spécialité, cet ancien pilier de la défense strasbourgeoise et de l'équipe nationale au Mali se lance en mode start-up dans une filière dont les trois quarts des effectifs ont disparu entre 1990 et 2015. Ranna a été admise pour deux ans au sein de l'incubateur public Semia à Strasbourg, et anticipe sa première levée de fonds de 600 000 euros. L'association des business-angels locaux Alsace Business Angels (ABA) prévoit d'y contribuer aux côtés de Bpifrance et avec d'autres investisseurs indépendants, anciens sportifs, et du Conseil régional du Grand-Est au titre de ses subventions à l'innovation. "Nous allons trouver de nouveaux alliages de matières comme la laine mérinos ou le lin, mener des essais avec l'Université de Haute-Alsace et devenir encore plus éco-responsables", prévient Cédric Kanté.

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Des filières locales

"Le textile ne devrait plus jamais être un produit polluant", rêve Alexandre Adler, son jeune associé dont le profil commercial, ancien vendeur de produits dérivés pour TF1, a convaincu le footballeur reconverti. "La packaging sera fabriqué localement. Les essais techniques seront menés dans des laboratoires publics en Alsace. Nous aurons recours à la filière lin qui se met en place en Alsace. Tout cela fait partie de notre démarche", insiste Alexandre Adler. La production des chaussettes Ranna a démarré en 2019 chez Broussaud, dans le Limousin. Trop éloigné ! En 2020, elle a été rapatriée chez Labonal, fabricant alsacien établi à Dambach-la-Ville (Bas-Rhin). La prochaine commande conséquente, 6000 paires, sera livrée en novembre. Les ventes ont démarré, par correspondance : 5000 paires en un an. "Nous vendrons 30 000 paires en 2021, pour un chiffre d'affaires de 600 000 euros", calcule Alexandre Adler. En 2022, après le lancement de gammes complémentaires destinées au rugby, au tennis, au running et aux sports indoor, Ranna a prévu 1,6 million d'euros de chiffre d'affaires. "Nous lançons le développement d'une gamme de maillots "première couche". Ils seront prêts dès 2022. Une deuxième gamme médicale pourrait être vendue en para-pharmacie", promet Alexandre Adler.

Petit poucet

Comment Ranna, le petit poucet, peut-il s'imposer sur dans marché d'articles de sport dominé par des grands groupes, sans pouvoir rivaliser contre leurs puissants contrats de sponsoring ? Nike, Adidas et Puma dominent le marché du football professionnel, un vecteur d'image essentiel. "Les footballeurs ne sont plus à l'aise dans leurs chaussettes classiques. Ils ont pris l'habitude de les couper au niveau de la malléole et portent par dessous une paire de socquettes de tennis. Les amateurs font comme les pros", témoigne Cédric Kanté. "Les ballons, les chaussures et les maillots ont davantage évolué. Mais les grosses marques n'ont pas porté une attention particulière à la chaussette. Nos chaussettes ne glissent pas. Avec mon réseau, nous avons trouvé des ambassadeurs à moindre coût en-dehors de tout contrat de sponsoring : Olivier Giroud à Chelsea, Moussa Sissoko à Tottenham, Morgan Schneiderlin à Nice", détaille Cédric Kanté. Ranna a tenté d'équiper les joueurs professionnels du Racing Club de Strasbourg. Mais l'aventure se serait mal passée. "Adidas, l'équipementier officiel, a mis son veto", regrette Alexandre Adler. "Il y a une centaine de professionnels, en France et en Angleterre, qui portent régulièrement nos produits. Plus tard, nous serons obligés de formaliser ces relations", prévoit Cédric Kanté.

Les atouts mulhousiens

"Ranna incarne l'esprit de la régénération de notre filière, en produisant localement et en s'appuyant sur des compétences industrielles existantes", juge Catherine Aubertin, animatrice du pôle textile en Alsace. Fondée en 1947, cette association fédère une soixantaine d'entreprises autour d'une stratégie de promotion de l'innovation. "Nous avons connu le creux de la vague en 2003 avec la fermeture des derniers grands ateliers textiles mangés par la mondialisation. La filière a su rebondir. Mais aujourd'hui, elle est plus atomisée. Le textile représente 200 entreprises pour 10 000 emplois en Alsace. Nous avons la chance de posséder, à Mulhouse, toutes les compétences textiles en un seul lieu : le laboratoire de physique et mécanique textiles, spécialisé dans les matériaux fibreux au sein d'une école d'ingénieurs, l'Ecole nationale supérieure d'ingénieurs Sud-Alsace. La composante marketing est présente avec l'Institut supérieur textile d'Alsace (ISTA) et la composante design est incarnée par la Haute école des Arts du Rhin (HEAR)", détaille Catherine Aubertin. Des synergies se sont mises en place avec les Vosges et Troyes, pôles forts du textile dans le Grand-Est spécialisés dans le tissage et la maille. Au printemps, pendant la première vague de la crise sanitaire du Covid, le pôle textile alsacien a mobilisé ses membres pour produire 1,2 million de masques, en mode collaboratif. Ranna n'y a pas participé. Mais l'acquisition prochaine d'un outil de confection pourrait lui conférer une place parmi les grands.