Agriculture : Javelot cette startup nordiste qui veut limiter les pertes dans le stockage des céréales

Des solutions innovantes connectées pour limiter les insecticides et diminuer la consommation énergétique dans le stockage agricole : c'est ce que propose la startup, Javelot, co-fondée en 2018 par Félix Bonduelle notamment. Une solution déjà utilisée par une centaine de grandes entreprises et qui cherche à capter 50% du marché européen des céréales.
Aujourd'hui, 20 % du blé récolté à l'échelle mondiale n'arrivera jamais dans une assiette.
Aujourd'hui, 20 % du blé récolté à l'échelle mondiale n'arrivera jamais dans une assiette. (Crédits : Reuters)

Il peut arriver que 20.000 tonnes de blé soient refusées à la vente... à cause de quelques insectes ! Lors de la livraison, les exigences concernant les grains de céréales placent, en effet, la barre haute. Aujourd'hui, 20 % de ce qui est récolté à l'échelle mondiale n'arrivera jamais dans une assiette. Et pour 40 % de ces volumes, ce gâchis est lié à de mauvaises conditions de stockage.

« En cas de risques majeurs comme la présence d'insectes, le propriétaire du grain ne peut tout simplement pas vendre sa récolte », expose Félix Bonduelle, 30 ans, ingénieur agronome diplômé de l'Institut polytechnique UniLaSalle à Beauvais, dont le nom appartient bien à la famille de l'industriel agroalimentaire, sans pour autant avoir de lien économique direct. Aujourd'hui directeur général, il a co-fondé Javelot en 2018 avec son président, Vindicien Delcourt, agriculteur dans le Pas-de-Calais et possédant des mandats dans des coopératives agricoles, ainsi qu'avec l'accélérateur de startup lillois Sparkling Partners.

Température et ventilation

Pour contrer ce problème de mauvaises conditions de stockage rencontré dans le monde entier, il faut soit agir de façon curative, avec un insecticide de stockage. Or, ces produits phytosanitaires ont un coût, et cette intervention tardive laisse des résidus sur le grain. En outre, face aux restrictions imposées par la réglementation européenne et aux exigences de certains cahiers des charges de filière et de labels responsables, le traitement insecticide ne se fait plus qu'en dernier recours.

Autre solution : refroidir le plus rapidement les grains après la récolte, avec une ventilation optimisée pour éviter à tout prix que les insectes ne se développent... même si cela implique des coûts énergétiques importants.

C'est sur cette partie du stockage, celle de « l'après-récolte » que Felix Bonduelle et Vindicien Delcourt ont décidé d'agir. Leurs solutions connectées permettent de digitaliser la délicate étape du stockage agricole, en pilotant notamment à distance les conditions de conservation du précieux grain.

Et pour cause, une garantie de blé sans insecticides de stockage (SIS) nécessite d'énormes investissements, pour justement lutter contre les insectes sans recourir à la chimie. Le stockage et le transport doivent, par exemple, être effectués dans des contenants fermés et sains. Tant le contrôle des blés à l'arrivée que le nettoyage avant la mise en silo se font selon des règles strictes. De même, l'étanchéité des équipements de stockage doit être vérifiée minutieusement.

Solutions connectées... et optimisées

Concrètement, la solution Javelot allie à la fois des sondes thermométriques, mais aussi les ventilateurs et des pièges à insectes, tous connectés. « Avec Arvalis Institut du végétal (organisme de recherche appliquée agricole, financé et géré par les producteurs), nous avons mis au point un piège doté d'une caméra, pour laquelle l'intelligence artificielle peut identifier des insectes, prédire leur nombre afin de traiter le plus rapidement possible et de façon extrêmement ciblée ».

L'objectif de l'ensemble de ces solutions connectées est ambitieux : éliminer les insecticides de stockage, mais aussi limiter les dépenses énergétiques et ainsi tendre vers un zéro gaspillage du grain. « Javelot permet une baisse de 20 à 40 % de la consommation électrique liée à la ventilation, car contrairement à une ventilation classique allumée et arrêtée manuellement, Javelot se déclenche automatiquement à distance. On ventile ainsi le grain seulement quand cela s'avère strictement nécessaire », détaille Félix Bonduelle.

Le cœur de métier initial de Javelot, installer des thermomètres et ventilations connectés ou connecter ceux existants, a donc finalement évolué vers une plate-forme 100% SaaS qui peut aussi désormais optimiser les flux logistiques. L'équipe compte une quarantaine de personnes, avec un effectif multiplié par deux en quelques mois. « Nous sommes capables aujourd'hui de tenir compte de tout un tas de données, comme l'emplacement géographique des silos, les prévisions de récoltes, les capacités de stockage restant des silos, des différents types de contrats, etc. afin de proposer un scénario pour le transport et le remplissage optimal ainsi que les plans de collecte et les flux d'un silo à un autre », résume Félix Bonduelle.

Aujourd'hui, la plateforme Javelot est utilisée par une centaine de grandes entreprises. Et la startup enregistre énormément de demandes, avec des gains pouvant aller jusqu'à 15 euros la tonne. « Fin 2022, nous avons atteint 7 millions de tonnes de céréales surveillées et nous devrions terminer l'année 15 à 20 millions de tonnes sous Javelot, sachant que le marché français représente environ 100 millions de tonnes », se félicite Félix Bonduelle.

Solution logicielle européenne

Le contexte économique est porteur, car le stockage de grains sur les exploitations évolue fortement. Pour réaliser des économies d'échelle, les exploitations sont, en effet, de plus en plus grosses. Et le stockage sur son propre terrain permet à l'agriculteur non seulement d'optimiser les ventes pour vendre au meilleur prix mais aussi de toucher des primes de stockages, quand les coopératives n'ont par exemple plus de disponibilité. D'autant que les organismes stockeurs investissent moins dans le foncier et beaucoup d'anciens bâtiments d'élevage sont reconvertis, sans présenter les conditions optimales des nouveaux « silos-forteresses » dernier cri, laissant donc davantage d'opportunités aux agriculteurs.

De manière générale, la solution européenne (à l'instar d'autres solutions américaines) fait son bout de chemin, car c'est aujourd'hui la seule solution logicielle complète (même s'il existe tout un tas de solutions matérielles). Fin 2022, Javelot a réussi à lever 10 millions d'euros, via les investisseurs historiques que sont Sparkling Partners et Unilis AgTech (une joint-venture entre Arvalis et Unigrains), mais aussi deux nouveaux entrants que sont NexStage AM et IDIA Capital Investissement (groupe Crédit Agricole).

Javelot a, en outre, été sélectionné par le ministère de l'Agriculture pour être éligible aux subventions France 2030, sur les 23 solutions choisies dans toute la France. L'enjeu est de soutenir le déploiement concret de l'innovation dans le monde agricole en aidant les agriculteurs dans l'achat de matériels innovants. Ils ont déjà enregistré plus de 90 dossiers de financement déposés par les futurs clients prétendant à un financement, représentant un peu plus de 7 millions de tonnes de grains, soit 10% de la collecte de grain française. L'objectif est purement et simplement de capter 50 % du marché européen des céréales (qui pèse aujourd'hui 300 millions de tonnes). Javelot a déjà mis un pied en Belgique, en Pologne, en Allemagne et en Roumanie. Et compte bien veiller au grain européen.

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