Le changement de culture, c'est maintenant !

Ingénieure de formation, Ann Cairns a commencé sa carrière dans le pétrole pour se convertir ensuite à la banque et la tech. Dans un monde où les hommes sont encore sur-représentés, elle agit concrètement pour faire la part belle aux femmes. L'avenir en dépend, dit-elle.
Ann Cairns, vice-présidente exécutive du groupe Mastercard.
Ann Cairns, vice-présidente exécutive du groupe Mastercard. (Crédits : DR)

« Vous ne pouvez pas être ce que vous ne voyez pas », dit-on souvent à propos du manque de rôles modèles pour les femmes dans certains univers. Vice-présidente exécutive du groupe Mastercard, Ann Cairns en est un pour toutes celles qui s'intéressent à la finance, à la technologie, aux maths. Et si elle note, logiquement, qu'elle n'en a eu peu à ses débuts, elle se souvient quand même d'une rencontre, lorsqu'elle était étudiante en mathématiques, au Royaume-Uni. « J'ai eu l'occasion d'échanger avec Margaret Thatcher, se souvient-elle. A priori, elle ne devait pas me plaire : j'étais très à gauche à cette époque ! Et pourtant, scientifique comme moi, elle m'a impressionnée. Je l'ai vraiment admirée », dit-elle. Elle ne peut s'empêcher de poursuivre sur sa lancée avec l'anecdote de ce jeune garçon qui n'avait connu que Maggie comme premier ministre et se demandait si un homme pouvait briguer ce poste ! Ann Cairns ne s'est jamais rien interdit. Pas étonnant qu'elle ait débuté sa carrière comme ingénieure de recherche dans le pétrole et qu'elle ait été la première femme au Royaume-Uni habilitée à travailler sur des plateformes off-shore, en mer du Nord. Question sur-représentation des hommes, elle n'était pas au bout de ses peines.

D'autant qu'elle est ensuite passée dans la banque d'investissement.
« J'ai dit à cette époque que ce monde était plus sexiste encore que le secteur pétrolier. Peut-être n'emploierais-je plus ces termes aujourd'hui, mais le fait est qu'il y a beaucoup moins de travail d'équipe dans la banque d'affaires que dans le pétrole, et davantage de concurrence entre professionnels. C'est sans doute de là que viennent les difficultés pour les femmes de s'y faire une place », explique-t-elle. Elle a réussi, mais s'impatiente de voir que, selon le Global Wealth Report 2018 publié par Crédit Suisse, les femmes contrôlent 40 % de l'argent dans le monde. Dans ces conditions, se demande-t-elle, pourquoi les banques négligent-elles ce segment de clientèle ? Pourquoi ne se rendent-elles pas encore compte que 66 % des femmes s'occupent des dépenses du foyer ? Pourquoi ne prêtent-elles pas à des femmes qui veulent lancer leur affaire ? Et, en bonne statisticienne, elle égrène encore quelques chiffres : l'an dernier, 3 % du montant total de capital-risque est allé à des start-up fondées par des femmes et 10 % à des sociétés co-fondées par des femmes. Quand les banques vont-elles se réveiller ? « Les femmes n'ont pas assez accès au capital ni à l'éducation financière, dit-elle. Pourtant, les études prouvent que lorsqu'elles investissent, elles le font davantage pour le bien de leur famille et de la société. Demain, si elles en ont les moyens, elles investiront dans la lutte contre le réchauffement climatique et en faveur des femmes, par exemple ». D'ailleurs, ajoute-t-elle, « on dit que les femmes n'aiment pas le risque. Au contraire, elles savent parfaitement gérer le risque ».

Optimiste de nature - « sinon, je ne me lèverais pas le matin », dit-elle - elle ne laisse pas pour autant les choses se faire d'elles-mêmes. Au sein de la Financial Alliance for Women, un consortium auquel appartiennent aussi bien Mastercard qu'Axa, Ann Cairns milite pour une plus grande inclusion des femmes dans l'économie, à travers divers programmes de formation et d'information.

Parité absolue

Et bien sûr, au sein de Mastercard, nombre de process ont été mis en place pour favoriser le recrutement initial des femmes (à parité avec les hommes), de même que leur évolution de carrière. « Cela va de l'adoption d'un système de jury paritaire pour décider des évolutions des professionnelles à la mise en place de programmes spécifiques visant à relancer la carrière d'une femme qui s'est arrêtée pour élever ses enfants ou à accroître le leadership féminin », détaille-t-elle. Sans oublier les conseils d'administration. Elle est ainsi la co-présidente du Club des 30 %. Lancé au Royaume-Uni en 2010 pour inciter les sociétés cotées à nommer au moins 30 % de femmes à leur board, « ce chiffre n'est que le début, clame-t-elle, ce que je veux, c'est la parité absolue ! ». Et si elle note que certains pays, y compris la France, se sont dotés de législations dans ce domaine, dont l'impact a été immédiat, elle préfère « convaincre (les hommes) de l'intérêt d'avoir des conseils et des comités exécutifs diversifiés plutôt que de dicter la conduite à adopter ». Car là encore, c'est une question de culture qu'il faut changer... « Et maintenant ! », s'exclame-t-elle.

Défi de la fintech

La voici désormais lancée dans la fintech, prête à relever un nouveau défi. « La fintech porte en elle les innovations d'aujourd'hui et de demain pour le secteur financier », assure-t-elle. Et à ce titre, Ann Cairns compte bien oeuvrer à une plus grande intégration des femmes. Aussi Mastercard épaule-t-elle un grand nombre de jeunes pousses fintech dans le monde, à travers son programme Start Path. Ce qui n'exclut pas certaines frustrations.... « Les études montrent que les algorithmes, dans l'intelligence artificielle, sont biaisés. Ceux qui traitent de la reconnaissance faciale ont du mal à reconnaître les femmes et en particulier les femmes de couleur, souligne-t-elle. Le problème ne vient pas de la technologie, puisqu'il a aussi été prouvé que certains algorithmes asiatiques reconnaissent aussi bien les visages locaux qu'occidentaux. Ce sont donc bien des biais inscrits dans des algorithmes, conçus essentiellement par des hommes, qui sont au centre de ces difficultés ».

Ann Cairns aime les détails et les anecdotes révélatrices. « Dans le livre Invisible Women, de la journaliste Caroline Criado-Perez, on voit l'étendue du problème », poursuit-elle, en citant l'exemple de certaines maisons « conçues par des hommes - et sans cuisine ! ». Elle se rassure en évoquant une rencontre qu'elle vient d'avoir lors du forum économique de Davos, auquel elle a participé. Elle y a échangé avec des membres de l'équipe de conception de Sesame Street, qui s'assurent de projeter une image d'égalité entre garçons et filles. « Au Pakistan, c'est une petite fille qui tient le rôle principal dans la série et son père l'emmène à l'école tous les matins », se réjouit-elle. Une façon de changer, pas à pas, la culture et de faire tomber les barrières pour les filles. D'ailleurs, Mastercard a également un programme, « Girls 4 tech », lui permettant de guider des filles d'une douzaine d'années vers les sciences, la technologie, l'ingénierie et les maths, à travers la planète. « Nous avons travaillé avec 400 000 jeunes filles et nous espérons atteindre le chiffre de 5 millions en 2025 », déclare la numéro deux de Mastercard. Et bien sûr, Ann Cairns se réjouit que Mastercard lui permette, malgré ses responsabilités, de consacrer autant de temps et d'énergie à la cause des femmes. De fait, le groupe dans son ensemble est tout aussi persuadé que sa vice-présidente exécutive qu'il est possible de faire de bonnes affaires tout en étant « du bon côté ». Le PDG, Ajay Banga, n'a-t-il pas repris l'expression de Benjamin Franklin : « Doing well by doing good » ?

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