Patrice Bégay, directeur exécutif de Bpifrance : « Réunir pour reconstruire durablement le sport français »

La banque publique d’investissement est partenaire de 50 clubs de sports collectifs dans toutes les régions de France qui regroupent un total de 16 000 entreprises partenaires. À l’heure où la pandémie du coronavirus met les événements sportifs à l’arrêt, Patrice Bégay, directeur exécutif de Bpifrance, oeuvre avec ses équipes et les acteurs du sport français pour préparer le rebond.
Patrice Bégay, directeur exécutif de Bpifrance
Patrice Bégay, directeur exécutif de Bpifrance (Crédits : DR)

Au sortir de la crise, quel rôle selon vous joueront les évènements sportifs ?

P.B. : Je tiens avant tout à féliciter les dirigeants de nos clubs et nos équipes de garder le cap. Tout au long de l'année nous travaillons déjà ensemble d'arrache-pied pour servir l'avenir autour notamment de 4 axes clés : le développement stratégique et de leur business, le conseil et la formation dont ils ont besoin, l'animation de la communauté des présidents et l'innovation marketing et communication. La soudaineté et la brutalité avec laquelle la crise sanitaire a frappé nos territoires a plongé toutes les organisations sportives en arrêt d'activité du jour au lendemain comme d'autres activités importantes pour le pays et touchant tous nos concitoyens. Alors je le rappelle : la priorité actuelle est sanitaire, bien évidemment. Je suis donc favorable à l'arrêt des championnats et des événements sportifs pour préserver les vies.

Ensuite, le sujet est économique. Pour cela, il faudra négocier avec les partenaires et les sponsors afin qu'en septembre ou en octobre, les clubs puissent offrir du sport de qualité, de nature à redonner de la « niaque » et de l'optimisme à la population. Car le sport est un lien social inaltérable, qui engendre de l'émotion. Le spectacle sportif sera d'ailleurs une excellente thérapie pour sortir de cette terrible crise. Je suis également convaincu que le sport amateur a aussi énormément à apporter au monde professionnel. On s'en rendra vraiment compte au moment du déconfinement où le monde associatif et notamment sportif va jouer un grand rôle pour notre pays.

Cela dit, il faut également faire évoluer le sport professionnel, le reconstruire et y mettre de l'ordre au point de vue financier comme dans toute entreprise, ce qui prendra du temps. Dès le début de la crise sanitaire, le Président de la République avait dit avec gravité que « rien ne sera plus comme avant ». Je salue également le travail du ministère des Sports qui, à la demande de beaucoup d'acteurs du secteur, travaille sur des réformes structurelles capitales. Oui, l'essentiel est de réunir pour réussir à reconstruire durablement le nouveau capital humain pour le sport français.

Les clubs sportifs, très touchés par la crise, pourront-ils être au rendez-vous ? Concrètement, que peut faire Bpifrance pour eux ?

P. B. : Beaucoup de personnes se lâchent aujourd'hui pour dire tout haut ce que les autres pensent tout bas comme : le sport professionnel n'est pas toujours pro. Il faut remplacer l'ego par le boulot. Certains se sont trop embourgeoisés et ne voient plus la réalité de la vie économique du pays. Ce n'est plus l'argent qui doit guider le sport professionnel : il faut remettre les vraies valeurs et l'humain au centre du terrain. Je suis d'accord pour remettre les pendules à l'heure, mais en même temps après le stop, il faut le start et une solidarité nationale de reconstruction. Cette soudaineté avec laquelle la crise sanitaire a frappé a effectivement forcé toutes les organisations sportives à suspendre brutalement leurs activités. Mais avec des coûts fixes qui demeurent et des recettes qui n'existent plus, comme dans l'événementiel qui emploie 400.000 personnes, nombreux sont les clubs qui pourraient connaître des difficultés. Compte tenu de la dégradation des conditions économiques, l'impact direct sur la saison en cours et sur celle à venir a été estimée - de manière provisoire, au cas où les compétitions ne pourraient pas reprendre rapidement - à 1,455 milliard d'euros pour le secteur professionnel de nos disciplines sportives. Dans ces conditions, il est essentiel d'aider les clubs à préserver leur trésorerie.

Des mesures exceptionnelles ont déjà été mises en place pour faire face à la baisse d'activité des entreprises en général. Les clubs sportifs doivent contacter leurs banques habituelles pour leur demander un PGE - Prêt Garanti par l'État, un dispositif inédit permettant à l'État de garantir 300 milliards d'euros de prêts pour renflouer la trésorerie des entreprises françaises, qui s'appuie sur l'ensemble des réseaux professionnels des banques membres de la Fédération bancaire française et Bpifrance. A cet égard, je salue le travail important mené par les équipes bancaires, les experts comptables, les Régions et les élus locaux qui vont permettre de repartir ensemble encore plus fort. L'union fait la force.

Quelles autres mesures de soutien pourrait-on envisager ?

P.B. : De nombreux dirigeants de clubs professionnels m'ont parlé de leurs besoins immédiats pour les saisons à venir, en complément de celles déjà mises en place pour l'ensemble des sociétés et des associations. Les idées sont nombreuses aussi bien sur les mesures d'accompagnement immédiates que celles liées à la situation actuelle, ou encore celles des réformes structurelles.

S'agissant des mesures d'accompagnement immédiates, les clubs demandent, par exemple, de revoir le plafond des déductions accordées au titre du mécénat d'entreprise au bénéfice des clubs - qu'ils soient à but lucratif ou non, et de revoir également le plafond des déductions accordées au mécénat individuel en les étendant au secteur sportif. De même, les clubs estiment qu'il serait approprié de mettre en place des déductions fiscales pour les entreprises investissant dans le sponsoring sportif et de déplafonner exceptionnellement pour les saisons 2020-2021 et 2021-2022 des subventions et des achats de prestations de la part des collectivités locales en direction des sociétés et associations sportives. En outre, pourquoi, de la part des collectivités territoriales, ne pas reporter ou alléger les redevances d'occupation demandées aux clubs professionnels pour l'usage des enceintes sportives, et abaisser le montant des remboursements de certaines dépenses - forces de police et gendarmerie qui font pour notre pays un travail remarquable - demandés aux clubs et aux organisateurs de courses cyclistes, entre autres.

Concernant les mesures structurelles, certains dirigeants disent qu'il est important de revoir le dispositif relatif à l'exploitation de la personnalité des joueurs ou des entraîneurs, dont la complexité est un frein à son utilisation par les clubs professionnels, de même que de réaménager les effets de l'accord national interprofessionnel instituant le régime AGIRC-ARRCO de retraite complémentaire, entré en vigueur au 1er janvier 2019. L'impact, pour les employeurs du sport professionnel, se chiffre à plus de 50 millions d'euros, en raison de la spécificité de son salariat, composé de non-cadres à forte rémunération. En outre, il faudrait, pour deux ans, faire bénéficier les personnes privées du régime des sociétés de financement du cinéma lorsqu'elles investissent dans un club sportif.

Enfin, en matière de mesures liées à la situation actuelle, les clubs apprécieraient une sécurisation de la prolongation des contrats au-delà du 30 juin et de l'existence de fait de contrats inférieurs à 12 mois la saison prochaine. De même, les clubs, dont les compétitions sportives ne pourraient pas reprendre en raison des contraintes de rassemblement fixées par le gouvernement, aimeraient avoir la garantie de continuer de bénéficier du dispositif d'activité partielle pour les salariés de leur discipline jusqu'à la fin de leur saison et jusqu'à la reprise de la saison future. Beaucoup d'analystes mondiaux s'expriment sur le fait aussi de baisser les salaires dans le secteur sportif de certaines disciplines qui sont devenus indécents. Pour l'attractivité de sports plus mineurs mais de qualité, il serait bien de pouvoir les faire bénéficier d'audience nationales de télévisions publiques et privées afin de trouver des ressources propres à travers de nouveaux partenariats innovants. D'autres médias peuvent bien évidemment s'y associer avec générosité.

Comment soutenir l'investissement des entreprises partenaires ?

P.B. : La problématique sera de les fiabiliser et de les fidéliser, compte tenu de leur souhait probable, pour certains, de couper rapidement dans leurs dépenses de communication lors des renouvellements qui vont avoir lieu à partir de maintenant pour la saison prochaine. Les clubs vont devoir consentir des étalements de règlement des montants de partenariat sur toute la saison prochaine afin d'offrir une incitation forte. Par exemple, pour les renouvellements à 100 % de l'année précédente, ce serait, de la part du club, un étalement sur 12 mois. Pour les renouvellements à 80 % de l'année précédente, un étalement sur neuf mois ; pour ceux à 60 % sur six mois et enfin, pour des renouvellements à 50 %, un étalement sur trois mois. Dans ce cas de figure, les clubs et leurs partenaires bancaires pourraient renforcer leurs liens en trouvant des solutions communes. Pour notre part, dès cette semaine nous allons confirmer notre participation auprès des clubs retenus pour la saison 2020/21.

Quelles autres mesures avez-vous en tête pour aller plus loin ?

P.B. : Les clubs doivent renforcer leurs fonds propres. Pour pérenniser les clubs, il faut diversifier leurs ressources comme le font très bien plusieurs d'entre eux. Je crois en la preuve par leurs exemples.

Par ailleurs, plusieurs dirigeants estiment qu'il faut asseoir le financement public des clubs, peut-être via un fonds structurel d'aide, sans oublier de faire appel aux fonds privés, bien sûr. De même, comme le suggère Frédéric Michalak, pourquoi ne pas créer un collectif d'athlètes professionnels ou d'anciens athlètes, dont la mission serait de sensibiliser les parties prenantes sur la préparation des athlètes aux Jeux Olympiques, puisque ces derniers risquent de se retrouver privés de toute aide financière. Enfin, il faut soutenir et renforcer le Pacte de performance, qui associe entreprises et athlètes.

Les régions doivent-elles épauler les clubs ?

P.B. : Les Régions font un travail extraordinaire et proactif. La priorité c'est l'économie générale. Si ensemble nous soutenons les entreprises et les emplois dans cette crise sans précédent, les clubs en récolteront les fruits. Je suis convaincu que les institutions régionales maintiendront leurs engagements vis-à-vis des clubs sportifs dans les mêmes proportions qu'avant la crise. Un retrait des institutionnels, conjugué à une baisse des partenariats, risquerait en effet d'être catastrophique pour les clubs et leur rayonnement régional, national et international. Même si la baisse des dotations publiques est inéluctable, il est impératif que pour la prochaine saison, les institutions régionales maintiennent leur niveau d'engagement pour servir d'amortisseur. A cet égard, je rends hommage à l'initiative, par exemple, de la Région Grand-Est, portée par son vice-président, Jean-Paul Omeyer, qui a constitué un fonds régional de soutien de 10 millions d'euros, et qui va également solliciter le département, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et les partenaires.

Quel regard portez-vous sur la reprise ?

P.B. : Si la priorité est à la gestion de la crise sanitaire puis économique, il faut d'ores et déjà anticiper la reprise ! Nous avons besoin de stades pleins et vivants. Les questions que je me pose sont, par exemple : comment certains clubs considérés aujourd'hui comme majeurs peuvent se réinventer ? Une activité peut-elle exister avec un compte d'exploitation négatif ? Non ! Il faut donc profiter de cette crise internationale pour revoir, au niveau mondial et national, les excès qui se sont progressivement installés dans le sport. Je suis convaincu qu'il faut profiter de cette période de crise pour faire des réformes structurelles, de même que numériques et écologiques. Il s'agit donc de rassurer le secteur et de lui fournir les moyens de prospérer, mais aussi, et surtout, de saisir cette occasion pour le faire évoluer. Notamment, il y a trop de jeunes qui sont dans les centres de formation et qui ne voient jamais d'équipe première : la révolution serait de mettre à l'honneur tous ces centres de formation et que ces jeunes constituent l'ossature de tous nos clubs sportifs. La formation, au cœur de l'action du sport en France ! Et ainsi de créer dans la foulée un nouvel état d'esprit sportif.

Pour aller plus loin : Bpifrance lance, dès maintenant, une série de webinars avec ses clubs et avec le ministère des Sports qui va y convier les différents acteurs du sport, dont les fédérations.

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Présidents des Clubs sportifs partenaires de Bpifrance

Chiffres clés du poids économique du sport en France

11,69 milliards d'euros : c'est le poids économique du mouvement sportif

3,03 milliards d'euros : c'est le poids économique du sport professionnel

1 milliard d'euros : c'est la contribution fiscale et sociale des clubs professionnels

(source : Centre de droit et d'économie du sport CDES)

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