Les tensions commerciales entre Washington et Pékin se jouent aussi sur la Toile. En témoigne la récente affaire TikTok. Début août, le président Donald Trump a adopté deux décrets interdisant aux entreprises américaines toute transaction avec deux applications chinoises ultra-populaires : TikTok, appli de vidéos courtes à mi-chemin entre réseau social et play-back (détenue par ByteDance), et WeChat, appli de messagerie instantanée (propriété du géant Tencent). Cela revient, de fait, à interdire indirectement les applications sur le territoire américain.
Dans la foulée, le locataire de la Maison Blanche donnait 45 jours à TikTok pour vendre ses activités américaines à une entreprise locale, sous peine d'être officiellement interdite à compter du 15 septembre. L'argument avancé : la sécurité nationale. Washington accuse les deux applis de pouvoir être utilisées par le gouvernement chinois à des fins d'espionnage via la récolte de données personnelles des utilisateurs américains. Le gouvernement redoute également la diffusion de la propagande chinoise, à quelques mois de l'élection présidentielle américaine. De leur côté, ces applications ont toujours nié un quelconque partage de données avec Pékin. C'est pourquoi TikTok, qui revendique 100 millions d'utilisateurs rien qu'aux Etats-Unis, a annoncé lundi avoir porter plainte contre le gouvernement américain.
Trump veut "purger" Internet des services chinois
Ces annonces de Donald Trump s'inscrivent dans une stratégie plus large, baptisée "Clean Network" (en français, réseau propre). Le but : empêcher l'utilisation et l'implantation aux Etats-Unis d'applications, de services et d'infrastructures provenant d'acteurs étrangers considérés comme "non fiables". Et le principal destinataire de ce programme n'est autre que la Chine. "Clean Network (...) vise à protéger les actifs de la Nation, y compris la vie privée des citoyens et les informations les plus sensibles des entreprises, contre les intrusions agressives d'acteurs malveillants, tels que le Parti communiste chinois", peut-on lire sur le site officiel dédié.
Lancé en avril dernier, le programme s'intéressait initialement aux seuls réseaux cellulaires 5G - illustré par les sanctions américaines prises à l'égard de Huawei. Début août, suite à l'affaire TikTok, le secrétaire d'État américain Mike Pompeo annonçait l'élargissement du programme à cinq nouveaux domaines, de sorte à couvrir tous les pans de l'écosystème tech. Sur le volet "logiciel", le gouvernement souhaite inciter les entreprises américaines à désinstaller certaines de leurs applications des smartphones fabriqués par des marques chinoises, et plus particulièrement "Huawei, une branche de l'Etat de surveillance qu'est la [Chine]", peut-on lire sur le site. La démarche inverse, qui insiste à retirer des applis comme TikTok et WeChat des magasins d'applications utilisés sur iPhone (App Store) et Android (Google Play Store), est aussi prévue. "Les applications de la République populaire de Chine menacent notre vie privée, font proliférer les virus, censurent le contenu et propagent de la propagande et de la désinformation", affirme le plan détaillé du programme.
Sur le volet "infrastructure", ce programme interdit l'accès au réseau américain à tous les opérateurs chinois. Il vise également à réduire la quantité de données américaines stockées sur les services de cloud chinois. Enfin, cette stratégie vise à "garantir que les câbles sous-marins reliant notre pays à l'Internet mondial ne soient pas détournés pour la collecte de renseignements par la [Chine] à grande échelle". En clair, les Etats-Unis cherchent à "construire une forteresse autour des données de [leurs] concitoyens" pour "garantir [sa] sécurité nationale", selon les propres mots de Mike Pompeo, lors de l'annonce de "Clean Network" le 5 août.
Fracture numérique entre la Chine et l'Occident
A ses débuts, Internet a incarné l'utopie d'un réseau ouvert et global. Mais une vingtaine d'années plus tard, la perspective d'un Internet fragmenté se dessine. "La fracture numérique entre la Chine et l'Occident s'agrandit. Les pays coincés entre les deux (notamment en Afrique et dans certaines parties de l'Asie) devront décider de quel côté ils veulent se placer", écrit dans une note de blog publiée début août l'analyste indépendant Richard Windsor.
Avec son programme "Clean Network", les Etats-Unis empruntent le sillon creusé par la Chine depuis la naissance d'Internet. Depuis les années 2000, la deuxième économie mondiale érige son "Great Firewall of China" (en français, Grande Muraille électronique de Chine). L'objectif : filtrer -et censurer- tous les contenus numériques. C'est pourquoi de nombreux services américains y sont prohibés : Facebook, Twitter, YouTube, Google... Cela a notamment permis à la Chine de faire émerger ses propres géants du numérique, dont ByteDance (TikTok) et Tencent (WeChat) font désormais partie.
"Les États-Unis ne devraient pas s'inspirer en matière de droits de l'homme du gouvernement chinois ou de l'administration autoritaire de Modi en Inde (ndlr : l'Inde a interdit cet été 58 applications chinoises sur son territoire, dont TikTok)", regrette l'Electronic Frontier Foundation, ONG de défense des libertés sur Internet, dans une note de blog publiée début août.
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