Intelligence artificielle : Pourquoi l’appel à plus de régulation de Sam Altman (OpenAI) n’a rien de désintéressé

Devant le Sénat américain, le dirigeant d’OpenAI, créateur de ChatGPT, se dit à la fois enthousiasmé par les possibilités de l’intelligence artificielle générative, dont il a largement contribué au développement, mais aussi préoccupé par les risques potentiels. De quoi justifier, selon lui, la mise en place rapide de régulations... auxquelles il a en réalité tout à gagner.
(Crédits : Wikimedia Commons)

On a connu des audiences tech plus mouvementées. Loin de l'atmosphère de discorde qui primait lors des dernières convocations des patrons américains des réseaux sociaux, le premier grand oral de Sam Altman devant le Congrès des États-Unis s'est déroulé sans accrocs majeurs, dans une atmosphère courtoise et même de concorde.

Le dirigeant d'OpenAI, créateur du désormais célébrissime ChatGPT, était auditionné ce mardi, en compagnie de deux autres experts, Christina Montgomery, chargée de la protection de la vie privée chez IBM, et Gary Marcus, expert de l'intelligence artificielle, par les membres de la commission des affaires juridiques du Sénat, comptant des élus démocrates et républicains. Au programme des débats, notamment, la nécessité de réguler l'intelligence artificielle génératrice, qui a déferlé sur le monde à travers des logiciels de création d'images comme Dall-E et Midjourney, mais aussi, bien sûr, des chatbots comme ChatGPT.

Lire aussiFaut-il arrêter l'intelligence artificielle avant qu'il ne soit trop tard ?

Un consensus autour de l'impératif de réguler

Si les débats se sont déroulés dans une atmosphère apaisée, c'est avant tout parce que tout le monde semblait s'accorder, Sam Altman le premier, sur la nécessité de mettre rapidement en place des régulations exigeantes pour encadrer l'usage des algorithmes d'intelligence artificielle génératrice.

« OpenAI s'efforce à la fois d'assurer la démocratisation de l'intelligence artificielle et de maximiser la sécurité de ces modèles. Cependant, nous pensons également que l'intervention du gouvernement est nécessaire pour limiter les risques posés par cette technologie qui devient de plus en plus puissante »,

Il a ainsi attaqué d'emblée l'entrepreneur qui, à l'image de ses confrères de la Silicon Valley précédemment passés sur le grill par le congrès, avait pour l'occasion troqué son jean et tee-shirt contre un costume et une cravate.

Invité à développer quant au type de régulations qui devraient selon lui être mises en place, Sam Altman a par la suite, secondé par Gary Marcus, notamment proposé la mise en place d'une agence fédérale indépendante chargée d'accorder des licences nécessaires pour mettre sur le marché des algorithmes d'intelligence artificielle, avec la capacité de révoquer ces licences à tout moment en cas de non-respect d'un certain nombre de critères, sur le modèle de ce que fait par exemple la Food & Drug Administration aux États-Unis.

« Nous assistons à quelque chose d'historique : c'est sans doute la première fois dans l'histoire que les leaders d'une industrie viennent devant le législateur pour le supplier de davantage réguler leur marché. C'est d'autant plus exceptionnel dans un pays où l'idée que moins le gouvernement se mêle d'un secteur économique, plus celui-ci peut prospérer, est de longue date très présente », a noté Richard Durbin, le sénateur démocrate de l'Illinois.

Lire aussiRetour de ChatGPT en Italie : les promesses d'OpenAI ont rassuré le régulateur

Un désir de régulations avec lequel les élus, y compris républicains, n'ont pu que tomber d'accord. La crainte de répéter la même erreur que celle qui a été commise avec les réseaux sociaux, où l'approche basée sur le laissez-faire a fini par donner Cambridge Analytica, est revenue à plusieurs reprises. « Le Congrès n'a pas su agir au bon moment sur les réseaux sociaux. Désormais, nous avons le devoir de le faire pour l'intelligence artificielle avant que la menace ne devienne trop réelle », a ainsi résumé Richard Blumenthal, sénateur démocrate du Connecticut et président de la commission. Le volontarisme européen sur le sujet a également été à plusieurs reprises érigé en modèle.

Pourquoi OpenAI a intérêt à davantage de régulations

Mais y a-t-il vraiment de quoi s'étonner devant l'insistance de Sam Altman ? Après tout, l'intelligence artificielle générative a pris le monde de cours par ses capacités impressionnantes. Les risques de voir cette technologie diffuser de fausses informations survitaminées pour faire de l'ingénierie sociale de masse, mettre rapidement au chômage une large partie de la population, ou encore causer une explosion des cyberattaques, autant de risques qui ont été évoqués durant les échanges, sont déjà évidents pour une large part de la population. Dans un tel contexte, difficile d'imaginer le père de ChatGPT se présenter devant le Congrès en affirmant que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles et qu'il est parfaitement inutile de réguler quoi que ce soit.

Cependant, pour le patron d'OpenAI et ses confrères de la Silicon Valley, les régulations ne sont pas seulement un mal nécessaire, mais aussi une opportunité économique. En effet, comme l'a affirmé Gary Marcus,

« Tout le monde a intérêt à la mise en place rapide de régulations uniformisées à l'échelle mondiale, sous l'impulsion des États-Unis, y compris les entreprises de l'intelligence artificielle. En l'absence de telles régulations, il est en effet probable que chaque pays, voire chaque région, bricole ses propres règles dans son coin, ce qui forcerait demain les entreprises de l'intelligence artificielle à entraîner une infinité de modèles différents pour coller aux spécificités de chaque loi locale. Un cauchemar. »

Enfin, alors que l'élection présidentielle américaine doit avoir lieu l'an prochain, un scandale du type Cambridge Analytica, mais impliquant l'intelligence artificielle générative, pourrait s'avérer catastrophique pour l'industrie, en ternissant durablement son image auprès du public et des régulateurs, et augurant de futures convocations beaucoup moins cordiales à Washington pour Sam Altman. La mise en place de règles capables de limiter les risques en la matière sont donc là encore dans l'intérêt d'OpenAI.

« La capacité de ces modèles à manipuler l'opinion est l'une de mes pires craintes, en particulier dans le contexte de l'élection présidentielle », a ainsi concédé Sam Altman, qui a également pris soin à plusieurs reprises de répéter que l'intelligence artificielle générative et les réseaux sociaux étaient deux choses bien distinctes qu'il ne fallait pas confondre.

Lire aussiIntelligence artificielle: Biden convoque les acteurs pour évoquer les risques potentiels

Les questions auxquelles OpenAI devra répondre tôt ou tard

Enfin, derrière le consensus autour de la nécessité d'encadrer l'usage de l'intelligence artificielle générative, ont également pointé des dissensions susceptibles de s'accroître à l'avenir. L'intervenant le plus critique vis-à-vis d'OpenAI n'a bizarrement pas été l'un des élus présents, mais plutôt l'expert Gary Marcus, qui a notamment mis en doute le discours altruiste et désintéressé de Sam Altman.

« La raison d'être d'OpenAI était, à l'origine, de faire progresser l'intelligence artificielle d'une manière qui bénéficie à l'humanité et ne soit pas contrainte par le besoin de générer du profit. Sept ans plus tard, l'organisation est largement financée par Microsoft, une entreprise privée, laquelle livre actuellement une âpre bataille à Alphabet pour la suprématie autour de la recherche internet, bataille qui a conduit ce dernier à hâter la mise sur le marché d'un produit, Bard, en négligeant la sécurité. »

D'autres ont pointé les épineux problèmes que pose l'entraînement des modèles d'intelligence artificielle générative en matière de respect des droits d'auteur. « Nous disposons d'une vibrante communauté d'artistes et musiciens dans le Tennessee. Lorsqu'un algorithme d'intelligence artificielle puise dans les œuvres de ces artistes pour générer des morceaux, dans quelle mesure ces artistes ont-ils leur mot à dire là-dessus et comment vous assurerez-vous qu'ils bénéficient d'une rémunération adéquate ? » a ainsi demandé de son très musical accent sudiste la sénatrice républicaine du Tennessee Mary Blackburn, en faisant notamment référence à Jukebox, un outil lancé par OpenAI pour générer automatiquement de la musique.

Une question sur laquelle a aussitôt rebondi la sénatrice démocrate du Minnesota Amy Klobuchar, évoquant la presse locale américaine, déjà en grande difficulté, et que les outils de génération de texte pourraient encore fragiliser. Pressé sur ces deux points, Sam Altman a certifié que son équipe réfléchissait à la meilleure manière de rémunérer les créateurs des contenus sur lesquels s'entraînent les algorithmes, sans parvenir toutefois à donner une réponse précise. Affaire à suivre, donc.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.