Avec Tremplin, l'Etat tente de sortir la French Tech de son entre-soi

La Mission French Tech a lancé la saison 3 du French Tech Tremplin, son programme destiné à lever les freins socio-économiques ou géographiques face à l'entreprenariat. 434 lauréats seront accompagnés dans leur projet de startup pendant 3 mois, suivi par une incubation pour certains d'entre eux. Cette initiative, qui coûte 13 millions d'euros soit plus de 60% du (petit) budget de la Mission French Tech, a convaincu le ministère de l'Economie, qui a décidé de pérenniser son financement.
François Manens
(Crédits : French Tech)

La Mission French Tech le reconnaît elle-même : l'écosystème des startups a besoin de plus de diversité. Les entrepreneurs restent en écrasante majorité des hommes, blancs, parisiens, issus de milieux aisés. Alors pour sortir un peu de cet entre-soi, elle a lancé en 2019 le French Tech Tremplin, un programme d'accompagnement en deux temps -une formation puis un passage en incubateur- à destination d'entrepreneurs en devenir issus de territoires ou de milieux sociaux sous-représentés. Ce Tremplin en est déjà à sa 3e saison, présentée le 15 septembre, avec une sélection encore agrandie à 434 lauréats (dont 30% de femmes) soit presque autant que les deux premières éditions réunies (470). Ces derniers sont répartis dans plus de 20 "capitales French Tech" de la France métropolitaine et de l'Outre-mer.

Alors même que les startups nées de la première promotion n'en sont qu'à leur phase d'amorçage, le programme a déjà convaincu le ministère de l'Economie, dont dépend la French Tech. Le directeur adjoint de la Mission French Tech, Louis Fleuret, a annoncé que le budget du dispositif était désormais « sanctuarisé », c'est-à-dire intégré dans le budget de Bercy. Il provenait auparavant du Plan Investissement Avenir (connu sous l'acronyme PIA), et devait être renouvelé à intervalle régulier. Les saisons du Tremplin vont donc se succéder, avec l'ambition de le faire évoluer à chaque édition et d'ouvrir le programme à toujours plus de territoires.

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Ouvrir l'écosystème

Pour se présenter aux sélections du French Tech Tremplin, il faut remplir un de ces trois critères :

  • Critère économique (environ 45% des lauréats) : être bénéficiaire des minimas sociaux ou étudiant boursier de niveau 5 à 7.
  • Critère de résidence (environ 50% des lauréats) : être résident d'un quartier prioritaire de la ville (QPV), d'une zone de revitalisation rurale (ZRR) ou d'un quartier veille active (QVA).
  • Parcours personnel (environ 5% des lauréats) : être réfugié ou pupille de l'Etat.

Ensuite, les lauréats du programme sont sélectionnés sur dossier, en fonction de leur "personnalité" et de leur "projet". Certains arrivent avec une idée bien définie, d'autres tâtonnent encore. La prépa démarre donc par deux semaines d'accompagnement par un des "opérateurs" (des organismes de l'écosystème comme Diversidays, Les déterminés, Digital Loire Valley...), dans l'objectif de faire le diagnostic du projet entrepreneurial.

Ensuite, les sélectionnés suivent pendant quatre semaines une succession de formations destinées à les initier à la vie de startupper : entraînement au pitch, discussion sur les enjeux financiers ou encore introduction aux problématiques du recrutement. Nouveauté de cette année, suggérée par les anciennes promotions : les différents services publics sur lesquels peuvent s'appuyer les startups seront présentés aux entrepreneurs.

Au terme de ce programme intensif, les lauréats disposent de deux semaines pour finaliser leur projet de startup et remettre un dossier (présentation, études de marché, plan de financement...). Objectif : les préparer à postuler -s'il le souhaitent -à la deuxième phase du programme, l'incubation. La Mission French Tech sélectionne les projets les plus convaincants, et les place dans des incubateurs partenaires, avec une enveloppe de 42.000 euros (12.000 pour l'incubateur, 30.000 pour les jeunes pousses). Cette mise en couveuse dure un an, puis les startups doivent voler de leurs propres ailes.

Mais si la prépa vise la création d'une startup, elle est avant tout une porte d'entrée dans l'écosystème, insiste Louis Fleuret. Il est ainsi prévu qu'une partie des lauréat ne souhaitant pas poursuivre dans l'entrepreneuriat puissent s'appuyer sur la prépa pour trouver un emploi dans des startups existantes. Pour cette saison 3, la formation conduira donc à une certification attribuée par la Kedge Business School.

Former aux codes de l'écosystème

Le programme porte donc un véritable espoir de diversification de l'écosystème. Anthony Babkine, cofondateur et délégué général de Diversidays, se réjouit de l'existence de Tremplin. « Si ce programme a bien une vertu, c'est faire connaître l'écosystème dans des milieux où il ne l'est pas toujours », affirme-t-il.

Son association fait partie des opérateurs qui remplissent le rôle de mentor lors du programme. Alors l'entrepreneur s'adresse franchement à son auditoire : « Maintenant, c'est comme une partie de Koh Lanta qui va commencer pour vous : il va falloir intégrer les codes de l'écosystème, et sortir de votre zone de confort (...). Les talents que nous accompagnons sont souvent discriminés dans la levée de fonds ou dans les relations avec les banques par exemple. Notre rôle en tant qu'opérateur, c'est de vous dire que vous avez votre place. »

Les résultats de la première promo incubée lui donnent raison : 93% des projets poursuivent leur développement, la moitié ont embauché des employés à temps plein dès leur première année, et un quart ont déjà levé des fonds privés.

La French Tech, un réseau avant tout

Signe de son investissement sur le projet, la French Tech attribue un budget annuel de 13 millions d'euros au programme... contre 8 millions d'euros pour le reste de ces activités. Soit 60% de l'enveloppe totale. Tremplin est pourtant avant tout symbolique : les quelques centaines de projets qui en sortent sont une goutte d'eau dans l'océan des 20.000 startups françaises.

Mais le projet est primordial pour la Mission French Tech, dont le but est d'aider les entrepreneurs et d'orienter l'écosystème vers une tech plus désirable et bénéfique pour la société. Sa principale plus-value est sa capacité à ouvrir des portes -notamment de l'administration et des services publics-, et à faciliter la mise en réseau, cruciale pour les entrepreneurs. Ainsi, la Mission French Tech avait organisé des rencontres entre les membres de la précédente promotion Tremplin et des entrepreneurs membres du French Tech 120, l'indice qui regroupe les startups parmi les plus performantes de l'écosystème.

Mohamed Boualaoui, lauréat de la saison 2 et co-fondateur de Green Unit abonde : "J'avais pour projet d'entreprendre, j'avais une idée, mais aucun réseau, aucun contact. Le programme m'a apporté les codes et ouvert des portes, et ce qui m'a permis de faire un réseau sans difficulté". Sa startup va proposer des bâtiments modulaires éphémères et recyclables à destination des professionnels de la restauration, du commerce et de l'événementiel. Elle a donc été placée dans l'incubateur Leonard de l'entreprise Vinci jusqu'à avril par Tremplin.

Désormais, cet ancien chef de projet dans le bâtiment entame avec son associé Bilal Chaudhry (qui a également suivi le programme) la phase de prototypage du projet, avec un objectif de livraison pour janvier 2023. Les deux entrepreneurs s'attellent à respecter ce calendrier, car leur projet doit être en production pour les Jeux olympiques de Paris, à l'été 2024 : la jeune pousse fait partie du programme "Impact 2024" financé par plusieurs collectivités dans le cadre des JO. Industrielle, avec un impact environnemental et une capacité à créer de l'emploi, Green Unit pourrait donc vite avoir la casquette de bon élève de l'écosystème, et être une belle preuve de l'intérêt du programme French Tech Tremplin.

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François Manens

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Commentaire 1
à écrit le 16/09/2022 à 13:13
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C'est symbolique, mais la "French Tech" n'a pas vocation a rester française, vue son nom!

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